Séparation

6 minutes de lecture

L’odeur de chair consumée par les flammes saturait l’air environnant. Ces relents abominables, couplés au monticule informe et fondu qui occupait le centre de la terrasse, persuadèrent Owen et Théodore de ne pas traîner ici trop longtemps.

Jetant un ultime regard en direction du brasier magique en devenir, les deux hommes se décidèrent enfin à quitter la tour. Venus à trois, armés de l’envie de sauver le royaume, ils repartirent à deux, oppressés par l’impression d’avoir abandonné une pauvre jeune fille à son sort.

Depuis la Tour du Lion jusqu’à Forlacroc, en passant par le sentier dérobé, pas un mot ne fut échangé entre les deux guerriers. Depuis le début du voyage, une dizaine de jours auparavant, atteindre cet édifice avait représenté leur unique objectif, leur seule raison de vivre. La présence de l’adolescente à leurs côtés leur avait inlassablement remémorés leur mission. Mais à présent que leur promesse auprès d’Aurore avait été tenue et que la princesse les avait quittés, le chevalier et le champion se sentaient déroutés. Privés de leur boussole, l’hébétude les gagnait progressivement. A mesure qu’ils s’éloignaient de la tour, l’incertain les enveloppait d’un manteau d’inconfort.

Tandis que la lune trônait dans le ciel et que les deux hommes s’enfonçaient dans le vallon, aucun cri ni son de bataille ne résonna. Forlacroc se voyait, pour le moment, épargnée par les féroces assauts de la horde ennemie. Des archers aperçurent les deux marcheurs et firent ouvrir la herse orientale de la forteresse.

Des yeux curieux et des mines suspicieuses les accueillirent. Toutefois, le plus impitoyable fut ce silence inquisiteur. Surpassant les plaintes des blessés provenant des fenêtres d’une salle de soins improvisée, leur mutisme s’écriait : « Où est Aurore ? »

Owen questionna Théodore d’un signe de tête et le champion prit la parole.

— Notre princesse, Aurore Cœur de Lion, a, en ce jour, donné sa vie pour raviner le foyer du Lion et, par là même, donner une seconde chance à la magie et à notre royaume. Nous l’avons laissée là-bas.

Une explosion de questions et de surprise gronda dans l’enceinte du fort. Dans le tumulte, la Hyène Nicolas se fraya un chemin jusqu’à Owen pour lui saisir le bras.

— Est-elle morte ?

Ne désirant pas se répéter un nombre incalculable de fois, Owen brandit son bras pour capter l’attention de toute l’assemblée. Repérant son effort et son envie de parler à l’ensemble des hommes et des femmes ici présents, le capitaine Coloyan, bien vite assisté par la Grande-Championne Morgane, appela au calme.

Une fois que le vacarme se fut apaisé, Owen tenta d’exprimer ce qu’Aurore leur avait expliqués dans l’ascenseur de la tour. Il commença par remettre en mémoire que si la magie avait disparu, la cause se trouvait là-haut, au sommet de la Tour du Lion. Le foyer s’était éteint ; ou plutôt, avait été éteint par la main de l’ennemi. En outre, les flammes léonines ne toléraient qu’un seul combustible : le corps de l’Héritière.

Aussi, Aurore avait-elle accompli l’ultime sacrifice, offrant sa vie pour le salut de tous les citoyens koordiens. Cependant, le processus qu’elle leur avait décrit au préalable semblait s’être déroulé d’une manière inattendue dans les faits.

— Au lieu d’être dévorée par le feu, elle l’a comme… avalé, accepté en elle. A la fin, Aurore était encore Aurore. Ce n’est pas le Lion qui s’est présenté à nous.

— Non, confirma Théodore, qui fixait le vide à la recherche de ses souvenirs. Je crois que… ce n’est plus le Lion que nous prierons désormais. Mais la Lionne Aurore.

— Comment cela ? s’enquit Morgane, parlant pour tout le monde. Vous voulez dire qu’elle a refusé de se donner au Lion ?

— Je crois qu’elle a surtout refusé de remettre son destin et celui des siens entre les mains d’une entité céleste. Elle s’est approprié les pouvoirs du notre divinité.

— Mais la magie va revenir, n’est-ce pas ? demanda le capitaine Coloyan.

— Elle nous l’a promis, certifia Owen. Il nous faut gagner du temps cependant, nous a-t-elle précisé. Faisons-lui confiance et anticipons la renaissance des pouvoirs de nos magiciens et de nos champions de la foi.

— Tous les magiciens sont claquemurés dans Forléo, souligna le capitaine de la garnison.

Owen hocha vivement la tête. Selon lui, les champions ici présents devaient gagner puis prévenir la citadelle du retournement à venir dans cette guerre. Ensemble, Théodore et les autres protecteurs pourraient former un bouclier assez conséquent pour escorter les magiciens et libérer la cité. Une fois dans l’Anneau, d’autres champions se joindraient à cette vague salvatrice. Leur victoire reposait sur la progression de leurs lanceurs de sorts et de la célérité avec laquelle ils ouvriraient des portails vers le monde insondable de la magie.

En attendant les renforts, Forlacroc devrait tenir bon avec les unités encore en état de se battre. Owen se lancerait, avec quelques volontaires, à l’assaut des plaines septentrionales. Ils longeraient les Mâchoires pour apporter leur concours aux derniers soldats et, surtout, clameraient la bonne nouvelle.

— L’espoir est le dernier rempart contre la défaite. Ce sera l’espérance de se voir secouru par une armée de magiciens courroucés qui maintiendra debout ces soldats. Du nombre d’hommes et de femmes prévenus dépend le nombre de tombes que nous aurons à creuser après cette foutue guerre.

Un acquiescement général approuva les dires de la Hyène.

La Grande-Championne Morgane, Barnabé, Emma et Oscar se rassemblèrent autour de Théodore.

— Bien, fit Owen. Qui est volontaire pour me suivre ?

— Je te suivrai, dit Nicolas, sans une once d’hésitation. Nous avons déjà parcouru un bout de chemin ensemble. Je ne vais pas t’abandonner alors que la victoire toque à notre porte.

Owen le gratifia d’un sourire amical et sincère, courbant subtilement sa nuque.

— Je te suivrai aussi, lança Ambre.

— Je te suivrai, annonça Henry.

— Nous te suivrons, affirmèrent, d’une voix, Iris et Violette.

— Vostan, récita Bartholomé.

La Hyène borgne remercia chacun des chevaliers d’une inclination de la tête.

— Inutile de nous confier davantage de soldats, dit Nicolas à l’égard du chef de la garnison. Gardez-les auprès de vous et défendez ce bastion avec toute la hargne qu’il vous reste.

— Eh bien, à défaut de vous confier des hommes supplémentaires, laissez-moi vous prêter les chevaux qui piétinent dans l’écurie, déclara le capitaine Coloyan.

L’offre fut acceptée avec entrain, puis tous les cavaliers se préparèrent pour leur dernière mission durant cette bataille. Tandis que des hommes s’occuper de harnacher les montures, Ambre et Théodore se souhaitèrent mutuellement bonne chance. Elle lui fit promettre de revenir le plus rapidement possible avec les magiciens.

— En fin de compte, c’est vous qui serez la plus en danger, remarqua le champion. Obéissez au borgne acariâtre : il saura vous garder en vie. Car j’aimerais beaucoup vous revoir après tout cela. Lorsque les feux de la guerre seront éteints, j’aimerais vous présenter certains paysages que j’ai eu l’occasion d’admirer durant le périple.

— Ce sera avec plaisir, fit timidement la jeune femme.

Ensuite, Théodore rejoignit Owen, qui équipait son cheval. L’heure de leur séparation avait sonné.

— Nous poursuivons chacun de notre côté, hein ? déclara Théodore.

— Eh bien, la petite n’est plus là pour nous obliger à nous supporter, répondit le chevalier sans se retourner.

Le champion fit un sourire exultant.

Finalement, Owen boucla la denière sangle de la selle et dévisagea Théodore.

— Avec tes confrères, chevauchez comme si la survie du monde en dépendait et déchaînez les enfers sur cette engeance putride.

— Quant à toi et les tiens, portez la lumière et l’espoir comme un étendard. Faites qu’il y ait des survivants à secourir quand la Lionne nous rejoindra sur le champ de bataille².

— A vos ordres, champion Théodore.

— Mon frère, fit ce dernier en tendant une main ouverte à son vis-à-vis.

— Mon frère, répondit le chevalier en agrippant sa main. Que la Lionne te montre la voie.

— Que sa crinière soit ta lanterne. Et que son rugissement soit notre courage à tous.












Annotations

Vous aimez lire Florian Guerin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0