Chapitre 8

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Amélie se leva le mardi matin avec une migraine phénoménale qui ne la quitta pas de la matinée, aussi Denise et sa mère restèrent silencieuses, sachant que cela était indirectement leur faute. Ce qui égaya néanmoins la journée d’Amélie fut de croiser le regard de Mévina en arrivant au lycée. Elle se rappela sa mission du soir et ne put s’empêcher d’être impatiente d’essayer cette invocation.

Lorsque ce don s’était éveillé en elle, les esprits avaient d’abord tous afflué vers elle, la plupart avec une requête, un désir d’accomplissement pour pouvoir reposer en paix ; d’autres par curiosité, perdus dans les limbes, désirant passer le temps, renouer avec le vivant. Ceux-là étaient pénibles à supporter, mais relativement inoffensifs. Mais rapidement, il y en avait eu d’autres, plus anciens et beaucoup plus terrifiants, ceux-là avaient perdu toute trace d’humanité et étaient envieux des vivants, ceux-là mêmes que l’on appelait « mauvais esprits ».

Un esprit qui ne trouve pas le repos finira presque immanquablement par se transformer ainsi : une espèce d’ombre informe, inexpressive, qui porte avec elle la dépression, la folie, la terreur. C'était eux qui avaient presque porté Amélie au bord du suicide, suite à la découverte de ses dons, alors qu’elle n’avait que douze ans. Petit à petit, une dizaine d’entre eux s’étaient agglutinés à elle, aspirant toute forme de joie, de plaisir, de désir de vivre, ne laissant que désespoir et effroi. Ce fut dans un moment de terreur, alors qu’ils se montraient agressifs, l’entourant de ténèbres, s’approchant de plus en plus d’elle, tentant de la toucher, de la posséder, répandant une sensation glaciale et cinglante, qu’un instinct de survie des plus primaires s’était éveillé en elle, lui donnant le désir de détruire ces esprits. Ce qu’elle parvint à faire avec une aisance déconcertante, tout en la vidant de son énergie. Ce fut à ce moment-là également qu’elle découvrit qu’elle pouvait aussi se nourrir d’eux. Dévorer un esprit lui apportait une énergie spirituelle considérable, mais cela était terriblement addictif, telle une drogue, il lui en fallait toujours plus : c’était ainsi que la commune où elle vivait alors était passée de plusieurs milliers d’esprits à zéro en quelques années. Il lui avait alors fallu se sevrer, ce qui n’avait pas été évident. À présent, lorsqu’une âme trépassait, elle se faisait un plaisir de la contrôler pour l’amener à elle, puis de la dévorer. Juste au cas où. Amélie appréciait ne pas être dérangée. En revanche, elle n’avait jamais invoqué l’esprit de qui que ce soit, elle était curieuse de voir comment cela allait se passer. Elle songea par ailleurs qu’il lui faudrait se contrôler pour ne pas dévorer cette âme… du moins pas tout de suite.

La matinée passa lentement, la migraine pulsant à ses tempes. Lorsqu’enfin arriva le dernier cours du matin, un cours de physique, un devoir surprise vint briser la bonne humeur de tout le monde. Amélie soupira, sa migraine s’était un peu atténuée, mais la douleur était toujours là.

Le professeur distribua les sujets et lorsqu’Amélie le retourna, elle fut soulagée de voir qu’il n’y avait aucune question piège, elle commença aussitôt à rédiger sans passer par un brouillon sous les regards noirs de ses camarades de la table voisine.

« Tu as oublié la retenue. » murmura Denise.

« Shhhhh ! Tu ne dois pas l’aider, il s’agit de contrôler ses connaissances ! » protesta sa mère.

- Ce n’est pas grand-chose, elle l’aurait même vu en se relisant je suis sûre !

- Certainement ! Alors, pourquoi l’aider ?

- Je ne sais pas ! Pour l’aider précisément : lui faire gagner du temps ?! »

Amélie fulminait, c’était ainsi à chaque fois… Cumulé au mal de tête, c’en était trop. TAISEZ-VOUS ! hurla-t-elle intérieurement tout en frappant les poings sur la table, ce qui ne manqua pas d’attirer les regards sur elle, dont quelques gloussements de moqueries. Malheureusement cela ne fit qu’aggraver les choses…

« Tu vois, c’est ta faute ! Tu aurais mieux fait de te taire depuis le début !

- Ma faute ?! Je n’ai fait que lui donner une petite aide, c’est toi qui as jugé utile de nous prendre la tête avec ta pseudo morale !

- Ne retourne pas l’erreur contre moi ! On sait très bien que ce n’est pas une aide généreuse ! Non seulement tu veux montrer ô combien tu es intelligente, mais tu veux surtout profiter de son corps ! Mais j’ai une nouvelle pour toi, c’est précisément son corps !

- Tu peux parler ! Toi tu cherches juste à prouver que tu aurais pu être une bonne mère ! J’ai un scoop pour toi ! C’est trop tard pour quoi que ce soit !

La dispute s’intensifia sous le crâne de la lycéenne, leurs voix envahissaient complètement son esprit, terrassant son propre ego… Cette situation était très rare depuis qu’elle maîtrisait mieux ses pouvoirs, mais à cet instant c’était catastrophique pour Amélie qui commença à suffoquer.

« Stop… arrêtez… ARRÊTEEEEEEZ !! »

Sa gorge était atrocement sèche, sa vision s’assombrissait, elle sentait qu’elle perdait pied… Les voix de Denise et de sa mère, indifférentes à son malaise, continuaient d’envahir le monde autour d’elle, bien qu’elle distinguât vaguement des éclats de rire quelque part, ses membres étaient lourds, sa vision se réduisait à présent à la pointe d’un stylo qui tomba au ralenti d’une main, certainement celle de Denise. Amélie ? Elle n’existait plus à cet instant. Sa conscience écrasée, elle s’effondra sur sa table, inconsciente.

Amélie reprit connaissance une demi-heure plus tard à l’infirmerie. On l’avait allongée dans un lit et l’on avait tiré les rideaux de la pièce pour ne pas l’éblouir à son réveil.

Elle cligna lentement des yeux. Sa tête lui faisait un mal de chien… Elle se rappela aussitôt ce qui s’était passé et réalisa alors qu’enfin sa mère et Denise avaient cessé de se disputer. Mais à cet instant, elle fulminait contre elles, si bien que ni l’une ni l’autre n’osa s’exprimer, pas même pour s’excuser. On parlera de ça plus tard, pour l’instant, restez muettes ! leur intima-t-elle mentalement.

Amélie prit plusieurs longues inspirations pour réduire sa tension et calmer sa migraine. Lorsqu’elle eut l’impression d’aller un peu mieux, elle se redressa sur le lit, une légère nausée la saisit, mais elle parvint à s’en débarrasser à force de concentration. Elle leva ses mains et fit des mouvements rapides pour toucher chaque doigt avec son pouce. Satisfaite, elle serra ses doigts de pied dans ses chaussures, leva une jambe, puis l’autre. Son corps lui répondait parfaitement, elle était soulagée. Elle s’apprêtait à se lever quand la porte s’ouvrit sur l’infirmière du lycée, une femme petite et ronde, la mine constamment renfrognée.

« Ah vous êtes réveillée ! C’est bien, c’est bien. Mais restez allongée, il ne faudrait pas refaire un malaise.

- Je vais bien, je n’ai pas beaucoup mangé ce matin, ça ira mieux après un bon repas.

- Vous êtes certaine ? Je pense qu’il serait plus raisonnable de rester allongée et d’appeler vos parents pour qu’ils viennent vous chercher ! »

Amélie soupira, inquiéter ses parents était la dernière chose dont elle avait besoin.

« Non. Je vous le dis, ça va maintenant ! Je vais aller au self et tout ira bien !

- Baissez le ton mademoiselle ! Ce n’est pas à vous de décider, s’il vous arrive quelque chose, c’est l’établissement et moi-même qui serions responsable ! »

Amélie prit une profonde inspiration. Un coup de main ne serait pas de refus de la part de celles qui m'ont causé ces ennuis… Denise ? L’intéressée murmura une formule latine qui sembla hypnotiser l’infirmière.

« Maintenant, vous allez supprimer le dossier que vous étiez en train de rédiger sur l’incident qui me concerne, dire à vos supérieurs qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter et vous allez me laisser sortir sans m’ennuyer, on est d’accord ?

- Oui, Mademoiselle. Bonne journée.

- Merci. »

Amélie descendit du lit dans un bond et quitta l’infirmerie, laissant sa responsable groggy.

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