Chapitre 56 : L'exposition

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Ce matin, je me suis réveillée avec une boule au ventre si énorme qu’elle semblait étouffer tout le reste.

Je savais que c’était la rentrée. Je savais qu’Hector avait dit que ce serait "mon grand jour". Mais une part de moi, naïve, voulait croire qu’il s’agissait encore de ses jeux tordus, de ses mots destinés à me terrifier, rien de plus.

Je me suis levée, chaque mouvement lourd, pesant. J’ai attrapé mon sac, mis une tenue sobre, presque invisible, pour passer inaperçue. Aujourd’hui, je ne voulais être rien d’autre qu’une ombre.

Quand je suis montée dans le bus, mes mains tremblaient légèrement, mais personne ne m’a regardée. Personne n’a rien dit. Tout semblait… normal.

En arrivant à la fac, l’atmosphère était la même que d’habitude. Des groupes d’étudiants riaient, discutaient, se saluaient après deux mois de vacances. Je me suis faufilée à travers eux, la tête baissée, mon sac serré contre moi.
Je regardais tout autour, cherchant un signe, une anomalie. Mais il n’y avait rien. Juste la rentrée. Juste une journée normale.

Je suis entrée dans l’amphi où mon premier cours allait commencer.

Le cours s’est déroulé sans accroc.
Le professeur a parlé, les étudiants ont pris des notes, moi aussi. Je me suis concentrée sur ses mots, sur son ton monocorde, essayant d’oublier le reste, de m’ancrer dans cette normalité rassurante.
Rien d’étrange ne s’est produit. Pas de chuchotements, pas de regards insistants, rien qui aurait pu laisser penser que quelque chose se préparait.
Petit à petit, je me suis sentie légèrement soulagée. Peut-être qu’Hector bluffait. Peut-être que ses messages n’étaient qu’une ultime tentative de me terrifier.

Le cours s’est terminé, et je suis restée à ma place, comme toujours.
Je n’aime pas sortir dans la foule, alors j’attends que tout le monde parte avant de ranger mes affaires. J’ai mis mes cahiers et mon ordinateur dans mon sac, doucement, presque méthodiquement.
Quand j’ai fini, l’amphi était vide.
Enfin, presque vide.

C’est là que je l’ai entendu.

Un brouhaha à l’extérieur, de l’agitation inhabituelle. Des rires. Des cris. Des exclamations de surprise, de choc, de plaisir, d’étonnement.
Mon cœur a commencé à battre plus fort.

Je me suis figée un instant, écoutant ce tumulte grandir. Puis, d’un geste brusque, j’ai attrapé mon sac et me suis dirigée vers la porte.

Quand je suis sortie dans le hall, je me suis arrêtée net.

Et mon cœur a cessé de battre.

Elles étaient là.
Mes photos.
Toutes mes photos.
Partout.

Elles étaient accrochées sur les murs, imprimées en grand, en couleur, de manière éclatante et presque artistique. Mais ce n’était pas de l’art. C’était moi, nue, exposée. Chaque photo que j’avais envoyée à Hector, jour après jour, pendant des mois.

Il n’y avait aucun ordre, aucune logique. Juste une avalanche d’images. Mon corps. Mon intimité. Mon visage.

Et tout le monde les voyait.

Des étudiants s’étaient regroupés autour, leurs téléphones à la main, prenant des photos, filmant, riant.
Certains chuchotaient entre eux, pointant du doigt des détails sur les photos. D’autres étaient choqués, leur regard oscillant entre gêne et fascination. Certains semblaient presque terrifiés, tandis que d’autres riaient à gorge déployée.

J’étais pétrifiée.

Je ne pouvais plus bouger.
Mon regard allait d’un mur à l’autre, d’un groupe d’étudiants à un autre, mais tout ce que je voyais, c’était moi. Moi, nue, exposée sous tous les angles.

Chaque coin de cet espace était une fenêtre sur ma honte.

Mon esprit criait, mais aucun son ne sortait de ma bouche.

Puis, soudain, je me suis mise à courir.
J’ai lâché mon sac, mes affaires, tout ce que je portais, et j’ai couru aussi vite que mes jambes pouvaient me porter.

Les rires, les cris, les flashs des téléphones semblaient me poursuivre, s’accrochant à moi comme une ombre que je ne pouvais pas fuir.
Je courais sans réfléchir, sans savoir où j’allais. Je voulais juste fuir.
Fuir cet endroit. Fuir ces regards. Fuir ma propre existence.

Je suis sortie du bâtiment, l’air frais me frappant comme une gifle. Mais je n’ai pas arrêté de courir.
Mes pieds martelaient le sol, mes jambes brûlaient, mais je continuais. Je ne pouvais pas m’arrêter. Pas maintenant.

Les larmes coulaient sur mon visage, brouillant ma vision, mais je n’y prêtais pas attention.

Je voulais disparaître.
Je voulais effacer tout ce qui venait de se passer, tout ce que j’étais devenue.

Mais je savais, au fond de moi, qu’il n’y avait pas de retour en arrière.
Hector avait tout pris. Il avait tout détruit.

Et maintenant, il ne restait plus rien de moi.

Rien.

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