Chapitre 11

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Il pleuvait sur la capitale, ce qui réduisait son champ de vision. Kevin était perché sur un réverbère, elle lui ordonna de se rapprocher au maximum du démon. Le familier s’envola et se posa sur un rebord de fenêtre. Amélie vit Elias assis dans le noir sur un lit, le visage contrarié. Le corbeau tapa la vitre de son bec et coassa. L'intéressé tourna un regard sombre vers lui. Il se leva et vint ouvrir la fenêtre.

« C’est toi Amélie ? »

Le corbeau croassa et s’ébouriffa en guise d’acquiescement. Elias eut un sourire qui n’avait rien de chaleureux.

« Je suppose que tu viens aux nouvelles ? Laisse-moi quelques jours pour concentrer mes forces et le monde agonisera à tes pieds. »

Le corbeau croassa et s’envola pour retourner sur le réverbère.

Amélie revint à elle, un peu déçue. Il lui faudrait être patiente, encore un peu. Elle rouvrit les yeux et prit un autre gâteau. Mévina s’était un peu calmée, elle semblait moins tiraillée, plus déterminée.

« Tu as pris une décision ? »

Sa camarade leva les yeux vers elle, elle n’était clairement pas convaincue de faire le bon choix, mais elle avait pris sa décision.

« Appelle-la. »

Amélie cacha son enthousiasme, cette expérience la sortait de la monotonie de son quotidien, elle exultait.

« Je vais avoir besoin de ta participation… » déclara Amélie avec un léger sourire aux coins des lèvres.

Face au regard interrogateur de sa camarade, elle poursuivit.

« Mon sang est puissant, mais il est étranger à ta sœur, il me faut quelques gouttes du tien. »

Le visage de Mévina se décomposa. Elle déglutit avec difficulté et hocha mollement la tête avant de tendre sa main, tout en fermant hermétiquement les yeux. Amélie, insensible, fit une légère entaille à l’index et fit couler une goutte de sang sur la photo, par-dessus laquelle elle mit la boule de cheveux, puis, comme répondant à une directive impérieuse et sans savoir réellement pourquoi, elle porta l’index à sa bouche pour goûter le sang, s’en imprégner, ce qui fit sursauter Mévina qui blêmit davantage, mais n’osa pas protester. Amélie sentit un frisson la traverser, elle s’en délecta. Elle secoua la tête et reporta son attention sur sa mission, saisit la main de Mévina et se concentra sur le portrait écarlate d’Orianne à travers les nœuds de cheveux.

« Orianne… » murmura la nécromancienne tout en fermant les yeux.

Elle était déterminée à la faire venir à elle. Amélie sentait ses sens plus aiguisés, elle sentait quelque chose répondre à l’écho de ses appels, mais cette chose était elle aussi déterminée à garder ses distances. Amélie tenta de nouer un lien comme elle le faisait avec les esprits qu’elle voyait afin de les attirer (et de les dévorer en règle générale !), mais elle échouait misérablement. C’était comme lancer une corde dans le vide.

« Tu es trop ancrée dans le monde vivant pour la toucher. »

Susurra une voix sèche au creux de l’oreille d’Amélie qui sursauta et rouvrit les yeux, le cœur battant la chamade.

Lorsque les morts s’adressaient à elle, elle les entendait comme à travers une fine cloison, leurs voix étaient claires, mais n’appartenant plus à ce monde, elles n’avaient plus la même tonalité que celles des vivants. Denise et sa mère, faisant partie d’elle, elle les entendait dans sa tête, comme on entend ses propres pensées. Cette voix-là… il lui semblait que quelqu’un de bien vivant lui avait parlé à l’oreille. Amélie se tournait et se retournait, cherchant l’esprit qui l’avait interrompu. Mévina n’osait toujours pas parler, mais son visage trahissait son anxiété.

« Montre-toi ! ordonna-t-elle agacée.

Seul un rire résonna aux oreilles d’Amélie, un rire froid qui lui glaça le sang.

« Tu ne te souviens vraiment pas de moi ? Je suis déçu… Tant pis »

Amélie tenta tant bien que mal de réprimer un frisson. Cette voix était cinglante et avait une tonalité terrifiante, comme un mauvais présage.

« Permets-moi de te donner un conseil, si tu veux accéder au monde des morts, ferme tes sens, ferme tes yeux sur le monde des vivants et ouvre ton troisième œil, celui qui perçoit, celui que la Mort t’a donné avant que tu ne la rejettes par ton premier souffle… À bientôt… »

Amélie tentait de garder son sang-froid, mais cette voix était perturbante, cette situation même était déconcertante. Par ailleurs, elle s’étonnait que Denise et sa mère ne soient pas intervenues.

« Maman ? Denise ? Vous avez entendu ça ? Qu’est-ce que c’était ? demanda Amélie intérieurement.

- Entendu quoi ? » Répondit sa mère, vaseuse. « C’est étrange j’ai l’impression de me réveiller…

- Denise ?

- Je n’ai rien entendu non plus et j’ai la même sensation d’engourdissement… C’est très étrange…

- Qu’as-tu entendu ?

- Peu importe… On discutera de ça aussi plus tard… »

Mévina observait Amélie avec une inquiétude croissante dans le regard, à cela s’ajoutait un soupçon de doute : avait-elle fait une erreur en demandant de l’aide à cette fille étrange et en venant jusqu’ici ? Elle se mordit les lèvres avant d’oser prendre la parole.

« Est-ce que ça va ? Tes yeux… Ton visage…

Amélie haussa les épaules d’un air négligé.

- Ce n’est rien, j’ai été interrompue, on reprend.

- Tu es sûre que ça va ?

- Oui. »

Amélie avait répondu sur un ton plus sec qu’elle ne l’aurait voulu. Cette soirée commençait à tirer en longueur et la fatigue cumulée ces derniers jours mettait à mal sa patience. Je m’occuperai de cette voix, de cet esprit plus tard… songea-t-elle pour elle-même alors qu’elle reprenait la photo dans sa main. Elle allait reprendre la main de Mévina, mais les mots et « conseils » de la voix lui revinrent, elle reposa finalement sa main sur son genou et ferma les yeux.

Elle fit le vide dans sa tête, faisant abstraction de la lourdeur de son corps, de la rugosité de son jean sous sa main, de la photo dans son autre main. « Ouvre ton troisième œil, celui qui perçoit, celui que la Mort t’a donné » Un frisson traversa son échine en se remémorant la sécheresse de cette voix. La phrase tournait en rond dans sa tête, cherchant le sens. Denise, qui entendait ses pensées, se permit un commentaire, malgré le silence imposé par Amélie.

« Je ne sais pas qui t’a dit cela, mais le troisième œil, celui de la Mort, c’est celui qui te permet de voir les morts, mais c’est aussi celui qui te permet de voir à travers tes créatures. »

Cette explication énerva Amélie.

« Et tu n’aurais pas pu m’expliquer cela plus tôt ? Lors de mes premières créations par exemple ? »

Denise ne répondit pas, certainement gênée. Amélie réfléchit. Lorsqu’elle voulait voir à travers ses corbeaux, elle les sentait comme une part d’elle-même et se concentrait sur l’un d’eux pour accéder à ses yeux. Jusque-là, pour atteindre Orianne, elle s’était contentée de rester à sa place et de l’appeler… dans le noir artificiel de ses yeux fermés. Elle connaissait le visage de l’esprit qu’elle cherchait, elle avait entre les mains des cheveux de l’être qu’elle avait été et dans sa bouche, subsistait encore légèrement le goût ferreux du sang de Mévina, sa sœur. Elle comprit que si elle voulait la trouver, il lui suffisait de réellement le vouloir.

* Petit aparté pour savoir ce que vous pensez de ce début de roman ! =) *

* Que pensez-vous d'Amélie, de son caractère, de sa soif de sang ? *

* Côté rythme, l'histoire se déroule-t-elle assez vite ou y-t-il des passages que vous trouvez inutiles et pourquoi ? ou au contraire, y-t-il des choses pas assez approfondies selon vous à ce stade du roman ? *

* Comment va se passer la suite de cette invocation selon vous ? *

* Hâte de lire vos impressions et de vous faire découvrir la suite ^^ *

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