Le peuple koordien

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Le soir de la victoire, nulle célébration ne retentit à Forléo. Comme le voulait la coutume koordienne, sous trois lunes consécutives, les hommes et les femmes adressèrent des requiems à leurs proches défunts et à tous ceux ayant donné leur vie pour la sauvegarde du royaume. Les peuples non humains transportèrent leurs morts jusque dans leur foyer. Chacun se voyait libre d’effectuer ses adieux comme il le souhaitait.

Les nuits étant réservées à ceux partis trop tôt, la journée était consacrée à la reconstruction du pays. Les Mâchoires en furent les premières bénéficiaires. Owen et Théodore participèrent évidemment aux grands travaux, considérant cette tâche aussi honorable que les combats qu’ils avaient menés les jours précédents. La Hyène sourit en constatant l’amas de roches qu’avaient réussi à ériger les soldats durant la chevauchée assassine des chevaliers. Il fallut toutefois tout déblayer pour tout reconstruire.

Ce labeur épuisant mais enthousiasmant mit sur un pied d’égalité tous les individus s’y attelant. Il n’y eut, durant ces trois jours de deuil, plus aucun grade militaire. Les chefs de travaux donnaient des ordres similaires aux jeunes soldats et aux commandants de guerre. C’est ainsi qu’Owen, chevalier Hyène, travailla dans la même équipe que le capitaine Coloyan, qui avait dirigé l’entièreté de la garnison de Forlacroc les jours précédents.

Théodore rendit visite à Morgane à chaque nouvelle aube. Elle n’était restée alitée que le premier jour, grâce à l’efficacité des soins magiques de plusieurs experts. Mais, par mesure de sûreté, les soigneurs avaient préféré qu’elle demeure à la capitale car son corps avait perdu une quantité considérable de sang. L’ancienne Grande-Championne bouillonnait, enfermée comme une prisonnière de guerre entre les murs épais de la capitale. Leurs discussions s’attardaient sur des broutilles et des formalités, quand elles ne concernaient par les missions et le rôle des Grands-Champions. Théodore lui proposa à plusieurs reprises, non sans insistance, de reprendre son titre. Obtuse, elle refusa fermement. Selon elle, il méritait son statut. Et les rapports militaires qu’elle avait interceptés à propos de la bataille pour l’Anneau n’étaient pas là pour la contredire.

Owen passa son maigre temps libre avec Espérance. La regarder sourire, l’écouter rire, partager son dîner avec elle, l’affronter dans des duels héroïques et fantasmés avec des armes en bois… Chaque instant passé avec sa fille relevait d’un bonheur que le chevalier avait presque enterré au fil de son éprouvante aventure.

Fatalement, ils abordèrent le sujet de Marie, femme et mère. Espérance avait assisté à sa chute. Elle l’avait vue quitter ce monde, dans la souffrance et les cris. Et si Owen s’était attendu à épuiser le tissu de sa manche pour essuyer les larmes de son enfant, il se figea de stupéfaction face à la force de caractère d’Espérance. La petite fille conserva ses larmes de tristesse pour elle, et offrit à son père celles qui provenaient de la joie de le retrouver, lui. Owen comprit plus tard qu’elle avait vécu les mêmes épreuves que lui : un doute viscéral quant à la survie d’un membre de sa famille.

Le deuxième jour après la bataille décisive, la Hyène demanda à sa fille comment elle était parvenue à échapper aux griffes des Worgros. Le soir venu, lors de cérémonie mortuaire, elle lui désigna un grand homme, charpenté comme un taureau. Owen le remercia et l’intéressé, qui se présenta comme un champion, rectifia les dires d’Espérance. Si c’était bien lui qui avait pris la petite sur son cheval pour la sortir des flammes de la ville moribonde, c’était le champion Arthur qui avait ordonné à ses hommes de secourir autant de survivants que possible malgré l’acharnement de la horde ennemie. Owen lui souhaita une bonne fortune avant de s’adresser au dénommé Arthur.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’en interpellant le sauveur de sa fille, il le trouva avec la petite Oaïna dans les bras. A ses côtés, se tenait une petite femme aux traits aquilins et au teint mat, caractéristiques des îles orientales, dont le royaume de Torrin faisait partie. L’apprentie magicienne avait donc retrouvé son père et sa mère. Oaïna sauta de joie en apercevant la Hyène. Les deux familles partagèrent la soirée ensemble, et Owen ne put nier l’ironie du fait que, si Arthur avait sauvé Espérance, c’était Oaïna qui avait préservé la vie du chevalier, d’abord par ses mots puis par sa magie.

Au lendemain du troisième jour de veillée, la Lionne se matérialisa sous les yeux ébahis de tous les koordiens rassemblés dans l’enceinte de l’Anneau. Elle avait prévenu les peuples qui étaient retournés sur leur territoire pour que tous sans exception soient présents ce jour-ci. Elle débuta en se présentant : autrefois Aurore Cœur de Lion, fille ainée du Roi Martial Cœur de Lion et princesse du Royaume de Koordie, elle était désormais la Lionne.

Elle s’exprima ensuite sur la raison de son existence. Elle avait refusé d’être consumée dans le foyer du Lion, pour servir sa renaissance. Au contraire, elle avait lutté contre lui pour hériter de sa place. Elle croyait fermement au fait qu’elle pouvait apporter quelque chose de nouveau à Koordie et au monde libre. Malgré sa jeunesse, elle avait beaucoup appris durant ses voyages, surtout au cours de ces derniers jours. Bénéficiant tout de même de la sagesse du Lion, qu’il avait accumulé des siècles durant, elle se sentait capable de réunir sous son rugissement, plutôt qu’effrayer et disperser.

L’humanité dont elle fit preuve plongea les citoyens koordiens dans un état dubitatif. Qui avait-il véritablement en face d’eux ? Une divinité ou une fillette ayant voulu prouvé sa valeur ? C’était la première fois qu’ils contemplaient le visage de leur protecteur céleste, et cela ne faisait qu’accentuer leur stupéfaction. Owen et Théodore surent qu’Aurore aurait préféré une autre réaction de la part de ses sujets. Mais avec le temps, Aurore finirait par démontrer sa force et l’importance de ses desseins.

Les derniers mots de la Lionne furent : « Entraidez-vous pour rebâtir Koordie. Ne laissez pas ceux des villes poser toutes les briques eux-mêmes et ne délaissez pas ceux qui vivent au plus profond des forêts. Car nous sommes un seul et même peuple, et cette guerre nous l’a prouvé. Nous sommes le peuple koordien. »

Puis, dans un éclat mêlant foudre et flammes, la Lionne s’évapora. Nul ne sut où elle alla. Mais des années plus tard, tous reconnaîtraient la trempe et la vaillance de leur divinité de magie, tout comme Owen et Théodore l’avait fait durant cette aventure.

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