La fin du pacte
C’est dans les plaines au milieu du seul continent viable de la planète que la vieille frontière fut tracée, il y a fort longtemps. Pour les Symméotrisasirtoèmmydrieos , cette dernière est synonyme de bien des maux. Notamment la fin de la vieille entente et donc de la deuxième ère.
À cette époque, ils découvrent à peine le bronze, il y avait trois grandes factions qui ne se cherchent pas trop les noises. Des unions de peuples similaires qui se sont jadis embourbés dans des conflits de diverses natures dans la première ère qui durera trois mille années.
Des affrontements philosophiques dans la durée et de brèves guerres n’ayant jamais dépassé l’année en termes de durée pour la majorité. Non pas qu’ils ont peur de la castagne, détrompez-vous. Mais ils ont la fâcheuse tendance à s’épuiser mutuellement, au point où tout le monde finit pas se mettre d’accord pour rentrer à la maison.
Les fractures sont telles qu’un même peuple peut avoir deux de ces communautés majeures séparées par une centaine de kilomètres d’une autre qui lui était hostile ou neutre. C’est face à l’impossibilité de gagner et la répartition ridicule que les factions ont était créée, s’axant sur les points communs plutôt que les différences et en respectant ces dernières.
Au Nord-Ouest, il y a les peuples dénommés les angles ; tatouée et scarifié des figures géométriques avec des angles droits et de manière symétrique. Ces individus occupent la majeure partie de toundra des terres centrale, froide et inhospitalière. Heureusement pour eux, le reste de leur territoire est beaucoup plus généreux et tempéré.
Les courbes, toujours dans le trip de se tatouer et scarifier, cette fois si avec des courbes. Ils occupent la partie savane, leur côté possède des fiords plus au nord, qu’ils partagent avec les angles. Entendez par là, chacun restant du sien, angles à l’ouest, courbes à l’Est.
Les chaos, leur zone est partiellement parsemée d’une forêt tropicale frontalière avec les angles et d’un désert de sable, avec les courbes. Désigné comme faction du désordre en opposition avec ceux de l’ordre, car en plus d’avoir bien plus de piercings que les autres, leurs tatouages ne sont pas forcément symétriques. Le mouvement de l’asymétrique prenant une part importante dans leur culture, ils sont affublés de ce nom. Ils le portent avec une attitude mélangeant la fierté et une insolence bien à eux ; de vrais petits rebelles.
Au milieu de ce territoire foncièrement hostile, il y a une immense montagne solitaire recouverte de pierre nue dont le sommet enneigé qui laisse écouler trois fleuves. Cette merveille de la nature est si imposante et si haute qu’ils la nomment le toit du monde. Un très très vieux volcan endormit pour toute l’éternité, dont la faille s'est déplacée depuis fort longtemps dans un océan. Autant vous dire que c’était il y a vraiment fort, fort, FORT, longtemps.
C’est à son pied au Nord que des émissaires accompagnés de cohorte armée viennent se rencontrer dans un amphithéâtre creusé dans le sol. La structure est bâtie avec de la pierre et possède de nombreuses voiles d'ombrage en tissu blanc , le tout construit à côté du très grand fleuve du Nord ; oui, c’est son nom. C’est la grande assemblée ; l’événement a lieu chaque décennie. Le sujet est toujours et inlassablement le même, l’aménagement des frontières.
Un vieux pacte millénaire stipule ce que ton voisin voit de ses yeux à trente kilomètres de sa frontière, a le droit de s’opposer à sa construction. Ceci, en plus de la mauvaise foi et d’un don inouï de rendre les choses pénibles pour autrui, vous vous doutez bien qu’ils aient dû en cumuler des reproches.
À titre de comparaison, c’est un peu comme si vous décidiez d’installer un petit kiosque sympa dans votre jardin et que votre voisin se ramène et dit :
- C’est hideux ! Désinstalle-moi ça ! Tu me gâches la vue !
Et dans certains cas chez nos amis qui savent être d’aussi bons voisins, c’est aussi basique que ça.
Tension sur tension ; ils arrivent malgré leurs différends à négocier en finissant toujours avec une poignée de main amère. C’est en l’an 0 de la troisième ère de leur calendrier que survient le drame.
Ce jour-là, il faisait beau et surtout chaud à en crever, d’où la raison d’être vêtue légèrement et que les 111 personnes de chaque faction avaient plusieurs gourdes d’eau à leur ceinture. Même là, ils ne peuvent s’entendre sur la forme ; certaines sont carrées ou triangulaires, quand d’autre préfère des formes plus ovales voire carrément une simple poche pendante a la ceinture.
Leur tanneur et maroquinier se donnent beaucoup de mal à créer ce symbole d’appartenance culturel. De toute manière, personne n’achèterait leurs produits s’ils n’étaient pas conformes. En effet, ils ont inventé le boycott très tôt dans leur histoire.
Quant à leurs vêtements d’une qualité digne de nos rois, on reconnaît les styles. Les chaos qui de cette époque sont presque nus, préférant le cuir ; les forêts chaudes et humides qu’ils doivent traverser pour venir ne permettent pas des tenues sophistiquées. C’est dans l’arrière-pays qu’ils s’habillent plus décemment et les formes adoptées généralement ne s’inscrivent jamais précisément dans l’un des styles des suivants.
Les angles, ils aiment ce qui est près du corps, cuir ou soie, inventeur des cols pour les vêtements, tout ça pour avoir des angles et triangles près du cou.
Les courbes préfèrent au contraire des vêtements qui laissent respirer et donc souvent en soie, leurs manches sont connues pour être les plus larges et les plus longues de leur monde. Les tenues des citadins sont de vrais ramasse-poussière et heureusement que cette mode n’a pas pris chez leurs voyageurs. Imaginez un peu la difficulté pour eux de ne pas trébucher lamentablement, ou d’éviter de se faire agripper par le premier buisson croisé.
Tous s’installent et regardent son voisin frontalier en lançant des regards qui sont le mélange de la curiosité et de la suspicion. Des yeux alertent, vifs, parfois plissés, et beaucoup soutiennent ceux des autres du coin de l’œil avec ce genre de petite phrase en tête.
- S’il ose me parler mal, je me le fais.
Ou bien.
- Elle a une sale gueule, je ne la prendrais même pas pour une soirée.
Ou encore.
- Par mes oreilles, sa voix nasillarde et stridente me donne envie de le tuer !
Beaucoup ont ce type de voix, agaçante, comme s’ils étaient en train de muer, ou bien suraiguë. Bref des abominables chanteurs que vous ne voulez pas entendre, vraiment.
Donc, comme ceux qui le pensent l’ont aussi, on pourrait en conclure qu’il ne se supporte pas. La vérité est plus simple ; ils n’ont tout simplement pas envie d’écouter l’autre. Sauf exception, pour les rares a possédaient de vraies voix, qui ont cette impression constante d’être entouré d’idiots qui ne savent pas parler.
Chacun attend qu’une doléance soit émise. Quelques courbes se lèvent, l'un d'eux prononce leur demande en lisant leur parchemin et en levant amplement la main pour bien montrer sa large manche de soie aux formes ondulantes. Beaucoup soufflent du nez en le voyant faire.
- À nos voisins les angles, nous refusons la construction de votre pyramide au…
- Encore !!!
S’exclame une femme tatouée d’un unique triangle dorée sur le front.
- On a réduit sa taille sur nos plans et…
- Alors faite la plus grande, plus loin ; faites preuve d’un peu de souplesse.
Tous les angles sont irrités par cette demande qui est irrespectueuse, surtout du mot souplesse, ça leur fait très mal au dos, ça et tout le champ lexical de ce dernier.
- Pour les Chaos, arrêtez de saboter nos débarcadères.
Cette phrase ne tombe pas dans l’oreille de sourds ignare et adorant la destruction gratuite. Un Chaos percé d’un os dans le nez et tatoué sur les côtes d’une plante grimpante et feuillue, leur rétorque avec une certaine ironie.
- Vous n’avez pas demandé notre autorisation. Du coup, ça nous donnait le droit de démanteler vos installations qui gênaient un peu la navigation. C’est épuisant de prendre en compte dans nos trajectoires de navigation les structures encombrantes d’autrui, vous savez.
L’orateur des courbes mord son parchemin, tandis qu’à l’opposé certains murmures, bien faits pour leur gueule, sans vraiment sans cacher, en arborant le plus grand des sourires, voir même en les pointant du doigt. Une attitude typique des angles. L’un d’eux saisit cette opportunité pour déplier une liste et accuse.
- D’ailleurs, on a noté que vous aviez violé notre frontière d’un nombre… Pioufffff… On compte même plus.
Les courbes se dressent, y compris leurs plumes, et s’insurgent devant une telle calomnie.
- Où ?!
Alors, une femme angle au trait ocre qui la scinde en deux, montre sur la grande carte en pierre millénaire au centre de la structure, deux grands arbres au nord. Ils aiment se référer à celle-ci, car elle ne bouge pas, la stabilité est vitale pour eux et une carte en pierre symbolise ce désir.
- Voyez-vous ces deux arbres ? On a tracé une ligne qui les relie en verticale faisant cinq kilomètres ; c’est au milieu de cette dernière que la neuvième… Hum
Elle se racle la gorge, irritée comme si elle avait un animal poilu dans la gorge.
- Neuvième courbe…Hum… Passe.
- Et alors ?!
Crie les courbes, beaucoup ont la soudaine envie de leur arracher leur petit col insolent ; être mal habillée est un motif légitime d’user de la violence, surtout quand ça pique les yeux.
- Sur ce point, le fleuve s’est décalé de vingt-cinq mètres à l’intérieur de nos terres. Donc chaque fois que vos bateaux passent, vous violez notre territoire.
- C’est pour ça que vous êtes si prompte à nous jeter des cailloux sur nos belles embarcations et de déchirer nos voiles avec vos flèches ?!
Hurle une femme avec force et chagrin. Des vagues bleues parsèment sa peau noire ; une personne qui se sent proche de l'eau et navigue avec un grand plaisir sur le grand fleuve du Nord. Comprenez-la, cela prend du temps à réparer et ils aiment vraiment leurs navires. Si vous saviez le nombre de jours qu’ils passent à sculpter le bois, peindre la coque, coudre des motifs sur leurs voiles, c’est tout bonnement effarant. Sans rire, un bateau est aussi important qu’une maison, quand elle n’est pas cette dernière. Pour cette navigatrice, c'est le cas.
- Exactement pour cette raison.
- Vous avez failli éborgner un de mes fils ; abrutie !
Et un angle arrête cette accusation par une autre.
- Et vous, l’un des nôtres a failli se noyer il y a de cela deux décennies ! Vous l’avez forcé à faire demi-tour un jour de forte pluie alors qu’il était tombé du bateau et nagé vers la rive la plus proche ; c’est-à-dire la vôtre ! Heureusement qu’il était bon nageur !
- On a cru à un espion ! Faut dire qu’à cause des Chaos, on a de quoi devenir parano !
L’un d’eux, une femme perçait d’ornement de fer très pointu sur ses arcades, ce défend, les bras croisés en haussant le ton.
- Qui sont les débiles qui ont tracé des frontières et qui ont mis un siècle à se mettre d’accord ? Pas nous en tout cas. D’ailleurs, on n’a jamais compris ; c’est le fleuve qui sert de frontière ou le tracer sur la carte ? Sans parler que l’on ne s’est jamais mis d’accord sur ladite carte.
Les angles répondent les tracés nets et droits sur leur carte ; les courbes, les fleuves avec leurs sublimes et douces courbes.
Un Courbe, ajoute alors.
- Vos tracés ne respectent pas la forme du fleuve à l’époque ! Nous devons tout reprendre selon ses courbes ! D’ailleurs, celle en pierre est obsolète !
- Non !
Clame les angles.
- On va faire une belle ligne droite pour chaque frontière dans la roche et ce sera réglé ! On en parlera plus !
Dis un homme zélé avec pour seul tatouage, une ligne droite noir horizontale reliant ses yeux.
- Non !
Disent les courbés.
- On va refaire les cartes chaque décennie en fonction des fleuves et comme ça, on sera toujours du bon côté !
- Non !
Clament les Chaos.
- On ne veut ni l’un ni l’autre ! C’est du grand n’importe quoi ! Avant, on pouvait marcher sans se poser de question ; maintenant, c’est d’un compliqué ! Nous demandons l’abolition de cette folie !
Un angle hurle avec une telle force qu’il faillit devenir aphone.
- Mais oui bien sûr, pour ensuite nous prendre nos biens sur nos terres !
Les chaos rétorquent toute en visant les courbés.
- Et vos taxes frontalières et de douanes, on en parle ?!
Plusieurs siècles et générations qu’ils avaient envie de sortir exactement cette phrase. Vous vous demandez sans doute pourquoi ils traversent les frontières. Ils adorent voyager, beaucoup plus que les autres mêmes chez ceux qu’ils détestent. Voilà, à quel point ils sont souples d’esprit, alors imaginez la frustration que cela leur cause, et surtout le coût.
Les deux factions de l’ordre symétrique d’une seule voix sortent la leur, parfaitement compréhensible, sauf pour les Chaos.
- Et de vos voleurs de fruits ?!
L’un des accusés défend son camp en ressortant la même excuse.
- Bas, on ne vous empêche pas de prendre les nôtres !
- Ce n’est pas comme ça que ça marche chez nous ; la propriété privée s’est privée !
L’angle réalise tout juste la stupidité de sa phrase, mais il n’en a fondamentalement rien à faire.
- Mais bon, je parle à des gens presque nus comme des vers ! Le privé n’a aucun sens chez vous !
Une chaos rit jaune et attaque sous un angle inattendu.
- Ah ! Ben voyons ! Ce sont nos fringants cols anguleux au tissu serré où on voit toutes les formes même les plus intimes qui nous disent ça ! Les mêmes qui se baignent nues comme des vers dans leurs sources chaudes mixtes ! J’avoue, vous êtes les mieux placés pour nous parler de privé, surtout avec vos fins tissus transparents.
Beaucoup de plumes se dressent et certains murmurent.
- Comment elle sait ?
Oui, les tissus transparents étaient un petit secret ; surtout que c’est inspiré de certains habits des courbes. Il n’en fallut pas plus pour qu’un angle crie.
- Voilà ! Typique des chaos à nous reluquer ! Voyeur, espion, pervers !
Les courbes rient aux éclats, mais les angles sont des peuples fiers.
- Fermez vos gueules, bande de copieurs ! On sait que vous avez fait pareil en vous inspirant de nos cols, mais en plus arrondi !
- Vous n’avez aucune preuve !
Hurle un couturier.
- On sait, c’est tout !
Il n’en faut pas plus pour entendre à nouveau le mot.
- Espionnage !
- Mais on n’a même pas besoin ! Regarder dans vos rangs ! Il y a quelques imbéciles qui en portent !
Les insultes ne cessent de s'échapper de leurs bouches, les accusations de tomber, le tout avec une violence dans des tonalités de plus en plus guerrière. Chacun continue de brailler avec véhémence à l’autre qui était sourd ; certains étaient dans une telle rage qu’ils en bavaient. Des coups de griffes fusent et un malheur survient, le sang coula.
- Le sang par le sang !
Cria quelqu’un. Personne ne sait qui, certains dirent qu’il y en eut plusieurs. Leurs beaux tissus en soie déchirée par leur brutalité et imbibée du flux vital vont servir bientôt de bandage. Beaucoup on leur torse-nu, marqué par les épées et les griffes, comme l’est la pierre piétinée sous leurs serres par leur sauvagerie réveillée. Certains vêtements en cuirs devenus des lambeaux sont transformés en lanières pour étrangler le premier adversaire qui passe sous leurs serres. Il y a des femmes qui n’hésitent pas à enlever leur soutien-gorge à cet effet, les victimes peuvent ainsi largement juger de la qualité de la matière qui ne cédera pas. Heureusement qu’ils ont des griffes pour couper.
Ils se volent dans les plumes avec grands fracas dans le seul bâtiment construit sur des centaines de kilomètres à la ronde, ce qui serait comique s’il n’avait pas eu des morts. À la vue des premières personnes tombées, l’ardeur de ces êtres déchaînés ne fait que de s’amplifier. Les rares encore lucides et capables de raison, hurlent la retraite. Là encore, on ne sut jamais qui.
À peine sortie que les trois factions veulent reprendre les cadavres de leur congénère, ils ont failli s’entretuer, même blesser et fatiguer. Des bras armés de lance et d’arc sont tendus vers leur adversaire.
Les mots tels que guerre et vengeance sont prononcés, en ce lieu qui aurait dû être un sanctuaire de paix, il en devient celui où ils ont officialisé une ère de conflits entre les trois factions.
Chacun trace sa frontière, même les chaos, chacun la défendit, comprenait, taper l’autre en prenant au passage si possible des terres. Un drame qui mit leur monde dans une période de trouble de prêt de deux mille années entrecoupées d’accalmie pour mieux repartir dans leur folie.
Ces ultra-militaristes n’abandonneront pas si facilement cette longue guerre.
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