Chapitre 6 : Fausses pistes
Depuis un quart d’heure, Joanie regardait le paysage défiler à la fenêtre du coupé anglais quand le téléphone d’Hector sonna. Roger apportait de nouvelles informations sur le lieutenant de police à son ami.
— J’ai fini par retrouver le frangin. Je te confirme qu’il a été victime d’une agression dans une bagarre entre détenus. J’ai retrouvé ça par l’intermédiaire d’un pote, une personne de confiance, qui m’a repêché les archives de la centrale d’Arles. Un certain « DF », qui faisait partie des effectifs, est mentionné mort à la suite d’une rixe. En fouillant un peu, il a pu me confirmer que ces initiales correspondaient à David Francheville. Apparemment, quand son frère est entré dans la police, l’administration a remplacé l’identité de Francheville par ses initiales, dans tous les documents, pour protéger le futur officier. Et, pour info, Lamontagne a bien passé le concours d’entrée à la suite du décès de son frère.
— Merci, ça correspond à ce qu’il m’a dit. Tu en sais plus sur Lamontagne, entre la boxe et la police ?
— Non, il a toute une période de grande discrétion, probablement liée à son enchaînement de petits boulots, situation précaire, à tous les niveaux.
— OK, je te remercie. Je dois raccrocher, j’ai un gyrophare dans le rétro. J’ai l’impression de reconnaître la Ford du lieutenant. À plus…
L’Aston-Martin s’arrêta sur le bord de la route, aussitôt dépassée par la Ford qui vint se garer une vingtaine de mètres devant le coupé vintage. Hector conseilla à Joanie de rester sans bouger à sa place et de l’attendre, il n’en aurait pas pour très longtemps. Puis les deux conducteurs sortirent calmement de leurs véhicules respectifs et se dirigèrent lentement l’un vers l’autre.
— Monsieur Fischer, commença le Lieutenant Lamontagne, vous auriez pu rester dans votre voiture, un si bel objet…
— Lieutenant, que puis-je faire pour vous ? Vous ne venez pas pour un contrôle, vous êtes seul, et bien loin de chez vous…
— Vous avez raison, monsieur Fischer. Je voulais vous remercier, il semble que vous ayez arrêté vos recherches sur moi, à moins bien sûr, que vous ne soyez simplement devenus discrets.
— Je transmettrai vos remerciements…
— J’ai moi-même approfondi mon enquête sur vous, monsieur Fischer. Ne le prenez pas mal, c’est mon métier, et mon mandat qui veulent ça. Vous seriez bien un peu filou, non ?
— Expliquez-vous, Lieutenant.
— Vous vous souvenez des frères Franklin, nous en avons parlé. Au moment de leur arrestation, vous étiez bel et bien déjà et encore en équipe avec ce monsieur Briggs et son agence qui a pu se féliciter de cet exploit.
— Vous ai-je jamais dit le contraire, Lieutenant ?
— Non, en effet. Cependant, vous m’avez aussi raconté une petite histoire, datant de votre enfance, lorsque vous aviez été le seul témoin d’un incident dans la cour d’école, un incident défavorable à nos jumeaux.
— Et ?…
— J’ai recoupé les dates, votre parcours scolaire, celui des frangins.
Un sourire presque admiratif s’afficha sur le visage d’Hector, tandis que le policier développait sa théorie.
— Je crois qu’en étant né en 1971, donc deux ans après les jumeaux, vous n’étiez pas le « grand » qui avait invité les deux caïds à lâcher le gamin. Je crois que, suite à un déménagement de vos parents, vous vous êtes retrouvé dans une nouvelle école, et que vous êtes devenu la cible désignée des petites tortures de ces deux sales gosses. Et je crois que vous êtes celui qui a mis une rouste au meneur, contre toute attente.
— Félicitation, Lieutenant, jolie théorie.
— Je n’ai pas grand mérite, vous savez, les recherches étaient faciles, et puis, le « grand » qui a essayé de prendre la défense du petit nouveau, je l’ai retrouvé, il m’a tout raconté.
— Vous l’avez retrouvé ?
— Je vous ai dit que je continuais à me renseigner sur la mort de mon frère. Vous m’avez donné envie d’accélérer le mouvement ces derniers mois. Je vous en remercie. David a été transféré provisoirement d’Arles, dans le cadre de l’enquête sur les clodos de Marseille, un rebondissement qui menait vers le Pas-de-Calais. Là, il a fait le con, il a voulu s’en prendre au maître des lieux, le tristement célèbre Pascal Franklin, pour asseoir une certaine forme d’autorité. C’est là qu’il a subi sa dernière défaite, la plus terrible, celle dont on ne se relève pas. Ses potes, à Arles, ont eu vent de la mésaventure. Quand ils ont su que le meurtrier de David avait un frère chez eux, ils ont appliqué la loi du talion. Et Dominique Franklin a passé l’arme à gauche à son tour. Là-dessus, Pascal se fait la belle, jurant par tous les dieux qu’il fera la peau à la balance, ainsi qu’à celui qui est à l’origine de tout ce merdier, le môme, vous-même, si ma théorie est exacte. Bref, Pascal a retrouvé la balance, ce fameux témoin pour lequel vous avez essayé de vous faire passer, auprès de moi, plus par modestie, je pense, que par peur des représailles. Je vous imagine plutôt du genre à regarder le danger les yeux dans les yeux. Il l’a salement amoché, mais l’autre a pu me parler. Avant de souffler la veilleuse. Allez, arrêtons de nous raconter des histoires, jouons franc-jeu, pour une fois, je suis persuadé que vous n’avez pas vraiment cessé votre enquête, pas vrai ? Alors vous en êtes où, monsieur Fischer ?
Hector sentait la sincérité qui se dégageait du discours de l’officier de police. Il décida de lui avouer les doutes qui avaient traversé son esprit, un temps.
— J’ai appris que vous étiez entré dans la police à la suite de la mort de votre frère, dont l’identité a été masquée, pour vous protéger, sous ses initiales, « DF ». Curieux hasard, non ? David Francheville, Dominique Franklin… Franklin mort en 2003, tout comme David, vous qui ne laissez pas de trace jusque-là, et qui réapparaissez sur les écrans, grosso-modo, à la sortie de Pascal Franklin, vous toujours, qui me parlez des jumeaux, pensant que Pascal pourrait être après moi…
— Cette idée me semble toujours plus d’actualité, vous savez, coupa Lamontagne. Au début, j’ai pensé qu’il avait voulu se venger de vous parce que vous leur aviez mis la main dessus, lui et son frère, et que vous les aviez livrés à la justice, avec la suite qu’on connaît. Mais maintenant, avec ce que je sais de plus sur vous, je me dis qu’il pourrait bien être beaucoup plus rancunier que cela, qu’il pourrait avoir fait parler la balance il y a plusieurs mois de cela, qu’il aurait retrouvé votre trace et aurait fait payer à vos enfants la vie de son jumeau.
— Lieutenant, aussi bon détective que vous soyez, ce dont je ne doute pas, je crois pouvoir vous dire que vous êtes sur une fausse piste, intéressante, certes, mais à côté du but. Et vous avez failli m’influencer, à tort, ce qui m’a conduit à me renseigner, de mon côté, sur vous. Si vous aviez été Pascal…
— Ah, oui… Si je l’avais été… Mais alors, vous, vous suivez quelle piste, celle de l’histoire qui s’est terminée dans une cabine téléphonique, c’est bien cela ?
— Je dirais plutôt que c’est là qu’elle a commencé. Mais je dois partir, maintenant, pour les US, vérifier un point. Un avion m’attend, si vous voulez bien m’excuser.
— Bien entendu, mais pensez à me tenir au courant, monsieur Fischer.
— Sans faute, Lieutenant.
Annotations
Versions