Chapitre 8 (1/2) : Un fugueur fugitif
La journée même de la disparition de Nicolas, Christine appelle la police. La fugue d’un jeune semi-élémentaire est très prise au sérieux, surtout lorsque sa première transformation en créature fantastique est imminente. Les agents de l’ordre ne cherchent pas un jeune fugueur, mais plutôt une dangereuse bombe à retardement. Les moyens pour le retrouver ne sont pas comparables à ceux d’une simple disparition : plusieurs dizaines de policiers sont sollicités, des hélicoptères survolent la ville et un coûteux appareil de détection magique est utilisé. Lors de sa déposition, Christine comprend enfin ce que peut ressentir son fils au quotient. Les agents de l'ordre sont secs et impatients. Elle est interrogée comme si elle venait de laisser s’échapper un dangereux fugitif. Les deux officiers n’ont aucune once de compassion pour cette mère qui vient de perdre son enfant.
L’école est très vite informée. Frank et Charlie sont convoqués dans le bureau du directeur. Le saint de pyrite est étonné d’y voir le plus puissant des premières années. Un détective dans la soixantaine les attend pour leur poser quelques questions. La disparition de Nicolas les bouleverse. Ils collaborent sans hésiter pour espérer revoir leur ami sain et sauf.
« Charlie, tu es l’ami d’enfance de… hmmm… »
Le détective ne se souvient plus du prénom du fugueur et regarde dans ses dossiers.
- De Nicolas, poursuit-il. Et toi, Frank, tu es évoqué dans sa lettre comme étant un ami récent. Est-ce que vous auriez une idée qui explique pourquoi Nicolas est parti ?
- Je ne sais pas… Pour être franc, depuis qu’on est rentré à l’Académie, Nicolas et moi, on se parle plus trop. J’ai l’impression qu’il m’évite ou qu’il ne veut pas me parler.
- Pour ma part, on se tient ensemble juste depuis quelques jours. Je ne le connais pas si bien que ça. Hier, avant qu’on se sépare tout avait l’air de bien aller !
Le vieil homme lâche un soupir en notant scrupuleusement dans son calepin.
- Est-ce qu’il vous a dit que sa première transformation en golem est pour bientôt ?
Charlie se tourne vers Frank, en panique.
- Nicolas, après notre retenue, il m’a montré dans un champ qu’il est un semi-golem, mais, à part ça, il ne m’a rien dit de plus. Ça avait l’air dur pour lui de vivre avec ça.
Le jeune saint de pyrite est abasourdi. La semi-humanité de Nicolas reste pourtant son secret le mieux gardé.
- Comme j’ai dit, ça fait un moment qu’on ne s’est pas parlé…
Le détective fait un claquement de langue.
- Dernière question, est-ce qu’il vous a paru instable dernièrement ? Charlie, tu as évoqué le trouver distant ces temps-ci et toi Frank, tu as dit qu’il avait l’air en détresse psychologique. Donc est-ce que pour vous cela serait logique que Nicolas se fasse influencer par des personnes peu fréquentables .
- Par personnes peu fréquentables, vous voulez parler de criminels ? demande Frank en rogne.
Le détective se contente de garder le silence. Choqué, Charlie monte d’un ton.
- Vous soupçonnez Nicolas d’avoir rejoint des criminels ?! Quelle blague ! Nico est la personne la plus gentille que je connaisse ! Il ne ferait même pas de mal à une mouche, lâche-t-il irrité.
- Ouais, il a raison ! C’est pas parce que c’est un semi-golem qu’il est dangereux. Vous savez ce que j’ai vu dans ce champ cette soirée-là ? J’ai vu un gars paumé et rien d’autre, lâche-t-il d’un ton présomptueux, avant de se faire réprimander par le directeur.
Le policier, visiblement agacé par le manque d’informations concrètes et les remontrances de deux adolescents, affiche un sourire crispé. La discussion est coupée court par le vieil homme. Dans sa voiture de police, il concentre toute son attention sur son dossier.
« Où es-tu, sale semi-monstre ? »
***
Il est dans un endroit sombre et humide semblable à une grotte. Soudain, un scintillement au loin apparaît. L’adolescent le reconnaît aussitôt. C’est la même lumière que dans son cauchemar de la rentrée. Il ignore s’il doit s’en rapprocher ou s’en éloigner. La même monstruosité que lors de son rêve précédent y est peut-être toujours.
Il se rapproche de l’astre en restant sur ses gardes et s’enfonce de plus en plus profondément dans ce qui ressemble à un simple tunnel. Les murs sont rocailleux et mouillés. Son coeur s’illumine et bat aussi fort qu’un tambour.
« Ça aussi, ça n’a pas changé… Hein ? »
Des lignes turquoise fluorescentes se dessinent jusqu’aux extrémités de ses membres et une puissance insoupçonnée le submerge.
« C’est… C’est mes veines de golem ?! »
Une présence menaçante le guette. Elle est comme un prédateur qui se camoufle dans l’obscurité à l’attente du bon moment pour bondir sur sa proie. Tout à coup, un rugissement de monstre provient du fond de la grotte et le fait sursauter.
« Qu’est-ce que c’était ?! »
Il hésite à continuer d’avancer, mais il n’a plus le choix. Un mur de pierre se dresse soudainement derrière lui. Les cris monstrueux se transforment en des voix remplies de haine, de peur et de colère. Elles lui chuchotent des méchancetés :
« Ha, je vois, il a l’air lourd… »
« Il est trop bizarre à toujours parler d’histoire avec la prof. »
« Nicolas, le fantôme ! Ha ha ha ! »
« Il fait trop pitié ! »
Progressivement, elles se mettent à hurler des atrocités.
Nicolas court et se bouche les oreilles, mais les voix raisonnent dans sa tête. La douleur est insoutenable. Il veut seulement que cela s’arrête.
« Nico… T’es qu’un imbécile ! »
« Personne ne t’aime ! »
« Espèce de…. »
« Monstre ! »
« T’es qu’un monstre ! »
« Dégage monstre ! »
« On veut pas être ami avec un semi-monstre. »
« Ma maman, Nico, elle ne veut plus que je t’approche, pardon… »
« Meurs. »
« Crève ! »
« Saleté ! »
Nicolas s’effondre dans une flaque d’eau et se met à crier.
« SILENCEEEEEE ! »
Sa magie se déchaîne. Des nuages et une énergie phénoménale sortent des veines fluorescentes. Des bourrasques verdâtres, des éclairs cyan et des gouttes de pluie bleutées emportent les piques qui lui donnent la migraine.
Le silence est de retour. La grotte qui l’oppressait a disparu. Il ne reste plus que de l’eau à perte vue avec la sphère lumineuse dans les airs.
Nicolas avance vers l’astre. Chacun de ses pas crée quelques ondulations dans le liquide cristallin. Le garçon arrive face à lui. Mystérieusement, dans son esprit c’est clair qu’il ne retrouverait pas la lumière, mais plutôt la même monstruosité que la dernière fois.
« Cela fait longtemps… », dit la silhouette de chairs noires et de veine magique turquoise avec un sourire malicieux.
Nicolas acquit d’un râlement, incertain.
Son apparence n’est plus la même qu’auparavant. Sa carapace a complètement disparu. Les cavités qu’il a eues sur le visage sont devenues des yeux et une bouche détourés par des vaisseaux cyan. Des nuages émanent même de sa tête comme des cheveux. La chose ressemble de plus en plus à un humain.
- Que… Qu’est-ce que tu veux ? demande l’adolescent, apeuré.
- Moi ? Rien de bien méchant, contrairement à ceux qui viennent de s’incruster, dit-il d’un sourire cynique.
Tout à coup, une immense main de chairs noires et de veines jaunes fluorescentes sort de l’étendue d’eau, en dessous de Nicolas, et le tire dans les tréfonds. Ses doigts, aussi pointus et coupants que la lame d’un couteau, le transpercent de partout. Le semi-golem est condamné à voir la lumière s’éloigner.
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