Lettre à ma chère Marianne

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La lettre à ma chère Marianne est une lettre fictive.
Au-delà du défi littéraire que je dois remporter, elle est inspirée de faits qui pourraient se produire dans la vie réelle. Elle est à l'intention des amoureux aux esprits aussi compliqués, fractionnés et déraisonnés que peut être le mien. En espérant qu'elle serve au moins à réparer les torts engendrés par la difficulté quelquefois que deux âmes trop identiques, trop fusionnelles par moments, peuvent avoir à tenter de se compléter en vain.

***

Chatelaillon, le 23 octobre 2019

 Chère Marianne,

 Je ne sais pas trop comment je peux commencer cette lettre qui nous concerne directement tous les deux. Sans doute par une question qui vous étonnera : connaissez-vous l'amour décennal ? Non pas celui qui dure dix ans, mais l'amour, les amours serais-je tenté de dire car il y en a plusieurs, qui, comme dans les cycles de certaines comètes, reviennent tous les dix ans.

 C'est un phénomène étrange, sans doute assez rare dans la destinée de chaque être humain, pour que je m'y intéresse quelque peu, car je crois que c'est ce qu'il m'arrive. Oui, Marianne, cela n'arrive que pour l'un des protagonistes uniquement. Et dans le cas présent, ce n'est pas vous.

 Commençons tout d'abord par les origines de celui qui nous concerne afin d'amener un peu de clarté dans ce qui doit vous paraître un charabia ;

 La première fois que je vous ai rencontrée, physiquement j'entends – le « Je » est important car il me semble que vous ne m'aviez même pas remarqué à ce moment-là –, nous étions dans la fin des années quatre-vingt. J'étais jeune, et vous encore bien plus que moi. Nous nous connaissions déjà, mais uniquement au travers de nos familles respectives et de quelques photos échangées au coin d'une table ou d'un salon. Mais jamais l'occasion n'avait été possible de nous rapprocher d'une quelconque manière.

Cette première fois donc, si elle n'a pas été d'une grande inspiration pour vous, il en fut tout à fait différemment pour moi. Vous m'aviez pour ainsi dire illuminé de votre grâce en quelques instants. Sortant d'une relation, la première de ma vie, compliquée à souhait, je trouvais là en votre compagnie discrète l'occasion de me refaire et par là même – J'espérais – vous satisfaire.

 C'était sans compter sur une timidité qui a toujours ruiné mes espoirs. Étrangement, j'étais moins effacé pour d'autres, mais vous, vous aviez réussi, sans le savoir bien entendu, à me troubler tellement que je n'ai jamais pu vous dire dans les temps impartis de cette saison-là la passion qui m'animait à simplement vous entrevoir. L'expérience, pour ne pas dire le calvaire – oui ce mot est fort et contradictoire –, de vous voir sans être capable d'intervenir pour montrer mon digne intérêt, a ruiné ma modeste vie quelques temps.

Nous nous sommes séparés mais nous n'étions pas ensemble, calendrier scolaire oblige – le plus grand de mes regrets –, jusqu'à ce que je passe à autre chose, et que se présente une autre occasion de nous revoir... dix ans plus tard.

 La seconde fois où nous nous sommes rencontrés, et où j'ai encore éprouvé de la passion pour vous, c'était à la fin des années quatre-vingt-dix. Nous nous étions retrouvés, sans le vouloir encore et par le plus grand des hasards, dans l'entreprise où nous allions faire carrière. Le destin, une fois de plus, avait décidé là de se faire croiser nos chemins.

 Nous n'étions pas encore pourvus chacun d'une famille « entière » telle qu'on pourrait la nommer lorsque des enfants viennent enjoliver le bonheur apparent de leurs parents. Nous étions dans l'instant précaire, une sorte d'entre-deux ; moi étant séparé de ma liaison précédente, et vous dans une situation délicate – vous ne me l'apprendrez que plus tard – qui aurait pu permettre de concrétiser mon rêve, sinon le vôtre, vieux de dix ans.

Nous nous sommes séparés, organisation familiale oblige – le plus grand de mes regrets –, jusqu'à ce que je passe à autre chose, et qu'une autre occasion imprévue se présente... dix ans plus tard.

 Fin des années deux mille, une triste fin pour un membre de votre famille impliqua que nous nous rencontrions une troisième fois. J'étais on ne peut plus désolé, connaissant moi-même l'ascendant disparu. Je me trouvais là, désemparé auprès de vous, sans mot pour vous soutenir.

 Nous étions tous les deux déjà impliqués dans des vies plus cadrées ; compagne, compagnon, enfants, alors il aurait été compliqué pour moi de vous faire savoir ce qui me poursuivait depuis vingt ans déjà. L'instant aurait été trop malvenu, mais j'y ai songé malgré tout, sans une fois encore passer à l'acte. Rassurez-vous, ma timidité était toujours présente et m'a aidé sur le moment.

 Nous nous sommes séparés, fin de cérémonie oblige, jusqu'à ce que je passe à autre chose, et à cette autre occasion imprévue... dix ans plus tard.

 Il y a deux mois tout juste, août 2019, mon smartphone retentissait et m'apportait une notification de vous. Moi qui pensais que vous m'aviez oublié, que vous m'aviez éliminé une fois pour toutes de votre existence. Là où j'avais déchanté, désormais je m'enchantai. Oui, une joie, toute encombrée d'une certaine amertume, avait alors envahi mon esprit.

 Les souvenirs, pour certains assez anciens et joyeux, ressurgissaient d'entre ceux que je ne pouvais oublier car empreints de tristesse. Vous m'avez appris ce jour-là que vous étiez séparée du triste sire qui vous a fait deux magnifiques enfants.

 Cette fois-ci, ce n'est pas la timidité qui m'empêcha de vous avouer une partie de mes sentiments. Je dis bien une partie. Des paroles que vous aviez malheureusement mal interprétées sur le coup, croyant retrouver un souffle frais dans une nouvelle vie amoureuse, mais j'en étais fautif, rassurez-vous. Je ne vous en veux pas si vous ne m'en voulez plus.

 Oui, mon amour d'autrefois a disparu pour laisser place à un autre, plus posé, et sans doute plus logique à mon sens, celui de l'amitié, une amitié si profonde qu'elle pourrait être tout à fait assimilée à de l'amour et que je n'avais pas envisagée depuis toutes ces années. Peut-être vous non plus...

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 Ma chère Marianne, vous voyez, j'ai voulu vous expliquer ce qu'est un amour décennal. Un amour qui perdure dans le temps comme une vague perdure tant qu'elle est animée par un courant, dessinant une sinusoïde de dix ans d'intervalle et qui au fil du temps va s'amoindrir, s'aplatir, jusqu'à ne plus exister, qui s'écrasera mollement ou avec un vigueur, suivant les événements, sur une plage abandonnée ou une falaise éternelle.

 Pour le moment, nous sommes en haut de la vague, profitons-en pour faire le plein de bonheur avant que nous ne disparaissions chacun encore pour une nouvelle date, dans dix ans peut-être, où j'apparaîtrai certainement moins en forme, moins solide, mais où vous serez toujours dans mon esprit la jeune fille des années quatre-vingt, la jeune femme des quatre-vingt-dix et la maman de deux mille, que je n'aurai jamais conquise, mais que j'aurais toujours aimée comme on aime une sœur.

 Marianne, il est des amours impossibles, trop violents, trop compliqués, trop interdits aussi, qu'il est préférable de taire et de ne les garder que pour soi-même, bien ancrés dans nos esprits, au risque d'être frustrés. Cela vaut pour notre rencontre tout comme pour celles, déviantes par moment, que j'ai pu entreprendre dans ma vie. C'est ainsi que je me suis contraint à le ressentir depuis toutes ces années.

 Je dirais que c'est cela sans doute un véritable amour qui dure.

 Je souhaitais vous le faire savoir.

 Théodore.

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