Sauvez notre patrie
Alors que le soleil s’éteignait à l’horizon, il dardait ses ultimes rayons sanguins. Les nuages, qui envahissaient par centaines les étendues célestes, s’accaparaient leur lumière, ne laissant à la vue des hommes que de lugubres ombres crépusculaires et sporadiques.
Entre les flammes et la noirceur. Théodore, qui examinait le phénomène, y constata un sinistre miroir de Koordie. Comme sur le firmament, les ténèbres régneraient bientôt sur Forléo. Mais l’aube poindrait, à coup sûr. Le champion jeta un œil à la princesse qui trottinait derrière les enjambées véloces de la Grande-Championne. Une joie revigorante le combla à mesure qu’il l’observait. Aurore s’aperçut de son regard et lui rendit son sourire.
— Théodore ? l’interpela Ambre, juste à côté de lui.
— Oui ?
— Vous ne m’avez pas écoutée, n’est-ce pas ?
— Je… suis désolé, je me suis perdu dans ces nuages, fit-il en lançant un regard accusateur aux formes obscures qui occupaient la voute céleste.
— C’est à la fois beau et tellement inquiétant. Je ne soupçonnais pas les champions d’être sensibles aux charmes de la nature, commenta-t-elle avec des pétillements dans les yeux.
— Figurez-vous que moi non plus. Je crois que toute cette aventure m’a beaucoup apporté.
— Comme l’amitié d’une Hyène ?
Théodore ne réprima par son égaiement.
— Quelqu’un vous attend-il à Forléo ? s’enquit la chevalière.
— Je ne peux l’affirmer avec certitude. Peut-être que certains de mes frères d’armes auront survécu. Qu’en est-il de votre côté ?
— J’espère revoir ma petite sœur. Une brave archère de l’armée. Sans elle, je serai définitivement seule.
La voix d’Owen surpassa toutes les autres. Devant eux, s’érigeait un temple du Lion. Des lumières émanaient depuis les fenêtres en hauteurs et s’échappaient de la forteresse religieuse par sa herse fermée. Le groupe approcha discrètement mais, de tous les sons qu’ils perçurent, ils ne retinrent qu’un brouhaha malsain. Une horde de Worgros occupait l’endroit.
Les hommes et les femmes se mirent d’accord pour poursuivre leur route sans alerter l’ennemi de leur présence. Leur priorité ne résidait pas dans la reconquête des lieux stratégiques. Pour rejoindre Forléo, la diligence primait.
Ils dépassèrent le bâtiment et fendirent la nuit de leurs pas rapides. Lorsqu’Owen perçut des signes de fatigue, aussi bien parmi les chevaliers que parmi les champions, il proposa de monter le camp. S’appropriant une cavité qui s’enfonçait sous un tertre, la troupe se reposa en attendant l’aurore.
Morgane, qui avait récupéré nombre de provisions de son bataillon, offrit un plantureux repas à l’ensemble de la troupe. Ils ne firent brûler le foyer qu’un court instant, pour cuire les venaisons, de peur d’attirer l’attention de hordes worgros à proximité.
— Alors, Hyène, entama la Grande-Championne pendant le diner, quelle est la suite de notre mission ?
Owen parut d’abord surpris que la championne s’adresse à lui directement. Constatant que tout le monde avait cessé ses discussions pour écouter la réponse du chevalier, celui-ci avala le morceau de viande qu’il gardait en bouche et déclara :
— Etant donnée notre vitesse, nous atteindrons Forlacroc demain, dans l’après-midi. Espérons que la forteresse ne soit pas aux mains de l’ennemi à ce moment-là.
— Nous nous arrêtons hors des Mâchoires ? s’étonna Morgane.
— Oui. Arrivés à Forlacroc, nous nous séparerons. Théodore, Aurore et moi continuerons seuls.
— Vous aurez besoin d’une escorte bien armée pour rejoindre Forléo ! protesta Nicolas.
— Nous n’irons pas à Forléo.
— Où, alors ? intervint Iris, le Loup.
Bartholomé, l’Aigle des chevaliers, se mit à rire doucement. Les regards s’orientèrent vers le rieur.
— Il me semblait bien reconnaitre votre visage, mon enfant.
— Moi ? demande Aurore, interloquée.
— Oui. Je ne voulais pas m’avancer et déblatérer des informations insensées, mais c’est pourtant bien le cas. Je vous ai déjà rencontrée, alors que vous ne dépassiez pas le genou de votre père. Cette lueur azurée dans vos yeux ne pourrait être oubliée. Vous ne visez pas Forléo, mais la Tour du Lion, n’est-ce pas ?
Owen tenta d’éluder le sujet, mais Aurore l’arrêta d’un geste de la main.
— L’heure de la vérité, souffla Nicolas à son confrère de la caste des Hyènes.
— Je ne vais pas dissimuler mon identité plus longtemps, ce serait déshonorer votre courage et votre dévouement pour le royaume. Je suis Aurore Cœur de Lion, fille ainée du Roi Martial Cœur de Lion, princesse du Royaume de Koordie et héritière du Lion. La Hyène Owen et le champion Théodore m’accompagneront jusqu’à la Tour du Lion pour que je puisse redonner vie à la magie.
Il y eut un flottement, puis un déluge d’exclamations et d’interrogations. Au bout d’un moment, la Grande-Championne se leva et s’orienta vers Aurore. Solennellement, elle posa un genou au sol.
— Si ce que vous avancez est vrai, alors nous vous devons obéissance, votre Altesse.
— Oh… Inutile d’être cérémonieux. Je ne mérite pas…
— Si, vous le méritez, Lionne Aurore, la coupa Théodore en venant s’agenouiller juste à côté de Morgane.
Bientôt, les champions les imitèrent et les chevaliers se joignirent à l’inclination, avec révérence. Même Owen, au fond de la grotte, s’inclina, armé d’un sourire bienfaisant qui fit rougir la princesse. La Grande-Championne déposa son poing contre sa poitrine.
— Princesse Aurore, sauvez notre patrie, je vous en conjure.
— Je le ferai.
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