Chapitre 60 : Matt
Cela fait deux jours que je suis enfermée chez moi.
Les volets sont fermés, étouffant toute lumière. L’air dans l’appartement est lourd, stagnant, mais je ne fais rien pour y remédier. Je n’ai pas mangé. Je n’ai pas dormi. Chaque fois que je ferme les yeux, les visages des étudiants qui regardaient mes photos me hantent. Leur rire. Leurs regards.
Mon téléphone est posé sur la table basse. Immobile, à part quelques vibrations qui me font sursauter à chaque fois. Des notifications. Peut-être des messages. Mais je n’ose pas regarder. Je n’ose pas affronter le monde extérieur.
Je ne sais plus qui je suis.
Hector. Maeva. Les photos. Les vidéos. Matt. Tout s’est effondré autour de moi, et je suis là, seule au milieu des ruines de ma propre vie.
Mais je ne peux pas rester seule. Pas maintenant.
Matt…
Matt m’aimait.
Il m’aimait avant que tout ne parte en vrille. Avant Hector. Avant Maeva. Avant que je devienne… ça.
S’il reste une personne dans ce monde capable de m’aimer, malgré tout, c’est lui. Ça doit être lui.
Je prends mon téléphone d’une main tremblante. Son nom est là, sur l’écran. Un rappel cruel de tout ce que j’ai perdu, mais aussi de la seule personne qui pourrait peut-être encore m’apporter un semblant de réconfort.
Mon pouce flotte au-dessus du bouton d’appel. Je respire profondément. Une fois. Deux fois. Puis j’appuie.
La tonalité retentit, me frappant comme un compte à rebours. Une fois. Deux fois. Trois fois. Mon cœur cogne tellement fort dans ma poitrine que j’ai l’impression qu’il va éclater.
Il décroche.
— "Quoi ?"
Un seul mot. Froid. Vide. Glacé.
Son ton me fige. Une lame invisible qui tranche quelque chose en moi avant que je ne puisse dire quoi que ce soit.
— "Matt… C’est moi…" ai-je murmuré, ma voix brisée, à peine audible.
— "Évidemment que c’est toi."
Sa voix est coupante, pleine de rancune. "Tu veux quoi, Cloé ? Une autre chance ?"
Chaque mot qu’il prononce s’enfonce comme un couteau dans mon ventre.
Je prends une inspiration tremblante, essayant de trouver les mots, de dire quelque chose qui pourrait réparer… tout ça.
— "Matt, je… Je suis désolée. Je sais que tu as vu des choses, mais laisse-moi t’expliquer. Je t’en supplie…"
Un soupir. Un soupir long, exaspéré, chargé de mépris.
— "Expliquer quoi, Cloé ?!
Sa voix est plus dure maintenant, son ton plus acerbe, plus tranchant.
— "Tu veux m’expliquer pourquoi tu prenais des photos de toi nue dans MA salle de bain, pendant que je dormais dans la pièce d’à côté ? Tu veux m’expliquer pourquoi tu faisais ça?!"
Mon souffle se bloque. Les mots se forment dans ma tête, mais ma bouche reste close.
Je ne sais pas quoi répondre. Je ne sais même pas si une réponse existe.
— "Tu crois que je suis con, c’est ça ?" continue-t-il, sa voix montant en intensité, pleine de colère, de désespoir. "Que je n’ai pas compris ? Tu faisais ça depuis combien de temps, hein ? Depuis qu’on est ensemble ? Depuis le premier jour ?"
— "Non, Matt, ce n’est pas ce que tu crois… Je te jure que ce n’était pas contre toi, ce n’était pas…"
Il me coupe, sa voix explosant de rage.
— "PAS CONTRE MOI ?! Cloé, je t’ai vue."
Il hurle presque. "J’ai vu les photos. J’ai vu LA vidéo. Tu sais ce que ça m’a fait ? Tu sais ce que ça m’a fait de voir la fille que j’aimais à quatre pattes, devant un putain de miroir, en train de…"
Il s’arrête.
Sa voix se brise.
Et c’est pire que tout.
Ce silence. Ce moment où je comprends que sa rage n’est pas seulement de la colère. C’est de la douleur. Une douleur que je lui ai infligée.
— "Tu me dégoûtes, Cloé."
Ces mots. Ces trois mots. Ils tombent comme un couperet.
Je suffoque, incapable de trouver ma voix, incapable de respirer correctement. Mon esprit hurle que ce n’est pas vrai, que ce n’est pas ce qu’il croit. Mais les mots restent coincés.
— "Tu veux savoir ce qui me fait le plus mal ?" reprend-il, sa voix plus basse, tremblante, mais toujours pleine de cette rage sourde.
— "C’est que je t’aimais. Je t’aimais vraiment. Et toi, qu’est-ce que tu faisais ? Tu me mentais. Tu me manipulais. Tu te foutais de ma gueule pendant que tu faisais je-ne-sais-quoi avec tous ces types. Des inconnus, je sais même pas combien ils étaient. J’ai pas envie de savoir."
Je veux crier que ce n’est pas vrai. Que ce n’est pas comme ça que ça s’est passé. Mais ma gorge est serrée, mes mots noyés dans des sanglots silencieux.
— "Ne m’appelle plus jamais, Cloé."
Sa voix est tranchante, chaque mot chargé de haine.
— "Ne m’approche plus jamais. Je veux plus entendre parler de toi. Je veux plus te voir. J’ai honte, putain… honte d’avoir été avec toi."
Et il raccroche.
Le silence qui suit est pire que tout.
Je reste là, le téléphone encore collé à mon oreille, même si la ligne est coupée.
Ses mots résonnent en boucle dans ma tête.
"Tu me dégoûtes."
"Je t’aimais."
"Honte d’avoir été avec toi."
Je lâche le téléphone, incapable de le tenir plus longtemps.
Je me laisse glisser le long du canapé, mes bras enroulés autour de mes genoux, mon corps secoué de sanglots silencieux. Je pleure, mais ce n’est pas juste des larmes. C’est tout ce que je suis, tout ce que j’ai été, qui s’effondre.
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