Messagers et assassins
Le vent nocturne fouettait ses mèches brunes, tandis que les soubresauts de sa monture le conduisaient vers les imposantes Mâchoires. Impavide, Owen menait la troupe des sept cavaliers au travers du champ de bataille. La puanteur du sang empreignait chaque parcelle de cette terre en feu, et l’odeur odieuse de la chair brûlée se lovait dans son giron.
Les cris viscéraux des koordiens retentissaient dans la vaste plaine bordant les murailles. Mais les beuglements infectes de la horde indomptable les surpassaient sans peine. Partout, la guerre faisait rage. Des projectiles empennés ou issus de la sorcellerie capuchonnaient les landes enragées. Le fer crissait contre le fer, s’enfonçait dans la chair sans jamais ressortir ou se brisait contre les armures. La vitesse déformait en partie ce que voyait la Hyène. Mais dans sa vision latérale, il discernait hélas davantage la sombre teinte de l’envahisseur que le Lion doré de sa patrie.
L’épée au clair, Owen fauchait avec fougue. Une demi-douzaine de Worgros s’étaient allongés dans son sillage, aux côtés des dépouilles gisant sur la terre rouge. Sans se retourner, il entendait les coups acharnés de ses alliés.
Sachant pertinemment qu’ils ne feraient pas la différence par leur offensive, mais qu’ils seraient bien plus utiles en tant que messagers, Owen les fit contourner les amas de guerriers qui se confrontaient. Des étendards à tête de Lion et des bannières de bataillons koordiens flottaient au vent, plantés à même le sol boueux, qui luisait sous la lune. Leur positions permit à Owen d’évaluer l’avancée de la bataille : Koordie reculait sous les assauts sans fin des démons venus de la mer.
Le chevalier jura entre ses molaires. Il cherchait, infructueusement depuis quelque temps, des chefs de bataillon. Au sud des Mâchoires, les capitaines avaient reçu le message et redoublaient d’effort pour tenir la horde en dehors de l’Anneau. Mais, plus au nord, le constat s’avérait moins enthousiasmant. Avaient-ils tous péri ? Ou avaient-ils tous rejoint l’Anneau, se réfugiant derrière le mur de protection ? Ce devait être le cas. Sur cette partie du territoire, seuls les soldats dépourvus d’officiers supérieurs s’entêtaient à combattre hors des murailles.
Soudain, un cor de guerre koordiens sonna au nord. Owen poussa sa monture dans cette direction. Sur son chemin, un Worgro et un homme en armure échangeaient des coups violents. Le chevalier percuta l’ennemi avec son cheval, le faisant tomber au sol, avant qu’un sabot ne lui brise le crâne pour en extraire la cervelle. Le soldat parut d’abord étonné puis, reprenant son sang-froid, remercia son sauveur.
— Tenez bon ! lança la Hyène. La magie vient ! Bientôt, nos lanceurs de sorts rejoindront les rangs. Transmettez le message. Courage, koordiens !
Sur ce, Owen relança sa monture au galop. La piste des appels réalisés avec une corne koordienne mena la Hyène et son équipe droit sur un conflit, sur la partie septentrionale des Mâchoires. Agglutinés entre les deux pans d’une large brèche, les soldats humains dominaient la harde vociférante. Pour combien de temps encore ? La réponse était plus qu’incertaine, puisque le cor ayant tonné avait sûrement annoncé la retraite. Des rochers des forme rhombique et provenant de firmament criblaient leurs défenses. Un suzerain-sorcier les avait indéniablement pris pour cible.
Owen perçut l’accélération de la monture de Nicolas, sur son côté droit. Une fois à son niveau, la Hyène lui fit part de ses pensées.
— Le sud tiendra, fit Nicolas. Mais le nord faiblit dangereusement. De toutes les troupes qui nous avons croisées sur cette partie du champ de bataille, celle-ci est peut-être l’unique à posséder encore son chef. Il doit être prévenu de la renaissance du Lion. Mais toute la bonne volonté ne le protégera pas des assauts du sorcier.
— Que proposes-tu ?
— L’un des nôtres doit lui transmettre le message. Les autres, en revanche, devraient aller mettre un terme aux attaques du suzerain.
— Comment se répartir ? Tu connais mieux tes hommes que moi.
— Envoyons Bartholomé voir leur capitaine. Il est celui qui manie le mieux les mots. Il lui faudra user de cet art pour convaincre le chef de maintenir ses troupes en place malgré l’offensive magique de l’ennemi.
— Très bien.
Owen fit signe à l’ainé du groupe d’approcher. Il lui rapporta succinctement la discussion qu’il venait d’avoir avec Nicolas puis l’envoya rejoindre les soldats qui guerroyaient dans la brèche des Mâchoires. Ensuite, d’un mouvement giratoire de la main, il indiqua au reste de la troupe qu’ils changeaient de cap.
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