Chapitre 47 : Un morceau de tissu

4 minutes de lecture

Aujourd’hui, Sabrina nous avait invités, Matt et moi, à déjeuner chez elle. Un petit repas improvisé, sans prétention, juste pour passer un bon moment ensemble. L’idée m’avait plu. Cela faisait si longtemps que je n’avais pas vécu un moment "normal", un instant de simplicité entourée de ceux que j’aime, sans cette impression constante d’être tirée dans deux directions opposées.

Mais ce matin, avant de partir, une idée étrange m’a traversé l’esprit. Une impulsion.

J’ai ouvert mon tiroir à sous-vêtements et j’ai attrapé un string noir, enfoui tout au fond. Je ne l’avais pas porté depuis des mois. Depuis qu’Hector m’avait imposé cette règle : plus de sous-vêtements. Au fil du temps, cela était devenu une seconde nature. Ce que je ressentais au début comme une soumission avait fini par devenir une habitude. Et maintenant, remettre un sous-vêtement me paraissait presque… incongru.

J’ai tenu le string entre mes doigts, hésitant. Pendant tout ce temps, je n’avais jamais osé briser une de ses règles. Mais aujourd’hui, quelque chose en moi avait changé. Porter ce string, si insignifiant pour n’importe qui d’autre, était une manière de lui dire : Tu ne contrôles plus tout. Je peux faire mes propres choix.

D’un geste décidé, je l’ai enfilé.

Mais dès que je l’ai fait, une sensation étrange s’est emparée de moi. Ce n’était pas seulement l’inconfort physique – bien que ce soit là. Mon corps n’était plus habitué à ce morceau de tissu qui me coupait légèrement à chaque mouvement. Non, c’était autre chose. Comme si, en faisant ce choix, je trahissais une partie de moi-même.

Chez Sabrina, tout était parfait.

Elle avait préparé une quiche, une salade et une tarte aux fruits. La table était joliment dressée dans son petit appartement, qui sentait bon le citron et la lavande. L’ambiance était légère, insouciante. Pendant un moment, j’ai réussi à me convaincre que j’étais une personne normale, dans une vie normale.

Matt riait, Sabrina plaisantait, et moi, je me surprenais à sourire sincèrement. Je me sentais presque bien. Mais, quelque part au fond de moi, le string continuait à me rappeler ma décision. Chaque mouvement, chaque frottement, était comme un murmure dans mon esprit.

Puis, mon téléphone a vibré.

Il était posé sur la table, juste à côté de mon assiette. Avant que je ne puisse réagir, Matt l’a attrapé en riant.

— "Hé, un message pour Cloé. Voyons voir…"

Mon cœur a raté un battement.

— "H ? Qui est H ?" a-t-il demandé en me tendant le téléphone, un sourire amusé sur les lèvres.

J’ai senti la panique monter. Ce simple "H" m’a brutalement ramenée à la réalité. Hector. Il ne pouvait pas savoir, bien sûr. Pour lui, ce n’était qu’un détail sans importance. Mais pour moi, c’était un coup de couteau.

Je me suis emparée de mon téléphone, essayant de garder mon calme.

— "C’est juste un prof," ai-je répondu rapidement, en forçant un sourire. "Rien d’important."

Sabrina, occupée à servir du café, n’a rien remarqué, mais Matt a plissé les yeux, son sourire vacillant.

— "Un prof qui signe juste avec un H ? Tu te tapes des célébrités ou quoi ?" a-t-il plaisanté, mais son ton contenait une pointe de curiosité.

— "Arrête, c’est rien," ai-je rétorqué en riant nerveusement, glissant rapidement mon téléphone dans ma poche.

Quelques minutes plus tard, j’ai prétexté un besoin d’aller aux toilettes.

— "Excusez-moi, je reviens."

Une fois à l’abri derrière la porte verrouillée de la salle de bain, j’ai sorti mon téléphone, mes mains légèrement tremblantes.

Le message d’Hector était là, affiché sur l’écran comme une sentence froide et inévitable.

"Prépare-toi pour le 14 septembre. Sois en forme, Cloé. La soirée sera longue… et fatigante.
Et au fait, cela fait quelques jours que je n’ai pas reçu tes photos matinales. N’oublie pas qui tu es."

Ces mots. "N’oublie pas qui tu es."

Je les ai relus encore et encore, et chaque fois, ils s’enfonçaient un peu plus profondément en moi. Pendant quelques jours, j’avais réussi à l’oublier. À oublier ses ordres, ses attentes, sa présence constante dans ma vie. Et maintenant, en un instant, tout revenait.

Je me suis regardée dans le miroir. Mon reflet me semblait étranger. Qui étais-je ? La femme qui, ce matin, avait pris un acte aussi dérisoire qu’enfiler un string pour se sentir libre ? Ou celle qui tremblait à l’idée de désobéir ?

Le string me serrait, comme un rappel cruel. D’un geste brusque, je l’ai enlevé et l’ai glissé dans mon sac. Ce n’était pas une victoire. Ce n’était qu’un masque de rébellion, et il venait de tomber.

Je me suis redressée et j’ai fixé mon reflet, les mains crispées sur le lavabo.

— "Ce sera la dernière fois," ai-je murmuré à mon reflet. "Après ça, je serai libre."

Quand je suis retournée dans la pièce, Sabrina et Matt plaisantaient sur un souvenir d’enfance. Je me suis assise à table, souriante, feignant un calme que je ne ressentais pas.

Mais à l’intérieur, le poids d’Hector était déjà revenu.

Le 14 septembre approchait. Et malgré toutes mes résolutions, je savais qu’il ne me laisserait pas partir si facilement.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Petite Poire ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0