Chapitre 1 (1/2) : Le cauchemar de la rentrée
Perdu dans un endroit plongé dans l’obscurité la plus totale, il ne ressent rien. Aucun courant d’air ne caresse sa peau, aucune odeur ne stimule ses narines et aucun son ne fait vibrer ses tympans. L’unique stimuli qu’il perçoit est le battement régulier de son coeur.
Une lueur se met à briller à l’horizon et, comme un papillon de nuit, le garçon s'y sent attiré de manière irraisonnée. Le scintillement reste si lointain qu’il a l’impression de faire du surplace.
Soudain, une détonation se fait entendre et semble provenir de toutes parts. Désarçonné, l’enfant s’arrête pour déterminer l’origine du son. Son coeur, pour une raison inconnue, a transformé ses battements en réels coups de tambour et s’illumine d’une faible lueur turquoise. Tout comme lui, ce qui se trouve dans sa cage thoracique est appelé par l’astre au loin. Le garçon accélère de plus en plus, car sa poitrine se serre davantage, comme si elle n’en peut plus d’être séparée de la lointaine lumière. Plus la distance s’amoindrit, plus les tambourinements deviennent assourdissants et la lueur turquoise de son torse s’intensifie.
L’enfant ferme brièvement les yeux puis se retrouve soudainement face à un astre mystérieux. Cette chose bat comme un coeur pourtant elle est loin d’en avoir la forme. Il la regarde de nombreuses secondes se rétracter et se contracter avant d’être convaincu qu’il s’agit de son coeur. Pourtant, le garçon, incrédule, le sent bien battre dans sa poitrine et finit par voir la différence intrinsèque entre les deux entités. Celle à l’intérieur de sa cage thoracique se rattache à son humanité, tandis que l’autre, en face de lui, il la redoute et ne veut pas la posséder.
C’est une monstruosité. L’enfant se met à fuir le plus vite qu’il peut tout en niant que le moment tant redouté risque d’arriver plus tôt que prévu.
« Non, non… non ! », crie-t-il avant de trébucher dans une flaque.
Son reflet se déforme par les ondulations de l’eau.
« Je ne veux pas être un monstre… »
Il y reste de nombreuses secondes, incapable de se relever et peinant à respirer. Son double reprend progressivement sa forme d’origine, celle d’un jeune garçon des plus normal. Sa respiration s’adoucit, car ce n’est pas une quelconque abomination face à lui, mais bien un humain.
« Tu crois vraiment ne pas être un monstre ? », lâche une voix terrifiante émergeant de son reflet.
Le garçon sursaute.
« Peut-être que de l’extérieur, tu as l’air d’un humain, mais tu le sais très bien au fond de toi ce que tu es vraiment… Tu sais que… ce n’est qu’une question de temps avant que tout le monde ne le sache », dit cyniquement son double, tout en changeant progressivement de forme.
Ses yeux et sa bouche se transforment en des cavités vides auxquels émanent une énergie turquoise. Sa peau s’enveloppe d’une étrange carapace qui ressemble à la fois à du métal et des os. D’étranges flux d’énergies, semblables à des veines, parcourent tout son corps. Voyant cette monstruosité se dessiner, l’enfant prend peur et essaie de se relever, mais l’eau, devenue aussi visqueuse que de la boue, le retient.
« Pourquoi as-tu peur de moi ? Après tout, toi et moi ne faisons qu’un. »
La créature, de sa main aqueuse, lui agrippe le cou et l’entraîne au fond des abysses. Il essaie de se débattre, mais tout ce que le garçon parvient à faire c'est regarder la lumière de la surface disparaître. Il ne peut presque plus respirer. D’un geste de désespoir, l’enfant tend le bras en direction de la surface.
* * *
Nicolas ouvre les yeux et voit sa main face au plafond de sa chambre. Dans son lit, il halète, le front en sueur.
« C’était un cauchemar… », souffle-t-il rassuré.
En reprenant ses esprits, il fait tranquillement le tour de sa chambre de la tête comme pour s’assurer qu’il ne s’agit pas encore d’un rêve. La pièce est peinte entièrement en noir et est composée de meubles tout aussi foncés. Sans aucun bibelot pour donner une quelconque personnalité au lieu, elle émane une certaine austérité. Lorsqu’il dirige son regard vers la porte, le jeune garçon aperçoit sa mère visiblement interloquée.
« Est-ce qu’elle a vu comment je me suis réveillé ?! »
- De… depuis quand t’es là ! lâche-t-il très embarrassé.
- Ha… je viens d’arriver, ricane-t-elle en détournant ses yeux jaune orange.
« Elle a tout vu ! », déplore-t-il intérieurement.
Le voyant rouge de honte, elle fait mine de rien pour ne pas le gêner davantage.
- Allez ! Lève-toi ! C’est la rentrée aujourd’hui !
Visiblement confus par les directives de sa mère, Nicolas reste dans son lit, le regard vide.
- La rentrée ? La rentrée à l’académie des mages… c’est aujourd’hui… c’est vrai… murmure-t-il.
- Oui et, si tu te grouilles pas, tu vas être en retard !
Ses paroles ont l’effet d’un choc et le réveillent instantanément. Le garçon se précipite en dehors de son lit et fouille dans des cubes remplis de vêtements. Voyant, son fils se préparer avec ardeur, la mère sourit.
« Ne prend pas trop de temps », le taquine-t-elle avant de quitter la pièce.
Nicolas, trop occupé à choisir son uniforme ne répond que d’un léger râlement. Après quelques secondes de réflexion, son choix s’arrête sur une simple chemise blanche à manche longue, un cardigan gris, orné d’un écusson bleu clair, ainsi que d’un simple short beige.
Si en apparence, il n’a pas l’air spécialement excité d’aller à l’académie pour la première fois, Nicolas bout d’impatience. Au moment de monter les escaliers en direction de la cuisine, le jeune adolescent s’envole. Depuis son plus jeune âge, voler est pour lui aussi naturel que marcher. Chez la famille Thibodeau, c’est l’effervescence de la rentrée. Les petites soeurs se bousculent pour se préparer, la mère tente tant bien que mal de les séparer, le père fait à manger et d’autres ne sont même pas encore réveillés.
Une fois à la cuisine, Nicolas n’aperçoit que son paternel, Charles Thibodeau. Ce dernier a la carrure d’un homme moyen. À quarante et un ans, il ne fait pas son âge. Ses cheveux bruns courts et ses yeux gris foncé, le temps ne semble pas avoir d’emprise sur les traits de son visage. Ses bras musclés sont dus à sa manie de faire tout par soi-même à la place de simplement déléguer. Le père n’est pas radin, mais perfectionniste et anxieux. Le quarantenaire ne supporte pas qu’une personne ne fasse pas les choses à sa manière. Paradoxalement, il se plaint régulièrement qu’aucun de ses enfants ne l’aide dans la maison.
« Nicolas, combien de fois on va devoir te dire de ne pas voler dans la maison ? », le réprimande son père avec une certaine lassitude.
L’adolescent ne répond que d’un simple râlement, ne prend même pas la peine de se poser et fonce à l’étage du dessus, trop excité de se voir avec son nouvel uniforme. Un énorme miroir se trouve dans la salle de bain du premier étage. Nicolas en profite pour réajuster quelques petites choses par-ci par-là : un bouton mal boutonné, le collet mal ajusté puis replace quelques boucles de ses cheveux bruns frisés.
Normalement, avoir de si beaux cheveux bouclés devrait rendre heureux n’importe qui, mais pas lui. Le bonheur qu’il éprouve depuis son réveil se transforme soudain en tristesse. Ses yeux turquoise se gorgent d’eau, il fait quelques manipulations sur sa montre et, dans le miroir, Nicolas voit ses cheveux châtains changer pour un blanc nuancé de cyan. Ils se métamorphosent en nuages ou plutôt le sont depuis toujours. Comme beaucoup d’autres personnes, ce jeune adolescent n’est pas complètement humain. Ses nuages sont la preuve pure et dure qu’il fait partie de la variété de semi-humains la plus rare et redoutée au monde pour sa force de destruction massive, celle des semi-élémentaires. Le jeune garçon veut cacher sa nature de semi-golem à tout prix par crainte d’être associé à des monstres extrêmement dangereux, juste bons à servir de bombe sur pattes.
Son cauchemar de ce matin lui revient à l'esprit. Il fixe longuement le miroir comme s’il redoute que son reflet se remette à se mouvoir. Après un long moment à arborer un regard vide, le semi-golem secoue vivement la tête.
« Ça ne sert à rien de déprimer ! Il faut que je me ressaisisse ! C’est ma première journée à l’académie des mages. Il faut que j’en profite… Il me suffit de ne pas trop attirer l’attention et tout ira bien… »
Plus le jeune semi-élémentaire parle, plus sa voix se fait faible. Il ne pense pas le moindre mot de ce qu’il dit. Ses nuages sont pour lui une malédiction qui lui rappelle sans cesse qu’il ne sera jamais comme les autres. Nicolas refait quelques manipulations sur sa montre qui, normale aux premiers abords, peut visuellement transformer ses nuages en cheveux. Ce stratagème lui permet de cacher sa réelle nature aux yeux de la société depuis toutes ces années.
Pour oublier sa peine, le semi-golem descend, d’un pas lourd, dans la cuisine pour déjeuner. Cependant, sa mère qui arbore un grand sourire l’intercepte. Cette expression beaucoup trop joyeuse, il ne la connait que trop bien.
- Quoi…
- C’est ta première journée à l’académie, alors j’ai décidé qu’il faudrait immortaliser le moment. Tu ne crois pas ?
Nicolas soupire avant d’acquiescer, agacé. Sa maternelle sait pourtant pertinemment qu’il a horreur de se faire photographier.
« Mets-toi là pour que l’on te voie mieux à la lumière.»
Le jeune garçon se place à l’endroit demandé, mais ne fait pas l’effort de simuler un quelconque sourire et garde un visage passif.
« Nicolas, tu pourrais au moins faire un sourire s’il te plaît. Montre-moi que tu es heureux d’aller à l’académie ! »
« Pourquoi j’ai l’impression que je vais retrouver cette photo sur les réseaux très bientôt… », se demande le semi-golem.
Le jeune garçon fait un semblant d’expression faciale pour satisfaire sa maternelle. Sur la photo, sa peau terne est un soi peu caché par un sourire de façade. Impatient, il va manger son déjeuner préparé par son père, mais une fois un pain grillé en bouche, un air désabusé se dessine sur son visage.
« Les toasts sont froides… »
Elles sont devenues molles et peu ragoûtantes. Il les jette sans réclamer son reste.
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