Chapitre 29 : Complicité
Sabrina est devenue une constante dans ma vie.
Je ne sais pas exactement à quel moment nous sommes devenues si proches, mais il est clair que notre lien s’est intensifié au fil des semaines. C’est étrange, presque ironique, parce que rien ne laissait présager qu’elle deviendrait un pilier pour moi. Et pourtant, elle l’est.
Aujourd’hui, on s’est retrouvées dans un café du centre-ville, comme on le fait souvent ces derniers temps. Elle était déjà assise quand je suis arrivée, une tasse de thé entre les mains, ses cheveux blonds attachés en une queue de cheval désordonnée. Elle portait un pull oversize, si typique de son style décontracté, et elle m’a accueillie avec un sourire chaleureux.
"Alors, mademoiselle disparue, qu’est-ce que tu deviens ?" a-t-elle lancé en me voyant m’installer en face d’elle.
Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire.
"Rien de fou," ai-je répondu en haussant les épaules. "Les cours, Matt… toi."
"Matt, hein ?" Elle a haussé un sourcil, un sourire moqueur se dessinant sur ses lèvres. "Et il va bien, ton prince charmant ? Toujours aussi parfait ?"
J’ai ri, mais son commentaire m’a piquée légèrement.
"Il va bien, oui. Et toi, alors ? Tu semblais crevée la dernière fois qu’on s’est vues."
Elle a roulé des yeux en s’affalant légèrement sur sa chaise. "Tu parles ! Entre le boulot et mes parents qui me harcèlent pour que je fasse ‘quelque chose de sérieux de ma vie’, je suis à bout. Mais bon, je gère."
Sabrina a toujours eu ce côté résilient. Elle plaisante sur ses problèmes, les tourne en dérision, mais je sais que derrière son sourire, elle se bat. Ça m’impressionne, cette capacité qu’elle a à affronter les choses sans jamais perdre son mordant.
On est restées là, à discuter pendant plus d’une heure. On a parlé de tout et de rien : des cours, des rêves absurdes qu’elle a faits récemment.
"Je te jure, Cloé, dans mon rêve, on était toutes les deux sur un bateau pirate et tu portais un bandeau noir, comme une capitaine badass. Moi, j’étais ton bras droit, évidemment. Et on s’est battues contre un requin volant ! Non mais sérieux, c’est quoi mon cerveau ?"
J’ai éclaté de rire, un vrai rire, sincère et incontrôlé. Ça faisait tellement de bien. Mais quelque chose en moi s’est figé. Le "bandeau noir". Je sentais mon cœur battre un peu plus fort.
"Un bandeau noir, vraiment ?" ai-je demandé, en essayant de garder ma voix légère.
"Oui ! Mais attention, c’était un truc de dingue. T’avais ce regard hyper sûr de toi, genre ‘personne peut m’arrêter.’ Tu caches bien ton jeu, hein, Cloé ?" Elle a ri, sans voir que mon sourire devenait un peu plus crispé.
Je me suis forcée à jouer le jeu. "Bah écoute, si jamais tu veux monter un équipage de pirates, fais-moi signe."
Elle a continué à parler, décrivant le rêve avec son enthousiasme habituel, mais je l’entendais à peine. Dans ma tête, je revoyais cette nuit à l’hôtel, le bandeau noir noué sur mes yeux, cette sensation d’être à la merci d’un inconnu. Ce que Sabrina disait sans le savoir avait réveillé quelque chose en moi, une sorte de malaise mêlé à une étrange fascination.
À un moment, elle a posé sa main sur la mienne, et son regard s’est fait plus sérieux.
"Tu sais que tu peux tout me dire, hein ?"
J’ai senti mon sourire vaciller un instant. Ce genre de phrases, bien que rassurantes, me met toujours mal à l’aise. Parce que je sais que je ne pourrais jamais tout lui dire.
"Bien sûr," ai-je menti doucement, en resserrant mes doigts autour des siens.
En rentrant chez moi, je repensais à elle. À notre complicité.
Sabrina est devenue un refuge pour moi. Elle est comme une bouée à laquelle je peux m’accrocher, une lumière douce dans ce tumulte constant qu’est devenue ma vie.
Et pourtant, une part de moi se demande si ce que je lui montre est réel. Parce que, au fond, je ne peux pas être totalement honnête avec elle.
Je l’aime beaucoup, Sabrina. Peut-être même trop.
Et c’est précisément pour ça que je ne peux pas la laisser voir la vraie moi.
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