Chapitre 4
L’eau ruisselait sur mon corps. Je basculai la tête en arrière, profitant du jet sur ma gorge avec un soupir. Rapidement, les parois de la cabine de douche devinrent opaques à cause de la vapeur qui s’élevait en tourbillonnant autour de moi. Je me sentais bien, le corps parcouru de doux frissons. C’était une chose que j’adorais dans cette époque : les douches personnelles et à volonté. Le bonheur de se retrouver seule sous un jet d’eau chaude aussi longtemps qu’on le désirait.
Je m’habillai puis retournai dans le salon, grimaçant de douleur. Dormir sur le canapé était vraiment une mauvaise idée, j’étais courbaturée de partout. Je redonnai des croquettes et de l’eau à Tina. Pour me remercier de l’attention, elle vint frotter son museau contre ma joue, dans un élan de tendresse que j'appréciais tout particulièrement. Une caresse affectueuse, et je me relevai, embarquant mon ordinateur portable et le fourrant dans un sac avec le reste de mes affaires. Puis, je quittai mon appartement, direction le Café du Commerce, un établissement parmi d’autres où j’aimais parfois me rendre. En ce milieu d’après-midi, l’endroit n’était pas des plus animés. Je me posai à une table, commandai un cheesecake et un verre de vin blanc qui me furent servis dans la minute. Je déballai mon matériel sur la table et allumai mon ordinateur avant d’ouvrir une page libreoffice. Je plaçai sur mon nez ma paire de lunettes fétiche. Je n’en avais pas forcément besoin, j’avais une très bonne vue, mais j’aimais le style qu’elles me donnaient. Et passer trop de temps sur un ordinateur pouvait s’avérer fatiguant. Elles étaient à traitement anti lumière-bleue, cela va sans dire. J’installai également devant moi un panneau, puis fis courir mes doigts sur le clavier… avant de me figer. Il me fallait relire mes lignes précédentes, me mettre dans l’ambiance. Ce roman se déroulait durant la Révolution Française, (j’habitais Paris en ce moment, c’était de bon ton), et narrait l’histoire d’une société secrète qui conspirait dans l’ombre et tirait les ficelles ! Pas si éloigné de la vérité sans pour autant être fidèle non plus. Je n’étais hélas pas à Paris en 1789, j’avais raté cet événement d’importance, trop occupée à flatter le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II et à le mettre dans mon lit, bien entendu. Ainsi que quelques unes de ses maîtresses, pour faire bonne mesure. Fort heureusement, internet était une source d’informations considérable, si l’on savait trier les vérités historiques des théories du complot en tout genre. Je commençais à me relire quand un raclement de gorge me fit lever le nez de mon écran une demi-seconde, pour m’y replonger aussitôt.
— Excusez-moi… Je n’ai pu m’empêcher de vous voir de là-bas… Et j’ai eu envie de vous offrir un verre.
Je soupirai intérieurement et tapotai un panneau sans prendre la peine de regarder mon prétendant. Dessus était inscrit : Ne pas déranger, autrice en pleine inspiration. Le silence retomba pendant environ cinq secondes avant qu’il ne remette le couvert.
— Vous n’écrivez pas là. Laissez-moi vous offrir un verre.
Je tapotai de nouveau le panneau. En plus petit était ajouté : Et inutile d’insister. Après un soupir, l’homme se retira. Je le suivis d’un œil distrait. À peine assis au bar, le voilà qui me reluquait, comme tant d’autres d’ailleurs. Ma tenue, une jupe assez courte et une chemise qui faisait ressortir ma poitrine, n’y était certes pas étrangère, tout comme l’aura qui dansait autour de moi. J’attirais l’œil. Mais il y avait également autre chose de bien plus agaçant : Ils me voyaient comme un bout de viande, une paire de jambe à mater, voire à lever. Sur le fond, ce genre d’attitude m’avait fortement servie pour trouver mes proies à travers les âges. Et cela me déprimait en réalité, car je constatais que le temps avait beau passer, les mentalités n’évoluaient pas, ou très peu. Les femmes étaient considérées par ce genre de personnes uniquement du point de vue sexuel, ce qui menait à bon nombre de tragédies. Combien d’articles avais-je lus faisant mention d’un viol et combien de commentaires en dessous démontraient une absence totale d’empathie à l’égard de la victime, juste parce qu’elle s’habillait d’une manière qui n’était, soi-disant, pas convenable. Fort heureusement, toute la gent masculine n’entrait pas dans cette catégorie. Certains vous regardaient, vous complimentaient même, mais ne vous considéraient pas comme une paire de seins et de fesses qu’ils pouvaient accrocher à leur tableau de chasse. Ils appréciaient simplement la beauté plastique. Parfois sans plus et d’autres fois, ils voulaient faire connaissance. Réellement faire connaissance. Pas trouver une excuse pour essayer de vous culbuter avant le lever du soleil. Je secouai intérieurement la tête et me replongeai sur mon écran, chassant les gens autour de moi de mes pensées. J’avais à peine commencé à taper quelques mots que quelqu’un s’installa à ma table, une bière à la main et posant un verre devant moi. C’était du vin rouge. Je levai les yeux de mon écran avec un soupir. Parfois, être une Succube capable de faire tourner la tête des hommes, et des femmes, s’avérait vraiment être une plaie. Surtout quand votre seul désir était qu’on vous foute la paix.
— Vraiment, c’est usant les gens qui insistent, vous ne trouvez pas ? (lâcha l’homme d’un ton désinvolte en buvant une gorgée de sa bière.)
Je l’étudiai rapidement. Il avait des cheveux frisés qui lui tombaient sur la nuque, une veste noire avec un t-shirt blanc cassé et un pantalon, noir également. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire confiant et ses yeux essayèrent de capter les miens, affichant l’assurance de celui qui pense avoir déjà gagné.
— Absolument. Ceux qui ne savent pas lire également.
Son assurance ne vola pas en éclats comme je l’avais espéré, mais il avait tout de même perdu un peu de sa superbe.
— J’aime cette façon d’être, cette façon de considérer les choses et de répondre. (fit-il avec un sourire.)
J’opinai avec un air las.
— Et vous n’avez pas encore vu mon genou quand un homme me colle de trop près.
Il leva les mains.
— Doucement. Nous n’en sommes pas encore là.
— Mais ça pourrait arriver plus vite que vous ne le croyez. Alors ouste.
— Laissez-moi au moins une chance. Vous ne me connaissez pas, après tout.
J’allais répliquer que je n’en avais pas du tout le désir quand un éclat de voix nous parvint depuis l’autre côté de la salle. Une jeune femme chassait un autre importun avec véhémence. Je comprenais sans peine son désarroi. Mon courtisan s’était également retourné. Son regard revint vers moi. Il paraissait choqué.
— Wouh ! Quelle hystérique ! J’aimerai pas être à la place de ce mec.
— Alors il ne vous reste plus qu’à décamper sur le champ. Sinon, vous regretterez clairement de ne pas être lui.
Ma voix était ferme, mon regard d’acier et je faisais jouer mon genou sous ses yeux. Son assurance vola enfin en éclats. Il se leva en balbutiant.
— B-bon, je crois que je vous ai assez fait perdre votre temps.
Et il s’éloigna. Il ne lui vint pas à l'esprit de reprendre son offrande. Cela me ferait faire des économies, bien qu’un verre de vin soit largement dans mes moyens. Je soupirai, laissant mon regard courir dans la salle pour croiser celui de Seb, le patron, qui s’approchait de moi avec une moue affectée. Il débarrassa ma table, ainsi que le verre de mon courtisan.
— Je t’avais dit que ça n’aurait pas grand effet.
— Tu peux toujours faire une déclaration publique.
Il rit.
— Ouais, il vaut ptete mieux. Sinon, tu vas encore briser des hommes, et c’est mauvais pour le commerce.
— J’ai toujours de bonnes raisons.
Il dodelina de la tête. Manifestement, il ne partageait pas cet avis, mais comme il m’avait à la bonne, il n’avait jamais rien dit. Il fallait dire que je lui avais déjà offert à une ou deux reprises mes faveurs, me contentant de lui dérober un fond d’énergie de temps à autre sans que ça ne l’affecte. Du moins, pas de manière consciente ni permanente. Il se tourna pour faire face à la salle et se racla la gorge.
— Pour votre sécurité et ma sérénité personnelle, je vous prie de ne plus embêter notre chère Brooks. Croyez-moi, vous pourriez le regretter.
Quelques regards intrigués se posèrent sur nous depuis l’ensemble du café, mais personne ne jugea bon de répliquer. Seb me fit face, tout sourire.
— Et voilà, ma belle. Il te faut quelque chose d’autre ?
— Je veux bien un café. Merci Seb.
Il inclina la tête avec un sourire et retourna au bar. Je poussai un soupir muet et me penchai enfin sur l’écriture. J’eus le temps d’écrire près de deux pages avant qu’une nouvelle interruption ne survienne, depuis l’autre côté du bar. La jeune femme de tout à l’heure dégageait encore quelqu’un qui lui tournait autour. En rogne, elle se leva et s’approcha de moi.
— Pardonnez moi… Votre table me semble la plus sûre de la salle.
Je lui offris un sourire sardonique.
— Et vous voudriez peut-être que je la partage ?
Elle dodelina de la tête, un peu mal à l’aise.
— Ce serait aimable.
— Vous ne semblez pas vous-même être d’une grande amabilité.
Elle expira bruyamment, les joues un peu rouges, mais ne se démonta pas.
— J’en ai assez d’être considérée comme une conquête potentielle. Vous trouvez que j’envoie ce genre de signaux ?
Je la regardai par dessus mes lunettes. Elle avait un visage fin, de beaux yeux noisettes. Ses cheveux étaient attachés en une queue de cheval simple, sans fioriture. Ils étaient d’un rouge cuivré et semblaient soyeux. Elle ne portait pas de maquillage et seul un petit grain de beauté sur sa joue droite, tout près de ses lèvres, amplifiait son charme naturel. Elle portait une tenue très simple, t-shirt ample, veste, pantalon et baskets. Une femme très belle malgré tout, mais qui cachait au mieux ses attributs féminins. Peut-être un peu garçon manqué. Mais ses yeux étaient magnifiques. Je n’étais pas capable de dire pourquoi, mais il y avait quelque chose en elle qui me paraissait presque… familier. Pourtant, j’étais certaine de ne l’avoir jamais rencontrée auparavant. Aperçue en balayant le café du regard un jour ? Plausible.
— Pas vraiment. (dis-je enfin avec amusement.) Mais vous avez une beauté naturelle, que voulez-vous.
Et elle était attirante. À mon goût en tout cas.
Le café se remplissait peu à peu et quelqu’un s’installa à sa table. Après une longue hésitation, je me décalai pour lui laisser de la place.
— Installez-vous donc. (dis-je.)
Elle me gratifia d’un sourire en remerciement, je n’étais pas certaine d’y voir beaucoup de reconnaissance, sortit son ordinateur portable et commença à faire je ne sais pas trop quoi. Je retournai également à mon écran, brûlant de me remettre au travail. Elle ne dit mot durant tout le temps où nous partageâmes la table et je lui en sus gré.
Je terminai mon chapitre avec un sourire, trempai mes lèvres dans mon troisième café de la journée, laissant mon regard embrasser la salle qui commençait vraiment à se remplir. Je regardais alors l’heure. Dix neuf heures… Il était temps que je m’en aille. Je refermai mon ordinateur et me levai, laissant un billet sur la table qui comprenait un généreux pourboire. Puis je rangeai mes affaires et me dirigeai vers la porte avant de subitement me souvenir de ma camarade de table. Je tournai la tête vers elle.
— Bonne soirée. (dis-je.)
Je remarquai alors qu’elle me dévisageait. Depuis combien de temps, je n’aurais su le dire. J’acquiesçai, sans réellement savoir pourquoi, et m’en allai. Je rejoignis mon appartement rapidement, me débarrassai de mes affaires et avalai quelque chose en vitesse avant de repartir dans le 11ème. J’allais faire un peu de repérage avant le grand soir. J’avais bien entendu pris le temps d’enfiler quelque chose de plus décontracté. Une robe avec un décolleté plongeant qui la classait très clairement dans les tenues non correctes ! Mais je savais que je ne me ferais pas rembarrer. Le message de Léonard ne concernait pas l’établissement mais la cible.
Le bar était ouvert et animé. Je n’eus cependant aucun mal à m’y frayer un chemin, faisant les yeux doux si nécessaire pour atteindre le bar. J’en fis le tour, observant longuement la salle en quête de ma cible. Comme elle n’était pas encore là, je cherchais un endroit où me placer pour avoir une vue imprenable sur la majeure partie du bar et notamment sur l’entrée. J’espérais qu’il viendrait, mais les notes de Léonard laissaient penser qu’il visitait régulièrement ce bar, je n’avais donc pas trop de souci à me faire. Je m’installai et commandai un Blue Lagoon. Ce n’était pas mon cocktail préféré, ce qui était une bonne chose. Ça m’éviterait ainsi de le vider trop rapidement et de finir bourrée. Les minutes passèrent… puis les heures. Après mon troisième Blue Lagoon en un peu plus d’une heure, je commençai à me sentir un peu nauséeuse et décidai de passer à quelque chose de plus léger. Une heure de plus, et mes doigts commençaient à tracer des sillons dans le bois du bar, ce qui me valut un regard noir du barman. Je jetai un coup d’œil à ma montre en maugréant, devenue irritable à cause de l’alcool et de l’attente. Il serait minuit dans moins de dix minutes... Ça faisait bientôt trois heures que j’étais là, à m’enchaîner les cocktails et toujours aucun signe de ma cible. Il ne viendrait peut-être pas, me dis-je en fin de compte. J’avais repoussé les avances de pas mal de mecs, d’une nana ou deux, et je commençais lentement mais sûrement à le regretter. Quitte à être venue ici, à m’être habillée et mise minable, autant ne pas terminer la nuit toute seule. Je me levai de mon siège et sentis le sol bouger sous mes pieds. Je dus me raccrocher au bar pour ne pas tomber. Et lui aussi bougea furieusement sous mes doigts ! Je savais qu’il ne fallait pas que je boive autant… Je pris une inspiration pour essayer de chasser mon trouble. Ce fut relativement inefficace. Prise d’une nausée, je filai en direction des toilettes, en ligne droite ! Enfin, c’était prévu ainsi, car en réalité, je déviai de la trajectoire une fois ou deux. Autant pour mon sex-appeal… Je m’enfermai dans une cabine, vidai une partie du contenu de mon estomac avec des gargouillis écœurants. Il continuait malgré tout de se soulever et je me forçai au calme. Il fallait que je me décontracte. Je respirai par-à-coup, bloquant l’air dans mes poumons avant d’expirer lentement. Dans mon état, il était difficile de parvenir à me concentrer, mais pas impossible. Je n’avais de toute façon que deux possibilités. Régurgiter tous les cocktails de la soirée, voire mon repas, ou réussir à reprendre le dessus. Putain que j’avais la tête qui tournait… Une nouvelle inspiration. Mon corps commença à luire dans la semi-pénombre. Je m’efforçai de calculer la quantité d’énergie que je pouvais me permettre d’utiliser tout en en conservant assez pour redevenir Roberto, au cas où je n’aurais pas l’occasion de me nourrir entre-temps. Je m’arrêtai à la limite, en nage. Je n’avais pas entièrement dessoûlé, bien entendu, mais je ne voyais plus le monde comme à travers un miroir déformant et pouvais presque marcher droit. Difficile d’user de la magie quand on était bourré mais j’étais plutôt satisfaite de moi. Je quittai les toilettes et retournai dans la salle principale, naviguant entre les clients, en quête d’une potentielle proie. Je m’arrêtai soudain en apercevant un homme qui ressemblait furieusement aux photos envoyées par Léonard. Il était vêtu d’un costume qui ressortait très clairement, décalé par rapport à ce que portaient les autres clients du bar. Il était avachi sur un tabouret, la mine sombre. Je notai la présence de quelques gorilles, disséminés dans la salle. Je crois que je les aurais remarqués aussi tout à l’heure, malgré mon état d’ébriété. Ils avaient une manière de se tenir, une main le long du corps, l’autre prête à fondre sous la veste à tout instant et ils semblaient analyser constamment tout le monde, sans jamais quitter plus de quelques secondes des yeux ma cible. Les gardes étaient assez… nombreux. Je regardai ma montre pour noter l’heure d’arrivée de ma proie, en espérant qu’elle soit plus ou moins fixe. Je pouvais essayer de nouer un premier contact dès ce soir… L’idée m’apparut aussitôt absurde. Je n’étais pas du tout son genre. Essayer d’obtenir une dose de sa part ? Je m’en fichais qu’il me catalogue en droguée après tout, et cela pouvait potentiellement me permettre de glaner quelques informations qui seraient des plus utiles à Roberto… Mauvaise idée. Je n’étais pas en état de tenir une discussion, et je doutais qu’il vienne ici pour refourguer sa came. Il avait juste l’air de vouloir noyer quelque chose dans l’alcool… Roberto viendrait le voir, dès demain et sobre, ce qui était un point non négligeable. Je pouvais peut-être finir la soirée avec quelqu’un d’autre, histoire d’être rassasiée… Mon regard se perdit dans la foule, mais personne ne retint mon attention… Même si une partie de moi avait envie de se sustenter, ou même simplement d’un plan cul, une autre était lasse et avait envie de mettre un terme immédiat à une soirée qui s’était avérée plutôt pourrie dans l’ensemble. Et ce fut cette partie là qui gagna, sans trop d’effort. Je sorti donc du bar. Quelques personnes se retournèrent sur mon passage… Mais… non, tant pis. Je me dirigeai vers le métro avant de réaliser qu’au vu de l’heure, minuit trente passé désormais, il n’y en aurait plus. Je décidai d’appeler un taxi qui me déposa à trois rues de chez moi. J’avais envie de marcher un peu pour prendre l’air. Évidemment, à une heure pareille, les rues pouvaient s’avérer un peu dangereuses… Surtout pour une jeune femme seule. Trois mecs déboulèrent du trottoir d’en face et commencèrent à me tourner autour en me sifflant.
— Hey, t’es jolie…
— T’as pas une clope, chérie ?
— Tu veux pas t’amuser un peu ?
Je n’étais pas d’humeur et me décalai pour les éviter, mais ils se remirent sur ma route. Soit. Je fis donc un mouvement de la main et une bourrasque souffla dans la rue, expédiant mes agresseurs contre le mur. Je me jetai sur le premier qui se relevait et plaquai ma bouche contre la sienne pour me nourrir de son énergie. Elle était fourmillante, exquise. J’en avais presque la tête qui tournait ! Ce petit con avait un chaos si bon… Je le relâchai à contrecœur avant qu’il ne soit trop affaibli et surtout, avant que ses copains ne se décident à se jeter sur moi. Il resta sous le choc, pas vraiment sûr de ce qui venait de se passer, étourdi par sa perte d’énergie soudaine. Avec cet apport, je me sentais totalement de taille à user d’un peu plus de magie sans craindre pour mon contrat avec Léonard. Je lançai donc un rapide sortilège qui chargea une bulle d’air sous les pieds d’un de mes assaillants, laissant l’autre m’attraper par mon décolleté. La bulle d’air grossit rapidement jusqu’à exploser, propulsant le malheureux qui s’écrasa un peu plus loin. Je renforçai mes muscles, agrippai le troisième larron et le forçai à me lâcher tout en lui tordant les poignets. Il gémit et tomba à genoux devant moi, totalement à ma merci. Je lui roulais une pelle à son tour, récupérant un peu de sa force avant de le repousser en arrière. Il tomba avec un grognement, hébété. Le premier commençait à sortir de sa torpeur. Je me tournais vers lui, les yeux brillant d’une lueur mauvaise. Il se recroquevilla. Un sourire barra mes lèvres. Je pouvais me débarrasser d’eux. J’avais déjà tué des gens pour bien moins que ça… Des gens qui n’avaient pas un passif aussi… lourd. Et me gorger de leur énergie, de ce chaos si puissant, si délicieux… Mais non. Je me fis violence et me contentai d’effacer mon souvenir de leurs mémoires avant de les laisser partir. Des cadavres auraient mené à une enquête. Le risque n’en valait pas la chandelle. Je fis la même chose avec leur ami inconscient qu’ils avaient laissé derrière eux puis retournai enfin chez moi. Le chaos déferlait dans mes membres, parcourait mes lèvres en me donnant des fourmillements agréables. Je me demandai comment ils avaient pu en engranger autant. Il ne s’agissait que de petites frappes, probablement bourrées, voir droguées. Pas des enfants de chœur, mais pas des tueurs non plus. Mais peu importait en réalité. J’avais trouvé un moyen plutôt agréable de passer une partie de ma frustration et me sentais un peu revigorée malgré une envie de sexe encore plus prononcée. Un effet secondaire du transfert... Un bref contact me permettait de me nourrir à condition de le faire très rapidement et par petite dose. J’avais besoin d’une connexion plus profonde pour récupérer plus et ces imbéciles n’en valaient clairement pas la peine. Bien entendu, comme l’énergie de Colosse, la leur ne ferait pas long feu avec ma transformation en Roberto. J’espérai que le mage que Léonard m’avait promis serait un met de choix. Car je faisais beaucoup d'efforts afin d’y accéder… Je me changeai, enfilant une ample chemise de nuit, avant d’aller me servir un chocolat chaud et de m’enfoncer dans mon canapé. Tina vint me réclamer de l’attention et je lui en offris. Un court frisson me saisit, me donna la chair de poule, comme un courant d’air. Je m’ébrouai, ce qui fit fuir Tina et je me décidais à aller me coucher quand on sonna à la porte. Une visite, à cette heure-ci ? Sceptique, j’allai tout de même jeter un œil par le judas, par acquis de conscience. J’ouvris la porte dans la seconde, surprise… et excitée.
— Andrew. (dis-je, un sourire aux lèvres.)
L’homme m’en offrit un en retour.
— Salut Brooks.
Andrew était un des rare immortels Natifs, si ce n’était le seul, avec lequel j’étais en contact. C’était un Céleste. Autrement dit, une créature bien plus ancienne que moi, et forcément différente ! Bon, peut-être pas si différente en réalité, car les Célestes et les Génies ressemblaient beaucoup aux humains en définitive. Vraiment beaucoup… Il portait un blouson en cuir, une chemise noire et un jean. Une tenue simple mais qui lui allait bien. Il avait un début de barbe qui lui mangeait le visage, pas plus de trois jours, comme à chaque fois que je l’avais vu et ses cheveux lui tombaient sur les épaules.
— Tu passes par la porte, toi maintenant ?
Il fit claquer sa langue.
— Bien qu’étant invisible aux yeux des simples mortels quand je le veux, tu ne sembles pas apprécier que je passe par la fenêtre, alors…
C’était vrai. Je n’aimais pas avoir l’air d’une folle qui faisait rentrer les courants d’air. Andrew, en tant que Céleste, disposait d’ailes qu’il pouvait aisément faire disparaître et qui lui permettaient de voler. Il aimait beaucoup en règle générale s’inviter chez moi en toquant à la fenêtre du salon ou de la chambre et j’appréciais qu’il ait décidé aujourd’hui de s’abstenir et d’opter pour un moyen plus conventionnel. Je m’écartai en secouant la tête, amusée.
— Entre donc. Tu sais que ce n’est pas une heure pour rendre visite à une dame ?
Nous nous rendîmes dans le salon et nous installâmes sur le canapé.
— J’étais de passage à Paris. Je serais bien venu plus tôt, mais tu n’étais pas chez toi… Et puis après ça, j’ai senti un tiraillement dans tout le corps et un frisson quand tu as usé de ta magie. Sur des mortels, ce qui n’est pas vraiment une bonne idée.
— Des voyous, monsieur le Céleste… (minaudai-je d’une voix plaintive.) Ils en avaient après ma vertu…
Il éclata de rire.
— Ta vertu… Ce qu’il faut pas entendre.
Je lui donnai un coup de poing dans le bras en réponse.
— Tu oses mettre ma parole en doute ?
— Jamais, jamais ! (fit-il en levant les mains, toujours en plein fou rire.)
Je secouai la tête d’un air faussement affecté.
— Tu veux boire quelque chose ?
— Non, je te remercie.
— Tu es venu me gronder alors ? (minaudai-je de plus belle.)
— Non plus… ça n’a pas très bien réussi à ceux qui ont essayé la dernière fois je crois bien.
Je repoussai sa réflexion avec une grimace sincère, me fermant aux souvenirs qui essayaient de s’imposer à moi. Je me sentis immédiatement furieuse de sa réflexion et il dut s’en rendre compte car il afficha une mine désolée.
— Je ne voulais pas raviver de mauvais souvenirs.
Je me contentai de hausser les épaules, dissimulant au mieux mes émotions derrière un masque impassible.
— C’est le passé… (dis-je d’un ton vague.)
Il opina et un silence gênant s’installa entre nous.
— Tu préfères que je m’en aille ? (demanda-t-il après un moment.)
— Pourquoi es-tu venu me voir ? (répondis-je, éludant sa question.)
Je n’avais pas envie qu’il parte. J’appréciais sa compagnie et elle se faisait de plus en plus rare.
— Je pensais à toi ces derniers temps. J’avais envie de te voir. Pour parler…
— Parler ? (le raillai-je avant de poursuivre d’un ton narquois.) Il me semble que c’est loin d’être notre activité favorite…
J’aurais pu jurer l’avoir vu rougir. Un exploit ! Ma colère s’était dissipée. Il avait ce don, c’était en partie pour ça que j’appréciais sa compagnie.
— C’est un peu cavalier de venir et de prétendre… Enfin, tu sais…
— Me mettre dans ton lit ? Enfin, le mien, en l’occurrence.
Il grimaça, mais pas parce que ma réponse ne lui plaisait pas, simplement parce qu’il était un peu mal à l’aise. Ça renforçait son charme. Le genre d’aveu que je ne lui ferai jamais ! Je lui offris néanmoins un regard ardent, auquel il n’était pas insensible. Mon pied nu vint se poser contre son torse, puis descendit jusqu’à son entre-jambe.
— Tu hésites ? (lâchai-je, mutine.)
— Non.
Et il me souleva du canapé avant de m’emmener dans ma chambre. Je me débattis pour la forme, poussant de faux gémissement de consternation. Il me déposa sur mon lit et m’embrassa fougueusement. Habituellement, j’aimais prendre mon temps. Mais j’étais excitée par mes ponctions récentes et le voir rendait mon désir presque insoutenable. J’étais déjà toute humide, brûlante, et je n’avais pas envie d’attendre plus longtemps. Je lui retirai donc ses vêtements, me cambrai pour bien lui montrer ce que je voulais. Mes mains s’emparèrent de son membre que je caressais de manière experte. Il grossit entre mes doigts, une sensation que je trouvais agréable et je l’entendis grogner un peu, de plaisir. Il me pénétra sans plus attendre. Il ne fallut pas longtemps pour que j’atteigne l’orgasme, Andrew avait toujours été un amant très doué, et je le sentis se vider en moi très peu de temps après. Je l’embrassai tandis qu’il se blottissait contre moi. J’avais détesté ces petits gestes autrefois… Maintenant je les prenais pour ce qu’ils étaient, un instant de tendresse, sans plus. Il n’y avait pas de sentiments entre nous. Enfin, si, mais uniquement de l’amitié et rien d’autre. Et comme il était un Céleste, il pouvait dissimuler son énergie à mes sens, ce qui endormait mon appétit et nous prévalait de tout risque. Bien entendu, j’aurai pu le vider si je l’avais vraiment voulu, mais ce n’était pas le cas. Nous restâmes ainsi, l’un contre l’autre pendant un moment. Jusqu’à ce que son membre se réveille. Nous fîmes l’amour deux autres fois.
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