La patrouille

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L’est se revêtait de platine lorsque la troupe se mit en route. Par chance, aucun escadron worgro ne s’était aventuré près de leur campement durant la nuit. Owen orienta leur avancée vers le sud-est, plutôt que de cibler Forléo en ligne droite. Par cet itinéraire, ils éviteraient les camps ennemis disséminés autour de la capitale et de ses imposantes murailles.

Ils voyagèrent au travers des quelques vallons qui bosselaient le duché. A plusieurs reprises, ils aperçurent des bandes d’envahisseurs, sillonnant le territoire à la recherche de survivants. Ils durent, par conséquent, effectué un certain nombre de détours, parfois même se cacher des minutes durant, en attendant que le raz-de-marée sauvage et vociférant ne passe.

La docilité des champions et des chevaliers, devant Owen, captiva Théodore. D’ailleurs, remarqua-t-il, cette obéissance frôlait davantage le respect, voire la confiance aveugle envers l’expertise de la Hyène. Il connaissait le territoire, il connaissait l’ennemi, il connaissait les ressources des siens.

Il tailla dans les lignes adverses un chemin invisible. Personne n’envisagea un instant une méprise de sa part, même lorsqu’il obliqua pour des directions inattendues. Personne ne contrevint à ses ordres lorsqu’il les fit traverser subrepticement des barrages worgros.

Théodore reconnut cet abandon total. Il l’avait connu dès les premières heures de marche avec ce chevalier. La Grande-Championne Morgane l’écoutait comme s’il avait été son supérieur. D’ailleurs, depuis les révélations d’Aurore, la veille, elle observait également le champion d’une manière différente. Elle paraissait l’examiner, pour quelque raison obscure. Théodore ignora son attitude incongrue. Du moins le feignit-il.

En fin de matinée, la Grande-Championne vint lui parler. Elle déclama de longues tirades à propos de l’Ordre des champions, de son rôle dans la société koordienne tout comme dans le monde et des valeurs que chacun de ses membres se devait d’incarner. Théodore opina du chef tout du long, bien incapable de savoir où voulait en venir la guerrière.

Elle acheva son monologue en évoquant les missions premières d’un Grand-Champion, des conséquences sur la vie d’un membre de l’Ordre qui accède à un tel statut, puis argua à propos du fait que les nouvelles générations de champions devraient réparer les erreurs de leurs aïeux. Elle désigna fugacement la Hyène qui menait leur groupe. Théodore comprit ses sous-entendus.

— Je me fais vieille, jeune champion.

— Ne dites pas cela, Grande-Championne. Hier encore, privée de vos pouvoirs, vous vainquiez un suzerain-sorcier.

Morgane ricana ouvertement.

— Et toi, petit, tu en as éliminés trois, malgré l’état déplorable de ta jambe et l’absence de ta magie.

— Je n’étais pas seul.

— Je ne l’étais pas non plus, contesta-t-elle en montrant les champions qui marchaient derrière eux. Et il n’a jamais été demandé aux champions de triompher seuls. Nous sommes un lien, un pont entre les gens de ce royaume. Nous recueillons en nous les pouvoirs des magiciens ainsi que l’agilité des soldats et des chevaliers. Voilà pourquoi nous devons nous montrer forts et robustes. Ma génération a oublié tout cela, s’enfermant dans sa condescendance. Moi-même je l’ai été. Mais en écoutant votre histoire, à tous les trois, j’ai réouvert les yeux. Je décèle en toi, gamin, tout ce que je rêvais de représenter étant apprentie. Le Lion sait à quel point la petite Morgane aurait aimé prendre part à cette aventure avec vous. J’espère que votre voyage se terminera bien. Je l’espère sincèrement.

Théodore demeura pensif jusqu’au repas. Tandis qu’ils se sustentaient de quelques morceaux de fromage et de pain, le champion ne pipa pas un mot. Owen l’interrogea sur son mutisme et Théodore ne trouva pas de paroles adéquates. La fin de leur périple approchait, pour le meilleur et pour le pire. Une amertume inexplicable lui rongeait les entrailles et lui serrait la gorge.

Une heure après leur déjeuner, ils parvinrent à l’orée d’un taillis. Ils s’enfoncèrent dans le bois clairsemé, telle une bourrasque fugitive secouant les feuilles éparses et les bourgeons. Les branches sèches craquèrent sous leurs pas lestes, attirant le regard indiscret des animaux téméraires, et, bientôt, ils entrèrent dans une forêt plus dense.

Les troncs s’y faisaient plus épais, les frondaisons plus ombrageuses et la vision s’en voyait amoindrie. Déjà desservi par son œil manquant, Owen n’était pas à son avantage entre cette abondante quantité d’arbres. Pourtant, il n’eut aucun mal à identifier une patrouille de Worgros non loin d’eux.

D’un geste, il ordonna à ses compagnons de s’abaisser derrière des arbrisseaux.

— Que faisons-nous ? demanda Nicolas.

— Laissons-les passer, proposa Ambre.

— Nous ne connaissons pas leur ronde, déclara Morgane. S’ils font demi-tour et nous repèrent, les soucis se multiplieront.

— Mais si une seconde patrouille découvre les cadavres, ils sauront que nous sommes passés par là, contesta Iris.

— Alors, nous serons déjà loin, intervint Théodore. Combien sont-ils ?

— Douze, répondit Owen ayant saisi l’information avant tout le monde. Neuf femelles, deux mâles et un mastodonte. Nous pouvons les supprimer sans bruit, si tout le monde suit les instructions.

— Maudit soit le jour où je devrais conter la partie de ma vie durant laquelle j’ai obéi aux ordres d’une Hyène, fit Morgane, un sourire sarcastique sur les lèvres.

En une poignée de secondes, Owen établit un plan d’attaque prenait en compte leur avantage premier : l’ennemi ne se doutait pas de leur présence. Lorsque la Hyène eut terminé ses explications, le groupe se divisa. Ils rattrapèrent la patrouille non loin et l’encerclèrent, dissimulés dans entre les buissons et les arbres.

Le champion Oscar sortit de sa cachette le premier. Dans leur dos, à mi-distance, il heurta son bouclier de son épée pour attirer l’attention de la horde réduite. Tous les immondes faciès lui firent face, crachant leur bave belliqueuse.

Morgane eut tout le loisir de viser précisément grâce à cette ouverture. Elle pointa de son arbalète l’arrière de la tête du meneur ennemi. Après une ultime inspiration, elle pressa la détente. La corde cingla l’air et le carreau s’envola. Il se logea sans mal au milieu du crâne du mastodonte, freiné par le maillage interne de la créature.

Alarmés par l’offensive surprise, les Worgros pivotèrent à nouveau. Ce fut à cet instant que les chevaliers et les champions quittèrent leur abri pour fondre sur la patrouille désemparée, telles deux vagues de fer refermant leur étau sur un morceau de terre affleurant à la surface.

Théodore chargea, la pointe de sa claymore en avant, et enfonça les tatouages de métal d’un Worgro au niveau du cœur. Owen, quant à lui, transperça sa cible au niveau de la gorge. Grâce à sa précision, il n’eut aucun mal à glisser sa lame entre deux filaments métalliques. Lorsqu’ils relevèrent la tête, leurs compagnons avaient également abattu leur adversaire.

— Joli tir, commenta Owen tandis que Morgane approchait, son arbalète sous le bras.

— Ce sont de drôles de méthodes de combat, fit la Grande-Championne.

— Les Hyènes se battent ainsi, fit Nicolas, venu porter secours à son confrère. Nous sommes des assassins.

— Me voilà devenue un assassin ?

— Vous voilà surtout débarrassée d’une bataille qui aurait pu se révéler rude.

— Ne trainons pas, les coupa Owen qui essuyait son épée. Un peu plus au nord, nous trouverons des cabanes de pêcheurs. Nous dégotterons des barques pour traverser le lac et rejoindre Forlacroc. En avant !

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