Les émissaires de la mort

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Malgré la nuit, Owen repéra sans mal le monstre qui assaillait les Mâchoires de ses projectiles de pierre. Sur l’un des mamelons boisés qui environnaient les murailles, se découpait une silhouette lugubre qui reluisait sous le halo blafard de ses sorts. Elle s’esquissait puis se dissipait au rythme vertigineux de ses incantations. Moins de mille cinq cents pieds, mais tout autant de façons de mourir, les séparaient du suzerain-sorcier.

Cependant, Owen, Nicolas, Henry, Iris, Violette et Ambre chevauchaient sans s’alourdir de quelque crainte. Quitter la protection des soldats koordiens et s’éloigner de cette familiarité rattachée à la capitale du royaume frustra la Hyène borgne. Mais sa gêne ne pesait pas grand-chose face aux douleurs et tourments que subissaient actuellement des milliers d’hommes et de femmes.

Alors, telle une rumeur affleurant l’herbe basse de la sombre prairie, les cavaliers galopèrent vers la colline colonisée. Le tonnerre de leurs sabots grondait, mais pas un seul Worgro ne remarqua leur percée. Couvert par la nuit, les arbres et les courbes du terrain, la troupe d’assassins rejoignit sa destination sans la moindre embûche.

Au pied du haut monticule de terre, Owen recommanda de laisser les montures. Ils attachèrent avec diligence leurs rênes autour des arbres à proximité, puis s’engouffrèrent dans la dense forêt. Dès lors, le fracas de leur chevauchée laissa place au silence meurtrier de leurs pas agiles et entrainés. Ici, les relents boisés supplantaient l’odeur âcre du sang, qui se mêlait aux relents nauséabonds exhalant des entrailles entaillées. Même la confusion assourdissante de la bataille se voyait étouffée par le sinistre chuintement des frondaisons.

Le bruit des feuilles secouées par le vent semblait réagir aux envies macabres qui habitaient les six chevaliers. Plus ils approchaient de leur proie, plus les branches s’agitaient et plus l’inquiétante ballade du bois paraissait s’obscurcirent. Bientôt, le suzerain-sorcier se dessina entre les troncs noirs.

Les assassins se faufilèrent d’abri en abri, esquivant les regards alertes des gardes Worgros. L’attention accaparée par son art terrifiant, le sorcier ne remarqua pas la disparition de ses alliés. Avalés par l’obscurité, les pendards bredouillèrent des appels à l’aide. Mais le sang qui s’accumula dans leur gorge tranchée anéantit tout espoir d’être entendus.

Les chevaliers agirent avec une célérité qui leur était propre. Par chance, seules des femelles Worgros flanquaient ce fieffé sorcier. Les mastodontes en charge de sa protection se dressaient plus loin sur la colline, observant l’avancée de la bataille.

Lorsque l’escorte fut réduite à néant, Owen envisagea un plan d’attaque plutôt ingénieux pour en terminer rapidement avec le suzerain. D’une main brandie au-dessus de sa tête, la bête sauvage invoquait une énergie indescriptible qui façonnait des projectiles en pierre brute. Une fois la roche complète, elle fusait, sous le commandement du sorcier, droit sur les Mâchoires. Il se passait donc deux à trois secondes durant lesquelles l’imposante pierre patientait, suspendue au-dessus du Worgro.

Et, comme si une connexion naturelle s’établissait entre les esprits des chevaliers, entrainés dans des écoles distinctes, certes, mais ayant tous reçu une formation commune malgré tout, Owen n’eut pas besoin de prononcer un seul mot pour que ses confrères entrevoient son plan. Il précisa toutefois l’ordre des attaques.

Ensuite, ils patientèrent, tapis dans l’obscurité qu’ils avaient faite leur. Puis, au moment opportun, alors que le monstre parachevait son œuvre destructrice, Owen lança son offensive surprise. Il taillada le bras du Worgro dans le creux du coude, puis s’écarta pour frapper son jarret d’une cinglante botte. Les uns après les autres, dans la chronologie qu’avait établie la Hyène borgne, les chevaliers surgirent de leur cachette pour suivre le même schéma que celui adopté par leur meneur.

A six reprises, le bras du suzerain encaissa le tranchant d’un fer affilé. A six reprises, son jarret supporta un supplice similaire. Ce fut si brusque, si brutal, qu’il perdit sa concentration et, par la même occasion, le contrôle de son projectile magique. Appelé par la gravité, le rocher fracassa le crâne du sorcier.

Cependant, comme si son ire s’abreuvait de douleur, le Worgro n’apparut que plus menaçant après cet assaut fugace. Sans que les chevaliers ne puissent trouver le temps de réagir, le sorcier planta ses griffes dans la gorge de Nicolas et lui arracha le larynx.

Médusé par cette hargne, Henry reçu de plein fouet un coup dans le ventre. Owen perçut le craquement de ses côtes, pourtant à au moins dix pieds de lui. Le chevalier s’écroula, vomissant un flot de sang répugnant.

Ne se départissant pas pour autant de son flegme, Ambre transperça le côté du cou de son ennemi. Le Worgro voulut la saisir, mais elle se déroba aisément. Violette asséna un ultime coup vertical sur le bras déjà endommagé du suzerain. Le membre se sectionna, laissant s’écouler une cascade de liquide noirâtre. Un cri rebutant retentit, lézardant la santé mentale des chevaliers.

Trop proche, Violette se boucha les oreilles de ses deux mains. Le monstre en profita et lui saisit l’épaule de sa main restante, avant de l’attirer à lui. De ses dents pointues, il perfora la gorge et une partie du trapèze de Violette.

Alors, la rage d’Iris tempêta dans le bois. Le Loup bondit sur le dos du colosse ténébreux, puis le roua de coups avec son poignard.

Owen mit à profit cette occasion pour chercher à immobiliser le monstre, en tranchant définitivement sa jambe, au niveau du genou. Il abattit son épée une fois, deux fois, puis Ambre se joignit à ce labeur de bûcheron. Le Worgro, qui ne parvenait pas à se délester de la grimpeuse, privilégia la suppression des deux assaillants au sol. D’une gifle à la fermeté sans égale, le suzerain balaya Owen.

Perdant toute notion de sens et d’équilibre, la Hyène heurta un tronc d’arbre. Sa vision se troubla et un liquide chaud serpenta sur son visage. Palpant sa figure, Owen comprit que la plaie à son œil inapte venait de se rouvrir. La perte de sang le fit vaciller et, malgré ses efforts pour se redresser, il resta le dos cloué à l’écorce.

Du revers de la main, le suzerain fractura la mâchoire d’Ambre, qui tomba inconsciente au sol.

Réalisant qu’il ne restait plus qu’Iris pour affronter cette chose immortelle, Owen réunit toute la volonté qui subsistait en lui et, s’arc-boutant sur sa lame d’Ours, se remit sur ses pieds. Il traîna sa carcasse en sursis jusqu’au lieu du duel et planta son épée longue dans la trachée du sorcier. Cette ultime attaque, dont l’efficacité fut accrue par les multiples lésions que le Worgro portait déjà sur lui, détermina l’issue du combat.

Prenant soudain conscience que presque l’entièreté de son sang nourrissait les plantes au sol, le suzerain-sorcier s’écroula, inerte. Owen délogea son épée et aida, Iris à se redresser. Ses cheveux humides étaient collés contre son visage en sueur.

Hagards, la Hyène et le Loup balayèrent les alentours du regard. Allongé sur le dos, Nicolas gazouillait, se noyant dans son sang. Plus loin et en position fœtale, Henry continuait de cracher des gerbes carmins. Gesticulant comme une vers de terre amputée, Violette tentait tant bien que mal de contenir l’hémorragie. Finalement, Ambre n’esquissait pas le moindre mouvement, perdu dans le royaume de l’inconscient, ou celui du trépas.

Iris se précipita vers sa sœur pour l’aider. Mais que pouvait-elle y faire ? Violette mourrait d’ici peu.

Soudain, des grognements alertèrent la Hyène. Entre les sinistres troncs d’arbre, trois silhouettes venaient dans leur direction. Par leur carrure massive et leur posture bestiale, Owen inféra leur identité : des mastodontes.

La lune frappait leur dos, les auréolant d’une aura spectrale. Les émissaires de la mort approchaient.





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