Le capitaine Coloyan offrit des outres lourdes d’eau fraîche à ses sauveurs, tandis que ces derniers discutaient entre eux de la réussite du plan d’Owen. Théodore avoua avoir été secoué et assourdi par l’explosion des boulets incendiaires. Il n’avait échappé à une mort brève que par la sagacité du chef des archers.

Celui-ci les rejoignit dans la cour de la forteresse, les congratulant pour leur abnégation et leur audace. Owen lui retourna le compliment, encensant sa perspicacité.

Lorsque tous se furent hydratés, le capitaine conduisit la troupe au sommet de la tour la plus au nord de Forlacroc. S’appuyant sur les merlons rectangulaires, l’homme à la tête de la garnison pointa du doigt le champ de bataille sur les terres septentrionales.

Aurore passa la tête dans un créneau et admira l’horizon. D’ici, Forléo se dévoilait entièrement. Une nostalgie accablante étouffa soudainement la jeune fille. Elle scruta la capitale et ses hauts murs blancs, qui s’incrustaient dans les montagnes alentour. Diamant inestimable renforcé par des bastions écrasants, Forléo reflétait les éclats du soleil couchant. Sous l’ombre de la gigantesque saillie rocheuse prenant racine dans les récifs montagneux, la cité n’en était que plus brillante, céleste, divine.

Les hommes avaient sculpté l’affleurement colossal qui surplombait la ville protégée pour y inscrire les traits du Lion. Sous les rayons rougis de l’astre solaire, l’on pouvait imaginer les yeux ambres de la bête sauvage et magique. Un visage menaçant pour les ennemis du royaume et rassurant pour ses habitants. Sa crinière titanesque, massifs montagneux aux cimes blanchies par la neige, se perdait dans les nuages brumeux si haut dans le ciel qu’on ne pouvait pas même envisager leur hauteur véritable.

S’écartant de la figure ineffable par l’ouest et traversant le grand Anneau, l’on tombait sur les Mâchoires. Fierté des ingénieurs koordiens, cette double muraille surgissait du sol, semblable à une enfilade de canines de fauve.

Vu d’ici, Forléo émergeait de la gueule d’un mirifique Lion aux dimensions cyclopéennes. Un Lion dont Aurore était l’héritière. Un frisson la parcourut. Cette immensité inqualifiable contrastait avec sa petitesse. Au faîte de cette colonne défensive, elle mesura l’insignifiance de sa personne ; mais aussi l’insolence avec laquelle ils avaient entamé, elle et les deux guerriers meurtris, leur voyage pour mettre un terme à cette guerre qui engageait des milliers d’âmes.

— Les Mâchoires sont tombées, au nord, au nord-ouest et à l’ouest, déclara le capitaine de la garnison, indiquant chacune des brèches dans la muraille.

De ses failles, s’écoulait dans l’Anneau un liquide noirs et putride, grouillant d’éclats sombres comme autant de lames de nature diverse. Les Worgros envahissaient la plaine et affrontaient les pauvres désespérés qui espéraient les retenir un instant au moins. Certaines troupes koordiennes téméraires tenaient position en dehors des Mâchoires, incapables d’avoir une vue d’ensemble et de constater l’absurdité de leur obstination.

— Si vous n’étiez pas intervenus pour protéger cette forteresse, les Worgros auraient pris le sud des Mâchoires également. Si seulement nos magiciens et nos champions possédaient encore leurs pouvoirs…

— Où sont nos maîtres de la magie, d’ailleurs ? s’enquit la Grande-Championne.

— Claquemurés dans Forléo. Certains maîtres d’armes les forment succinctement. Ils prendront part à la bataille en dernier recours, d’après les messagers.

— Nous ne devrions pas nous attarder davantage, rappela Owen. De notre diligence dépend la victoire.

— Oui ! appuya Aurore, qui ne désirait plus contempler, les bras ballants, ce champ de bataille.

Une conversation houleuse s’amorça au sein du groupe, à propos du nombre de personnes qui accompagneraient Aurore jusqu’à la Tour du Lion. Le débat se focalisa sur la potentielle présence d’ennemis dans la tour. Les assassins du Lion demeuraient peut-être encore et toujours près du grand foyer. Si tel était le cas, négliger des renforts s’avérerait problématique.

Cependant, la horde ne tarderait pas à dépêcher d’autres troupes maléfiques pour assaillir Forlacroc. Ainsi, les champions et chevaliers, rompus aux combats, apporteraient un concours précieux aux soldats koordiens.

Finalement, ils s’accordèrent sur une séparation logique compte tenu de la situation. Seuls Owen et Théodore flanqueraient Aurore jusqu’à la tour. Si un ennemi les attendait, une éventualité peu probable, les bretteurs l’affronteraient. S’ils s’en jugeaient incapables pour quelque raison qui soit, ils feraient marche arrière et souffleraient dans le cor de guerre, que leur avait fourni le capitaine. Des soldats se rendraient alors sur place pour les aider.

Vinrent enfin les au revoirs et les souhaits de courage et de fortune. Nicolas confia à Owen l’honneur des Hyènes, un poids que le chevalier avait accepté depuis plusieurs jours déjà. De son côté, Morgane encouragea le valeureux champion.

Juste avant qu’il ne quitte la forteresse, Ambre saisit la main de Théodore.

Surpris, l’homme la sonda du regard. Avait-il oublié quelque chose ? Sur les traits de la jeune femme, il lut un certain embarras et de l’hésitation. Ne trouvant pas ses mots, elle baissa la tête, cherchant à n’en point douter de l’inspiration dans ses bottes. Théodore ne brillait pas non plus par sa maîtrise du verbe. La plupart du temps, les longs discours naissaient dans son esprit et s’évaporaient avant qu’ils n’atteignent sa langue.

— Lacérez ces monstres pour deux, en attendant mon retour, bredouilla-t-il enfin.

La jeune femme releva le visage et sourit. Il n’en fallut pas plus.

Théodore lui tourna le dos et s’engagea à la suite de ses deux compères. Fidèle à son habitude, Owen prenait déjà de l’avance.

Lorsqu’ils eurent progressé dans le vallon, le chevalier, le champion et la princesse perçurent le tonnerre d’une corne worgro. L’ennemi lançait une nouvel assaut sur Forlacroc.