Chapitre 22 : Soirée pyjama (suite)
Les premières lueurs du jour filtraient à travers les rideaux entrouverts de l’appartement de Maeva. La nuit avait été longue, une de celles où les confidences et les rires se mêlent au goût entêtant du vin. Maeva était assise en tailleur sur le canapé, un coussin calé contre elle, son regard pétillant fixé sur moi.
Je m’étais allongée sur le tapis, la tête tournée vers elle, bercée par cette douce fatigue propre aux nuits blanches
"Tu te souviens de Marius ?"
Sa question a traversé l’air comme une lame.
Le simple fait d’entendre son prénom m’a figée.
"Bien sûr que je me souviens," ai-je murmuré.
Comment aurais-je pu oublier ?
Marius. Son petit frère. Le gamin qui courait toujours derrière nous avec son rire cristallin, qui voulait tout faire comme nous. Jusqu’à ce jour… jusqu’à ce moment.
"Parfois, je me demande à quoi il ressemblerait aujourd’hui," a-t-elle repris, le regard perdu dans un point invisible. "Tu crois qu’il aurait été comme papa ? Ou… plus comme moi ?"
"Il aurait été incroyable," ai-je soufflé.
Un silence s’est installé. Long, pesant, presque insupportable.
Puis, Maeva a tourné la tête vers moi, ses yeux plissés d’une étrange lumière.
"Tu te rappelles cette rivière ?"
Ces simples mots ont réveillé en moi un flot d’images que j’avais passé des années à essayer de refouler.
La rivière.
Je savais où elle voulait en venir, mais je restais muette, mon cœur battant douloureusement dans ma poitrine.
"Tu sais que je ne t’en veux pas, hein ?"
Sa voix était douce, presque apaisante. Mais ses yeux… Ils semblaient ailleurs.
"Ce n’était qu’un accident," a-t-elle ajouté doucement.
"Maeva, je…"
"Non, stop. Tu n’as rien à dire."
Elle a laissé échapper un soupir, détournant le regard.
"Tu étais une enfant, moi aussi. On jouait, c’est tout. Personne n’aurait pu prévoir ce qui arriverait."
Elle disait ça avec un calme étrange, détaché. Comme si c’était une simple vérité, un fait froid et indiscutable. Mais je savais. Tout comme elle.
J’avais poussé Marius.
Pas pour lui faire mal, juste pour jouer. Pour le taquiner, comme je le faisais tout le temps. Mais ce jour-là, il avait perdu l’équilibre. La rivière était glaciale, rapide, et elle l’avait emporté avant que je ne puisse réagir.
"Allez, assez de déprime," a-t-elle soudain lancé, d’un ton léger, comme si rien de tout cela n’avait été dit.
"Maeva…"
"Quoi ? C’est bon, Cloé. Ce qui est fait est fait, on va pas s’enliser là-dessus. La nuit n’est pas finie, tu sais."
Elle s’est levée, a étiré ses bras, et m’a tendu une main.
"Viens. Lève-toi. On change de sujet."
J’ai attrapé sa main, encore sonnée par cette conversation. Elle m’a tirée vers le canapé et s’est assise, reprenant son verre de vin qu’elle a vidé d’un trait.
"Et Hector, alors ?" a-t-elle lancé avec un sourire espiègle. "T’as envoyé ta photo aujourd’hui ?"
Le changement de sujet m’a presque fait vaciller. Maeva avait ce talent, cette façon de détourner la conversation quand elle devenait trop lourde, trop dangereuse.
"Euh… non, pas encore," ai-je balbutié.
"Quoi ? Mais qu’est-ce que t’attends ? Donne-moi ton téléphone, je vais te faire la meilleure photo de ta vie."
"Tu rigoles ?"
"Pas du tout ! Allez, hop, debout. J’ai un don pour ça, tu verras."
Elle a tendu la main vers moi, et sans trop savoir pourquoi, je me suis laissée faire. Peut-être l’effet de l’alcool, ou simplement cette manière qu’elle avait de m’entraîner dans ses idées sans que je m’en rende compte.
"Ok, mais vite fait," ai-je murmuré.
"Parfait. Mets-toi là, juste à côté du canapé. Tourne un peu les épaules… Oui, comme ça. Maintenant, souris, mais pas trop. Juste un petit sourire, comme si tu cachais un secret."
J’ai suivi ses instructions, mal à l’aise mais curieuse. Elle riait, plaisantait, et son enthousiasme était contagieux.
Puis, elle a fait une pause, son regard scrutant ma tenue avec une intensité exagérée.
"Ta robe… Elle me distrait. Enlève-la. Hector ne s’intéresse pas à des froufrous."
"Maeva !"
"Quoi ? Fais confiance à l’artiste. Allez, hop, la robe."
Je lui ai lancé un regard hésitant, mais son sourire décontracté avait une manière étrange de désamorcer mes résistances. Je me suis redressée et ai fait glisser la robe le long de mes épaules, la laissant tomber au sol.
"Attends, attends…" Elle a écarquillé les yeux, avant d’éclater de rire. "Cloé ! Pas de sous-vêtements ? Sérieusement ? Mais quelle petite effrontée !"
"Arrête…" ai-je murmuré en rougissant, un sourire malgré moi sur les lèvres.
"Non, mais sérieux, waouh…" Elle m’a détaillée, son regard s’attardant sur ma poitrine. "Mais quelle paire, ma belle ! Tu pourrais rendre jaloux une armée entière."
Je me mordis la lèvre, mi-gênée, mi-amusée.
"Allez, maintenant de profil. Oui, comme ça. Un peu plus cambrée… Voilà. Parfait. Maintenant, tourne la tête vers moi. Regarde-moi comme si tu savais exactement ce que tu vaux."
Ses mots, ses compliments, tout résonnait en moi d’une manière étrange. Une chaleur diffuse montait en moi, une excitation mêlée de timidité.
Je me laissais guider, prenant des poses que je n’aurais jamais osé imaginer auparavant. Et à chaque clic de l’appareil, je sentais quelque chose changer en moi.
Quand elle a pris la dernière photo, elle a baissé le téléphone, un sourire triomphant sur les lèvres.
"Cette photo-là… C’est la bonne."
J’ai pris le téléphone, hésitante, et je l’ai regardée.
"Tu penses ?"
"J’en suis sûre. Hector va adorer."
Et sans réfléchir davantage, j’ai cliqué sur "envoyer".
Maeva a levé son verre, un sourire imperceptible étirant ses lèvres.
"À toi, Cloé. Et à tout ce que tu es en train de devenir."
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