Chapitre 9 : Le bar
La rue était presque déserte.
Chaque pas résonnait dans la nuit calme, le claquement de mes talons ponctuant le silence comme un métronome. J’avais choisi un endroit loin, très loin de tout ce que je connaissais. Loin de mon quartier, de ma fac, de tout ce qui pourrait me ramener à la vie que je voulais laisser derrière, ne serait-ce que pour une soirée.
Je n’étais pas nerveuse, pas exactement. Mais il y avait cette tension sous-jacente, ce frisson constant qui glissait le long de ma peau. Je savais que cette soirée n’allait pas ressembler aux autres. Ce que je ressentais depuis que j’avais quitté mon appartement… c’était indescriptible.
Le bar que j’avais choisi était discret. Pas trop grand, pas trop fréquenté. Une lumière tamisée filtrait par les fenêtres, créant des ombres qui dansaient sur le trottoir. J’ai inspiré profondément avant de pousser la porte.
À l’intérieur, l’ambiance était intime, feutrée. Le mélange des conversations, des rires, et de la musique basse semblait flotter dans l’air comme un murmure collectif. Je me suis dirigée vers le comptoir, mes talons glissant sur le sol brillant.
Le barman a relevé les yeux vers moi. Pendant une fraction de seconde, son regard s’est attardé, un peu plus longtemps que nécessaire. Je l’ai senti.
"Un verre de vin rouge, s’il vous plaît," ai-je demandé d’une voix plus basse que je ne l’aurais voulu.
J’ai pris place sur un tabouret haut, mes jambes croisées, une main sur mon verre. Tout autour de moi, je sentais les regards. Certains furtifs, d’autres plus appuyés. Une femme en tailleur m’a observée du coin de l’œil, un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres. Un homme, assis seul à une table, semblait me dévisager sans retenue.
Ce n’étaient pas leurs regards qui me troublaient, mais ce qu’ils réveillaient en moi.
Sous ma robe noire, rien ne me protégeait. Aucun tissu, aucune barrière. Et ce simple fait me rendait intensément consciente de mon propre corps. Le tissu caressait ma peau à chaque mouvement, amplifiant chaque sensation.
J’ai porté mon verre à mes lèvres, savourant la brûlure douce du vin. Je me concentrais sur le goût, sur le geste, sur tout ce qui pouvait m’ancrer. Mais mon esprit ne cessait de revenir à ce que je ressentais : une liberté étrange, presque effrayante, mais terriblement addictive.
Un homme s’est approché. Grand, les cheveux châtains légèrement en bataille, avec un sourire qui semblait sûr de lui.
"Bonsoir. Puis-je m’asseoir ?"
J’ai hoché la tête.
Il s’est installé à côté de moi, posant son verre sur le comptoir. Ses questions étaient simples, presque banales : mon prénom, ce que je faisais dans la vie, si je venais souvent ici. Je répondais machinalement, mes mots glissant sans effort.
Et pourtant, quelque chose dans sa présence m’électrisait.
Puis, sans prévenir, il s’est penché légèrement vers moi.
"Tu es magnifique dans cette robe," a-t-il murmuré.
J’ai senti mon cœur s’accélérer, une chaleur familière monter à mes joues.
"Merci."
Sa main s’est posée sur ma cuisse, légère, presque hésitante. Mais elle était là. Mon corps s’est figé, un instant. Ce n’était pas la peur, ni le dégoût. C’était autre chose. Une alchimie étrange entre la gêne et une excitation que je ne comprenais pas encore.
Je savais que je pouvais partir. Me lever, refuser. Mais je n’ai rien fait.
Son regard a croisé le mien, cherchant une réponse silencieuse. Ses doigts ont tracé un cercle lent sur ma peau, juste en dessous du tissu de ma robe.
Et dans ce moment suspendu, j’ai compris quelque chose. Ce n’était pas lui. Ce n’était pas ce qu’il faisait. C’était moi. Ce que je laissais arriver. Ce que je découvrais à travers ce geste.
Je me suis levée doucement, rompant le fil fragile de notre échange.
"Je dois y aller," ai-je murmuré.
Il a semblé surpris, mais il n’a pas insisté.
En sortant du bar, l’air frais m’a enveloppée, apaisant la chaleur qui pulsait encore dans mon corps. Chaque pas que je faisais semblait porter un poids nouveau, une conscience accrue de qui j’étais, de ce que je devenais.
Une fois chez moi, j’ai sorti mon téléphone et écrit à Hector.
"C’est fait. Et je crois que je commence à comprendre."
Sa réponse est arrivée presque immédiatement.
"Bien, Cloé. Ce n’est que le début."
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