Un mascaret de flammes

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Le chariot passait le second virage, à peu près à la moitié de la pente, lorsque le bouclier de sorcellerie s’évapora. Adossé à l’élévation de terrain, Théodore mesura la distance qui séparait la double porte du porteur de destruction. Comme l’avait prévu Owen, si les boulets restaient à cette hauteur, leur combustion atteindrait les murailles de Forlacroc.

Les archers braquèrent leurs arcs à projectiles enflammés en direction du chariot, mais furent instantanément admonestés par leur chef. Théodore percevait sa voix, puissant écho se répercutant sur les coteaux du vallon. Le champion donna l’ordre à ses compagnons d’agir.

Chevaliers et champions se prêtèrent main-forte pour gravir le talus. Oscar chargea le premier, son bouclier dressé devant lui. Le champion percuta un mastodonte à l’abdomen, avant d’être freiné par la résistance du colosse noir. Réagissant sur-le-champ, il planta son glaive dans le tendon de son adversaire, juste au-dessus du talon. Le maillage métallique l’empêcha de sectionner les tissus musculaires. Néanmoins, la souffrance infligée retarda la contre-attaque du monstre.

Emma, leste comme un chat malgré son armure lourde, exploita cette ouverture. Avec de l’élan, elle s’arc-bouta sur le bouclier de son compagnon, sous lequel le Worgro tentait de l’aplatir, et bondit au niveau de la tête de leur adversaire. De son épaule, elle heurta la montagne de muscles qui s’écroula sur le dos. L’instant d’après, le mastodonte se voyait foré d’une myriade d’entaille profondes et mortelles. A l’aide de ses deux dagues aiguisées, Emma frappait ce qui servait au Worgro de visage, telle une furie frénétique.

Théodore s’élança immédiatement après Oscar, ciblant pour sa part l’un des Worgros à l’arrière du convoi. Pris au dépourvu, l’infect barbare ne prit pas la peine d’attraper son arme et essaya d’arrêter la claymore avec ses mains. Trop vif pour lui, le champion parvint à atteindre son thorax.

Usant de sa considérable force, le mastodonte agrippa la lame de ses mains nues, seulement épargnées par leurs tatouages protubérants. Théodore affermit sa posture en poussant de tout son poids. Un duel de vigueur s’amorça alors. Un duel que le champion ne pouvait, de par sa condition humaine, tout bonnement pas remporter.

Venant à son secours, Ambre cingla la gorge du mastodonte. Le fer engendra des gerbes de sang et des étincelles. Elle ne l’avait atteint que superficiellement. L’armure interne avait encaissé l’attaque. Ne se laissant pas abattre, elle porta un coup de pied dans le jarret de leur ennemi. Perdant l’équilibre, le mastodonte se laissa dominer par la fermeté jusque-là sans faille du champion.

La créature herculéenne poussa un hurlement abject, aux exhalaisons fétides. Des projectiles de salives gluantes volèrent jusqu’au heaume de Théodore, avant de dégouliner de long de sa surface ciselée. Le dégoût galvanisa les muscles du champion, qui accentua son emprise sur le Worgro. La claymore perça entièrement le corps du monstre et jaillit de son dos. Un nouveau cri abominable perça les tympans du champion.

Malgré les gouttes de sueurs qui perlaient devant ses yeux, Théodore remarqua l’approche d’Ambre. Avec minutie, elle visa une partie bien précise du cou du monstre. Entre quatre filaments, elle glissa le pic de son épée aussi profondément qu’elle le put. La carotide se vida, comme une barrique de vin rouge éventrée. Immobilisé par la poigne draconienne du guerrier en armure, le mastodonte se résigna à ralentir le flot de vie qui s’écoulait avec insouciance. Inexorablement, il mourrait exsangue dans cette position dégradante. Pour couronner le tout, Ambre vint en renfort sur la prise de Théodore.

De son côté, Morgane put compter sur l’aide de deux chevaliers pour mettre à mort son adversaire. De son arbalète, elle darda un carreau qui entra dans le cou d’un Worgro par un côté, avant de ressortir par l’autre et stopper sa fulgurante course. Le mastodonte la toisa, le trait pointant de part et d’autre de son cou.

Tandis qu’elle rechargeait son arme, le monstre se rua sur elle. Heureusement, Henry intervint. Alerte, le chevalier effectua un saut sur le flanc du monstre. Il saisit au passage les deux embouts du carreau et laissa la gravité faire son travail. Mastodonte et Cerf tombèrent au sol. L’un sur le dos, l’autre sur le ventre.

Il n’en fallut pas davantage pour que Bartholomé agisse. Véloce comme peu pouvaient sans targuer, il se planta au-dessus du Worgro et lui poignarda les yeux, le nez, la bouche puis le front. Cinq frappes nettes ôtèrent toute envie de se débattre au monstre. Il mourut peu de temps après, noyé dans son propre sang, perdu dans un océan de ténèbres.

Finalement, Barnabé empala le dernier Worgro avec la longue hallebarde. Il parvint, grâce à sa vitesse, à clouer l’énorme créature au chariot. S’apercevant que les autres mastodontes étaient affairés, Barnabé poussa avec tous les muscles de son corps. Les roues du chariot firent un tour en arrière, puis la pente attira l’engin empli d’explosifs.

Emporté par le véhicule, le mastodonte roula-boula le long du talus. Barnabé décrocha le bout de sa hallebarde in extremis, s’évitant une chute assurée dans le cas contraire. L’engin prit de la vitesse, sauta le premier virage de la descente et s’écrasa contre les Worgros qui entamaient l’ascension pour venir en aide à leurs confrères.

Le véhicule vola en éclat, déversant une cascade de boulets sur la horde de Worgros. Bientôt, ils se noieraient. Non pas dans des eaux profondes, mais sous un mascaret de flammes infernales. Connaissant leur sort, les créatures impies se bousculèrent pour prendre la fuite.

Mais Forlacroc ne fit preuve d’aucune miséricorde. Les arcs chantèrent sa victoire. Une volée de traits à la tête de feu fondit sur la poudre noire. La déflagration cloua au sol les champions et les chevaliers.

Incapable d’inspirer, Théodore toussa de la poussière sombre. Ses oreilles ne percevaient plus qu’un son aigu, strident, inqualifiable en vérité. Reprenant petit à petit le contrôle de sa respiration, le champion redressa la nuque.

Le tableau d’une géhenne se peignait sous son regard médusé.

Au cœur de l’explosion, il ne demeurait que des cendres rougies et des creux macabres dans le sol. En s’écartant de l’épicentre, l’on distinguait des silhouettes informes figées dans des positions de supplice. L’on devinait un désir de fuite dans leur posture. Une fuite bien vaine, puisque les Worgros les plus éloignés du choc hurlaient de douleur et gesticulaient pour s’arracher leur chair calcinée ou couverte par les flammes.

Au travers du sifflement assommant, Théodore perçut le bruit de la double porte derrière lui. Les soldats de Forlacroc venaient. Aurore apparut dans son champ de vision vaporeux. Ses traits trahissaient de l’appréhension. Elle lui saisit la main. Ce contact lui redonna de l’énergie.

— Sortez-nous de ce cauchemar.

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