Revanche

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Des serpents électrisants sinuèrent de ses paumes de main jusqu’à ses coudes. Une douleur lancinante, accompagnée d’un plaisir entraînant, grouilla jusque dans le moindre de ses os. Les yeux clos, Théodore apprécia chaque étape de sa renaissance. Champion, il était tombé sur les plages d’Orion ; Grand-Champion, il briserait l’engeance maléfique qui étranglait Forléo.

La magie s’emparait de lui. Le Lion rugissait dans son cœur. Non, Aurore la Lionne rugissait… Envoûté par les vapeurs issues d’autres mondes, Théodore sentait la jeune princesse à ses côtés. Elle se trouvait là, à quelques pas devant lui. Mais aussi plus loin, sur sa droite. Sur sa gauche, également. Elle flottait en surplomb, et grouillait sous les fondations de la capitale. Partout, Aurore s’insinuait et, partout, elle transmettait son pouvoir.

Théodore dressa son bras vers le champ de bataille. Ses doigts émirent de fins éclairs d’albâtre, qui se croisèrent à un demi pied devant sa paume. Le Grand-Champion les avaient toujours vus ainsi : des serpents laiteux se ruant sur leur proie ; une proie qui n’était autre le monde lui-même. Les reptiles éthérés tiraillaient la faille de leur victime, jusqu’à ce que sa peau ne se déchire et ne laisse une brèche vers l’autre monde, dans un sifflement strident.

L’ouverture astrale laissa jaillir de la lumière plus blanche que l’aube. Théodore focalisa son attention sur la lésion du monde, manipulant avec minutie les serpents immatériels. Ils dépêcha ses serviteurs longilignes dans l’autre réalité, pour en extirper l’énergie qu’il requerrait. Cette image mentale l’aidait à mander les forces magiques. Palper à nouveau ces ondes insondables galvanisa le Grand-Champion.

Lorsqu’il considéra son emprise sur les énergies de lumière assez solide, il propulsa ces dernières dans son propre monde. Un éclat éblouissant fendit le silence et l’obscurité de la nuit, faisait passer le tapage des combattants pour un doux brouhaha et lune flanquée d’étoiles pour de pales étincelles. Théodore dompta le jet fulgurant pour qu’il stagne devant lui. Ensuite, par sa volonté, il modela le fluide lumineux afin de former un dôme, s’incurvant pour bloquer les attaques ennemies. La magie se stabilisa et façonna elle-même des écailles à la splendeur sans pareille tout autour de la bulle défensive.

La satisfaction s’empara de Théodore, comme une amante aillant trop longtemps attendu celui qui détient son cœur. Les sphères protectrices d’Oscar, d’Emma et de Barnabé mélangèrent leurs corps à celle du Grand-Champion, dans un bruit assourdissant, pour ne former qu’un seul et colossal globe d’un blanc aveuglant.

Ainsi parés, les champions firent marche vers l’Anneau. Sur leurs talons, les magiciens ouvraient leurs propres portails vers des mondes sans noms, emplis d’énergie saccageuses.

****

Owen se jeta dans la bataille sans aucune hésitation. Jamais, il n’avait combattu aux côtés des soldats de Kirithe, mais il connaissait leurs prouesses martiales. Quelle autre nation pouvait se targuer de tenir tête aux magiciens de Koordie ?

Les muscles tendus, l’épée dansant autour de lui, la Hyène perça une trouée dans la horde malfaisante. L’armée kirithienne progressait telle une barrique de bière roulant sur des insectes attirés par l’humidité de la cave. Derrière eux, ne subsistaient que des relents âcres de sang, des corps évidés et des excréments. Leurs bottes de métal broyaient le maillage de fer comme la chair.

Owen et ses compagnons chevaliers participaient allègrement à ce massacre unilatéral. Poussant des cris d’effort et de satiété, la Hyène savourait sa revanche. Le liquide sombre des bêtes sauvages giclait sur son armure et sur son visage, si bien qu’il goûtait, à son grand regret, à son acidité.

Tout ceci s’avérait possible grâce à l’intervention d’Aurore et de son pouvoir léonin. Les magiciens déversaient leur fureur sur de nombreux flancs du champ de bataille. Au loin, Owen apercevait l’éclat, parfois lugubre, parfois chatoyant, du courroux magique provenant de Forléo. Une gigantesque bulle de lumière protégeait les lanceurs de sorts. Owen ne se faisait donc aucun souci pour eux : Théodore se dressait à leurs côtés.

Ici, en revanche, la magie ne faisait pas qu’illuminer le conflit. Elle pétardait les lignes adverses dans un vacarme sans nom. Le feu explosait, la glace crissait, le roche tempêtait et les énergies inqualifiables par des mots humains produisaient des sons si étranges qu’Owen plaignait les magiciens devant en faire usage.

Les Worgros geignaient, tandis que leurs chefs vociféraient de ordres indiscernables. Mais l’étau se refermait sur la horde. Le marteau kirithien et l’enclume koordienne fracassaient leurs rangs à grands coups d’épées et de salves magiques.

Certains Worgros prirent donc des initiatives, certaines insensées qui les menèrent plus rapidement encore devant Celle à la faux, d’autres punitives et basses. Pris dans la tempête de l’affrontement, Owen ne repéra qu’au dernier moment une femelle Worgro qui se faufilait avec audace et succès entre les blasons kirithiens. Elle ciblait un groupe de magiciens, composait de plusieurs apprenties.

Trop loin pour intervenir immédiatement, Owen demanda de l’aide. Toutefois, personne ne l’entendit. Lorsqu’il identifia Oaïna dans le groupe en question, la Hyène prit ce sauvetage comme une mission personnelle. Il s’élança donc à contresens de la marée humaine et meurtrière.

La maître-magicienne qui dirigeait les enfants lanceurs de sorts tenta de contrer l’offensive agile et sauvage de la femelle Worgro. Mais un feu de haine l’animait. Elle esquiva le jet d’énergie émeraude de la magicienne d’un bond félin, puis se rua sur elle. De sa dague irrégulière, elle lui taillada la gorge.

Owen poussa un cri désespéré, ce qui attira l’attention de la femelle Worgro. L’un des apprentis lui projeta une sorte de créature de lave au visage, puis Owen lui trancha la tête.

La seconde suivante, Oaïna soignait sa mentore à l’aide de sa pluie de vie. Les enfants le remercièrent pour son intervention. Pourtant, pantois, il sentit en lui affleurer l’idée que ces apprentis n’avaient jamais eu besoin de son aide. Il se remémora alors les paroles de Maître Grégory. Ces enfants côtoyaient des forces qu’aucun homme ne devrait même imaginer.

Oaïna le rejoignit et le félicita pour sa vivacité d’action. Dernière son sourire attendrissant, Owen entrevit la dompteuse d’énergies aussi mystiques que terrifiantes.

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