Chapitre 14

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« Qu’entends-tu par « instable » ?

- Lorsqu’une personne meurt, plusieurs choses peuvent se produire pour son âme. Si la personne est en paix, l’âme disparaît, elle va au paradis ou en enfer ou disparaît complètement, je ne sais pas ! Mais ces esprits ne restent pas et je ne peux pas les contacter. Mais si la personne meurt avec des regrets, un besoin de vengeance ou dans des conditions violentes, son âme erre sur Terre jusqu’à disparaître… Mais le plus souvent, ces âmes deviennent ce que j’appelle des esprits noirs, des spectres... Des mauvais esprits si tu préfères. Ils n’ont plus rien de la personne qu’ils ont été, ils errent sans but et hantent les vivants. »

Amélie jugea ses révélations suffisantes sur le monde des morts.

« Et Orianne ? demanda craintivement Mévina.

Amélie plongea son regard dans celui de l’intéressée.

- Ta sœur ne restera pas encore longtemps ta sœur. Je le vois. Bientôt, elle ne sera plus que ténèbres.

- C’est vrai ce que tu viens de dire ? demanda Orianne, fébrile.

- Oui, tu dois le sentir au fond de toi. » Elle regarda sa camarade de classe. « Si vous avez des choses à vous dire, c’est maintenant.

- Non ! Attends ! Ce n’est pas possible ! Il n’y a pas d’alternative ? Tu ne peux rien faire pour elle ? »

Mévina avait saisi ses mains dans les siennes avec force, Amélie se retint tant bien que mal de ne pas grimacer en sentant ses mains moites, pour ne pas dire trempées, de larmes et de morve.

« Peut-être. »

Elle retira ses mains d’un geste sec et les essuya sur son jean qui n’était plus à ça près. Le regard de Mévina était plus suppliant que jamais.

« Dis-moi ! Je suis prête à payer s’il le faut ! »

Cette idée plut beaucoup à Amélie, mais elle ressentit aussitôt une vague de mécontentement de ses esprits à elle. Elle soupira avant de reprendre la parole.

« Garde ton argent. Je peux purifier l’esprit de ta sœur pour qu’il disparaisse. »

Un large sourire se dessina sur le visage boursouflé de Mévina.

« Ne t’emballe pas, je n’ai aucune garantie d’y arriver à son stade et même si j’y parviens, je ne sais pas ce qu’il y a après.

Mévina se mordit la lèvre inférieure.

- Et si tu n’y arrives pas, il y a une autre possibilité ? »

Amélie hésita à répondre honnêtement, elle n’était pas convaincue que sa camarade puisse supporter l’alternative consistant à détruire l’esprit de sa sœur. Elle se tourna vers l’intéressée, après tout, c’était d’elle dont il était question. Amélie décida de lui présenter toutes les possibilités existantes ; Orianne ne risquait pas de divulguer quoi que ce soit et dans la mesure où Amélie n’allait pas la consommer, elle pouvait lui laisser le choix de son devenir.

« Attends un instant, Mévina. »

Amélie ferma ses yeux sur le monde des vivants pour n’être entendue que d’Orianne.

« Je ne pense pas que ta sœur puisse supporter d’entendre cette autre possibilité. Tu peux choisir d’errer en tant qu’esprit noir, mais si tu viens m’importuner, je te détruirai. Enfin, si tu ne veux pas de ce sort et si je ne parviens pas à te purifier, je peux te détruire tout de suite. Tu ne souffriras presque pas. Beaucoup moins que ce que je t’ai infligé plus tôt. »

Orianne lui jeta un regard mauvais, mais se garda de l’insulter, elle avait bien compris que son éventuel salut dépendait de cette nécromancienne, aussi garce soit-elle.

« Tu n’es pas obligée de répondre maintenant si…

- Détruis-moi. Si tu ne peux pas me purifier, je préfère disparaître que de continuer à errer ainsi… »

Amélie acquiesça et revint à elle.

« C’est bon Mévina, tout ira bien pour ta sœur. Dites ce que vous avez à dire et faites vos adieux. »

Amélie voulut prendre un gâteau, mais constata avec déception que la boîte était vide. Déjà ?! Elle grimaça et retourna son attention sur les deux sœurs.

Après un long échange de banalités ennuyeuses, un silence pesant tomba.

« Bon ! Rien d’autre ? » Demanda Amélie sur un ton blasé en regardant l’heure sur son portable. Mévina fit non de la tête, sa sœur nia elle aussi.

« Non, tout est dit. Tu es une garce, mais je te suis malgré tout un peu reconnaissante. Grâce à toi j’ai pu dire au revoir à ma petite sœur.

- Ouais, je sais, je suis trop sympa… Maintenant taisez-vous que je me concentre. »

Denise avait appris à Amélie l’art délicat d’apaiser les âmes et cette dernière avait réussi par deux fois à rendre leur quiétude à des âmes troublées, elle y avait trouvé une satisfaction assez étrange, comme si une part d’elle-même se retrouvait également apaisée. Mais cela lui avait demandé beaucoup de concentration et l’avait épuisée, aussi elle avait renoncé à cette technique, préférant considérer les morts comme ses jouets, voire sa nourriture spirituelle.

Amélie se concentra, les âmes qu’elle avait purifiées avaient une aura douce, Orianne était une tout autre histoire. Même si elle s’était calmée, son aura était particulièrement sombre, instable.

« Demande à ton amie de fermer les yeux, je vais le faire. » Intervint Denise.

Amélie ne s’opposa pas à cette proposition. Denise avait été une grande nécromancienne, mais contrairement à Amélie, elle avait choisi d’utiliser ce don pour aider son prochain. De son vivant, elle était devenue une maîtresse de magie blanche et avait excellé dans l’art de purifier les âmes. À peine Mévina ferma-t-elle les yeux que Denise prit le contrôle d’Amélie, elle se tourna vers Orianne et la libéra de toute contrainte. Enfin libre de ses mouvements, Orianne se redressa et dévisagea la nécromancienne.

« Qui êtes-vous ?

- Tout ira bien. » lui répondit-elle doucement avec un sourire.

Denise posa un regard calme sur l’esprit d’Orianne qui se détendit aussitôt, comme rassurée par le son même de sa voix. Elle joignit ses mains, pour former une coupe, il s’y forma aussitôt une frêle lueur blanche, vacillante, telle la lueur d’une bougie. Rapidement, la lueur devint plus vive, plus forte. Denise sentait la chaleur douce et rassurante qui émanait de cette source lumineuse. Alors que cette dernière devenait presque aveuglante, Denise déplia ses doigts et souffla lentement, doucement sur celle-ci. Loin de s’éteindre, la lumière devint plus vive encore tandis qu’elle s’envolait tel un nuage de braise blanche pour être absorbée par l’esprit d’Orianne qui eut un sursaut. L’aura autour d'elle sembla soudainement s’obscurcir, se densifier. Orianne se contorsionnait, en proie à une douloureuse lutte intérieure. Denise écarta les mains toujours tendues vers Orianne, l’aidant à accepter son passé, accepter son impuissance, accepter que ce monde ne soit plus le sien, accepter la Mort. Les spasmes qui agitaient Orianne finirent par se calmer et elle se redressa lentement. Les ténèbres autour d’elle s’amenuisèrent, jusqu’à disparaître, les marques autour de son cou et sur le reste de son corps disparurent et une lumière douce émana d’elle, effaçant doucement ses traits jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, ni esprit, ni lumière.

Denise avait réussi. Satisfaite, elle se retira au profit d’Amélie qui reprit possession d’un corps qui lui sembla agréablement chaud et moelleux.

Alors qu’Amélie allait congédier sa camarade avec autant de diplomatie que sa fatigue lui permettait, Denise lui rappela qu’il leur fallait s’assurer du silence de la jeune fille. Amélie acquiesça intérieurement et écouta les instructions de son aînée. Elle se tourna vers Mévina.

« Orianne est en paix. Il nous reste néanmoins deux choses à faire : tu dois me donner ta parole de ne rien ébruiter de ce qui s’est passé entre nous et je dois te donner une protection plus discrète et plus tenace que le sang sur ton front. Non, ne le touche pas tout de suite, tu pourras l’enlever après. »

Mévina acquiesça, l’air agacée. A présent qu’elle avait eu ce qu’elle voulait, elle n’aspirait visiblement qu’à une chose : partir d’ici ! Amélie lui arracha un cheveu sans la prévenir, elle sursauta, cela ne fit que renforcer son envie de fuir, elle hésita même à partir sur le champ, mais se ravisa aussitôt, se rappelant l’esprit noir avec un frisson déplaisant. Amélie arracha également un de ses propres cheveux et fit un nœud avec celui de Mévina. Elle gratta la fine croute sur la pulpe de son pouce et imprégna le nœud de son sang. Elle tendit une des extrémités de la fine mèche à Mévina, qui la saisit, mal à l’aise.

« Répète après moi : par ce lien, je m’engage à garder le silence sur les évènements de ce soir et sur tes dons.

- Par ce lien, je m’engage à garder le silence sur les évènements de ce soir et sur tes dons.

- Parfait. » déclara Amélie avec un sourire en s’emparant des cheveux qu’elle enroula et mit aussitôt dans sa poche. « Je vais être gentille et te prévenir. Tu viens de faire un pacte avec moi, si tu trahis ton engagement, tu sentiras ta gorge être serrée par des fils invisibles et fins, aussi fins que deux cheveux voulant former un nœud, et tu mourras asphyxiée. Suis-je claire ? »

Mévina écarquilla brièvement les yeux sous le choc de cette révélation et finit par hocher la tête avec raideur, un tressaillement trahit le frisson qui la parcourut. Elle massa nerveusement son cou, sans doute avait-elle d’ores et déjà l’impression de sentir ces cheveux autour de sa gorge, prêts à l’étouffer.

« Je peux partir maintenant ? demanda-t-elle d’une voix mal assurée.

Amélie se leva et fouilla dans les tiroirs de son bureau.

- Non, je dois te donner une protection. Comment t’expliquer ? D’une certaine façon, tu t’es frottée à la Mort, tu es imprégnée de son odeur et ça risque d’attirer les mauvais esprits pendant quelques jours. »

Amélie se tourna vers Mévina, une ficelle en coton blanc dans les mains. Elle approfondit légèrement l’entaille dans son pouce et imbiba toute la longueur de la ficelle de son sang.

« Je sais que cela n’est pas très ragoûtant, mais c’est ce j’ai de mieux à te proposer. Mhh... On va l’attacher à une de tes chevilles, ce sera plus discret, cela évitera les questions auxquelles tu ne peux répondre… »

Non sans dégoût, Mévina tendit son pied vers Amélie et blêmit lorsque la ficelle poisseuse se colla à sa peau. Elle réprima un haut-le-cœur : la ficelle sanglante était sûrement la goutte de trop pour cette innocente jeune fille catholique !

Finalement Amélie n’eut pas besoin de congédier sa camarade, cette dernière détala à une vitesse fulgurante.

Pendant le repas du soir, Chantal et Sergei semblaient ravis, ils ne cessèrent pas de poser des questions sur cette mystérieuse camarade, sur le devoir à faire, allant jusqu’à demander quand elle reviendrait. Amélie s’efforça de prendre toutes ses attentions avec un sourire enjoué, mais quitta néanmoins la table dès qu’elle le put. Plus tard, alors qu’elle cherchait le sommeil, enroulée dans sa couette, elle ne put s’empêcher d’être un peu déçue, voire triste que Mévina n’ait pas voulu rester plus longtemps avec elle, après ce qu’elle avait fait pour elle. Finalement, elle avait vu juste depuis le début, c’était une opportuniste, rien de plus. Ce ressentiment l’agaça. Après tout, elle ne voulait pas être son amie et elle voulait qu’elle parte, non ?

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