Forlacroc
La forêt achevait ses racines sous une vaste plage de sable humide, parsemée de longues touffes d’herbes à la couleur du blé. Owen guida sa troupe jusqu’à cette grève. Privés de leurs abris, que représentaient les arbres massifs, les voyageurs accélérèrent la cadence pour ne pas s’attarder sur ce lieu à risque.
Heureusement, la Hyène leur avait épargnés une trop longue route à découvert, parcourant le plus de distance possible sous le couvert des frondaisons. Ils se trouvaient déjà en face des cabanes de pêcheurs lorsqu’ils foulèrent le sable.
Une fois dissimulés entre les cahutes, ils purent souffler. Théodore suggéra de vérifier l’intérieur des minuscules masures avant de rejoindre le modeste hangar en bord de rive. Tous acquiescèrent, puis se dispersèrent en petits groupes.
Owen, épaulé par Théodore et Ambre, entra dans une sorte d’entrepôt. Seuls des caisses éventrées et du matériel de pêches gisaient sous le toit de ce bâtiment. Ils ne découvrirent aucun corps et pas le moindre indice n’indiqua une quelconque lutte. Ils gagnèrent ensuite le hangar à bateaux. Les autres groupes rapportèrent le même constat.
Nicolas s’étonna qu’aucune garnison ne surveille ce lieu et Owen expliqua que seuls quelques villages isolés occupaient le sud de cette région. En somme, aucune véritable menace pour l’ennemi ne pouvait provenir d’ici. Voilà pourquoi les patrouilles se faisaient si minimes, que ce soit en taille et en nombre. Une aubaine pour leur entreprise.
Champions et chevaliers s’entraidèrent pour détacher les barques de leur support et pour les mettre à l’eau. Aurore, pendant ce temps-là, réunit autant de rames qu’elle le put pour les placer dans les différentes embarcations. Au total, cinq barques s’élancèrent depuis la rive sablonneuse.
Sous le soleil stimulant de l’après-midi, les rameurs entamèrent la traversée du lac avec entrain. Ils longèrent une colline à la pente abrupte et impraticable, qui plongeait dans l’étendue aquatique comme une muraille naturelle. En la contournant par la voie des eaux, Owen espérait atteindre Forlacroc sans danger.
Aurore, placée entre Théodore et Owen, se pencha par-dessus l’embarcation pour observer les fonds céruléens. Assise à l’arrière, la Hyène la regarda se perdre dans son propre reflet. Le bleu du lac chatoyait dans ses yeux de saphir. La passion fit frémir l’adolescente. Sans quitter du regard les paresseuses ondulations de l’eau, Aurore déclara :
— De toute ma vie, je n’ai jamais regardé mon reflet avec autant de sérénité.
— Le nouveau visage de l’héritière du Lion vous convient-il ? la sonda Théodore sans se retourner.
— Je… Je crois qu’il me satisfait. Oui.
— Vous pouvez être fière de ce que vous êtes devenue, princesse.
Soudain, Owen cingla l’eau de sa rame, projetant une gerbe d’eau sur la jeune fille. Théodore frissonna lorsque les gouttes s’insinuèrent sous sa chemise. Aurore, quant à elle, bascula en arrière et poussa un cri strident, traduisant sa surprise.
— C’est froid ! se plaignit-elle. Hyène Owen, que faites-vous ?
Comme unique réponse, le chevalier se mit à rire. La princesse le considéra, un air déconcerté sur le visage, la bouche béante.
— Je refroidis tes ardeurs, gamine. Tu t’observeras quand tu auras sauvé le royaume.
Théodore et Aurore se joignirent à la liesse du chevalier. Puis, une sorte de mélancolie indescriptible s’empara de l’étincelle qui brûlait jusque-là dans les iris azurées de la jeune fille.
— Qu’y a-t-il ? s’enquit Owen, suspicieux.
— Rien.
— Nous nous sommes promis de ne plus rien nous cacher, te rappelles-tu ?
Aurore secoua la tête, avant de s’emmurer dans son mutisme. Owen sut qu’il n’en tirerait rien.
Une heure plus tard, la minuscule flotte avait dépassé la colline et atteint le rivage nord du lac. Les voyageurs laissèrent leurs embarcations à l’abandon et continuèrent le long d’un passage étroit entre deux hauts pans rocheux. Ils avancèrent dans l’ombre des colosses jusqu’à percevoir leur destination : Forlacroc.
La forteresse s’érigeait au sommet d’une légère butte, telle une couronne de pierre et de combativité. Même si le bâtiment militaire occupait une grande partie de leur champ de vision, les voyageurs entrevirent les gigantesques murailles qui ceignaient la capitale : les Mâchoires.
Ce panorama aurait pu être à une bonne nouvelle, si une horde de Worgros n’avait pas été en train d’assaillir le fort à proximité. Et si Forlacroc avait été une couronne, l’amas informe et tapageur qui fourmillait à ses pieds s’apparentait à de la rouille noire. Une rouille qui empêchait le groupe d’atteindre l’intérieur de son enceinte.
Les membres de la troupe échangèrent leurs différents points de vue, mais aucune véritable conviction émergea de la discussion. Fallait-il aider les soldats de Forlacroc ou dépasser la forteresse pour rejoindre directement la tour ? Personne ne semblait détenir la réponse.
Aurore trancha.
— L’unique voie qui mène à la Tour du Lion pénètre les montagnes, là-bas à l’est de la forteresse. Qu’importe le chemin que nous emprunterons pour rejoindre ce sentier, l’ennemi nous repérera. L’unique issue de cette voie montagneuse se trouve ici. Si nous voulons aller à la tour et revenir sains et saufs, Forlacroc doit tenir.
— Et pour tenir, enchaina Owen, elle doit d’abord repousser cet assaut. La petite a parlé : allons délivrer cette forteresse, koordiens !
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