C'était une fin d'après-midi morne et grise au ciel menaçant. Je conduisais tranquillement à bord de ma Toyota Yaris flambant neuve, la fierté d'avoir acquis cette petite merveille à roulettes égayait ce triste trajet de retour depuis un boulot ennuyeux à souhait.

Vu la tranquillité du trajet, je me permettais d'observer les nuages : ils étaient gris foncé de colère, presque noirs de haine. Ils semblaient pleins à craquer, prêts à déverser leur violence sur les malheureux d’en dessous. Je n'avais jamais vu les cieux dans un tel état d'agitation, des arcs électriques parcouraient les méandres turbulents d'un plafond de vapeur noire. Des rafales de vent impulsives déportaient ma voiture sur les côtés, comme si un esprit malfaisant tirait sur le volant pour m'envoyer dans le décor. Des feuilles et des détritus tourbillonnaient comme s'ils essayaient d'imiter les tornades à venir.

Je priais pour que l'orage qui s'annonçait ait la politesse d'attendre que je rentre au bercail avant de s'en donner à cœur joie. À mon grand désarroi il n'eut pas de telles considérations et annonça directement la couleur avec un déferlement de grêle. De véritables balles de tennis glacées se fracassaient sur mon pare-brise au rythme des flashs bleus des éclairs qui se réfléchissaient dessus comme des milliers de boules disco tombant du plafond. Le vacarme était assourdissant, je ne m'entendais même plus penser à quel point j'étais au bord de l'accident.

Puis... Plus rien, la grêle s'arrête, d'un coup, comme si quelqu'un avait fermé le robinet. Il y avait même une éclaircie, des rayons de soleil filtraient au travers d'un ciel démoniaque, comme si le bon dieu tentait tant bien que mal de reprendre ses droits. Ce fut peine perdue, après à peine cinq minutes de répit il se mit à déferler comme jamais.

Il dégringolait des trombes de flotte comme si l'eau avait remplacé l'air. De véritables jets de vapeur cisaillaient ma voiture de toutes parts au gré des rafales de vent transversales. Les nuages noirs d'encre déversaient leurs entrailles et vomissaient leurs foudres sans discontinuer. On ne voyait plus rien, l'atmosphère s'était obscurcie d'une douche dense de purée glacée. On n’apercevait les alentours qu'à la lumière violette de la foudre qui frappait à seulement quelques mètres dans les champs avoisinants déjà sinistrés. Je dus m'arrêter par manque de visibilité, ma voiture refusait d'avancer: une inondation de boue et de débris tentait de la gober.

La pluie martelait sur mes vitres comme un spectre aquatique frappant de ses sinistres ongles sur la glace comme pour m'effrayer. Que faire maintenant ? Je suis à l'entrée de la ville, je devrais pouvoir m'y abriter. La foudre s'abattant sur un arbre qui alla s'écraser sur la voiture devant moi me décida à sortir et à courir comme un dératé sous les averses accompagné d'autres automobilistes.

Déjà derrière moi, le fleuve avait débordé et emportait avec lui les véhicules dans sa course folle. La ville était un peu plus haute et n'était pas encore totalement inondée. Je courais désespérément à la recherche d'un abri avec mes compagnons d'infortune. Nous étions presque arrivés aux premiers bâtiments accessibles quand l'eau se mis à monter, m'arrivant presque aux hanches par moments.

Nous marchions dans la mélasse, accompagnés par un gendarme qui nous encourageait tant bien que mal à continuer nos efforts désespérés. J'étais gelé par la boue froide qui léchait mes jambes et les gifles glacées du vent.

Soudain le gendarme cria :

- Faites attention où vous mettez les pieds ! Attention aux bouches d’égout ! Elles peuvent vous happer ! Là il y en a une attention !

Je vis soudain la personne devant moi disparaître, comme aspirée dans le sol, j'étais terrorisé. Devant moi : un tourbillon furieux tournoyait sur lui-même à une vitesse folle, il m'entrainait dans son entreprise. Je sentais l'eau me tirer dans sa gueule dentée de branchages et autres débris. Un solide gaillard m'attrapa par le bras et m'extirpa du monstre avant qu'il ne soit trop tard.

- " Ça va ? Attention aux tourbillons, si vous tombez dedans c'est la fin !"

Nous reprenions notre route, à peine dix mètres nous séparaient d'un bâtiment en hauteur, il fallait traverser l'avenue. J'avançais sur un terrain miné, chaque obstacle immergé sur lequel je trébuchais me faisait sursauter. Le courant essayait de me balayer avec les branches qu'il emportait, je ne sais pas par quel miracle je tenais en équilibre. Je ne sentais plus mes pieds qui étaient glacés et meurtris par les débris qui venaient s'y cogner à pleine vitesse.

Quand soudain... Plus rien. Je tombais à la verticale dans un trou béant. Je n'étais plus du monde de la surface mais happé dans les abîmes. Je ne comprenais plus où j'étais et dans quel sens ma tête se trouvait. je tournoyais au gré du siphon qui m'avait avalé tout rond.

J'étais emporté dans les entrailles de la ville, dans un canal d'évacuation des eaux de pluie. Il faisait terriblement noir et froid. C'était un boyau très exigu, je me cognais et m'écorchais sur ses parois en béton. J'étais frappé de toutes parts par les débris et bâtons qui croisaient ma route, emportés à toute allure dans notre course folle. Je ne luttais même plus contre le courant, je me laissais porter par la vague qui me baladait avec violence.

J'étais transformé en toupie par les tourbillons et les rapides souterrains que je rencontrais sur mon chemin. Il ne se passait pas un instant sans que ma tête ne se retrouve successivement vers le haut puis vers le bas.

J'étais tellement occupé par le fait d'être secoué et cogné inlassablement, sans aucun moment de répit que je n'avais même pas le temps de penser au plus grave : J'avais été happé par une bouche d'égout, j’étais je-ne-sais-où, sous terre, en pleine plongée souterraine sans masque ni tuba, pas une seule poche d'air à l'horizon. Seulement de la flotte déguelasse dans ce conduit souterrain anarchique.

Je n'allais pas tarder à manquer d'air et allais probablement mourir noyé, coincé sous terre. On ne retrouverait peut-être jamais mon cadavre. Je commençais déjà à lutter pour maintenir mon souffle, j'étouffais. Que va-t-il se passer quand je ne pourrais plus me retenir de respirer, est-ce que je vais inhaler cette espèce de jus dégoutant dans lequel je baigne ? Est-ce que ça va être douloureux ?

Ma tête cogna contre un bord de béton, la douleur profonde me rappela à la raison : il doit bien y avoir un moyen de sortir d'ici...

Non... Non... Je ne peux rien faire, et quelque part c'est rassurant, aucune action ne fera la différence entre ma survie et ma mort. Je suis piégé et emporté par une force qui me dépasse. Je n'ai plus qu'à me laisser porter et voir ce qu'il va arriver. Je ne dois pas lutter, je dois conserver mon énergie et laisser le chaos me guider jusqu'à la sortie.

Alors je me laissais faire, le courant me baladait dans tous les sens, me cognait, me giflait, me pinçait. Je dévalais à tombeau ouvert, accompagné par un torrent indomptable qui bouillonnait et virevoltait sans me ménager.

Soudain tout s'arrêta. Ma course fut stoppée nette par une grille... J'étais foutu. Ecrasé par le courant contre elle, je ne pouvais respirer, une tonne de débris étaient coincés avec moi et l'on poussait tous ensemble contre notre geôlière. Bon sang, dans dix secondes je n'aurais plus d'air! Les débris m'écrasaient, j'étais comprimé comme pas possible. Et d'un coup la grille céda et nous libéra dans une explosion de détritus. Je fus expulsé dans un grand canal.
Enfin l'air libre! Je pouvais enfin reprendre mon souffle.

J'étais gelé, traumatisé, mon corps meurti avait subit tous les outrages mais j'étais sauvé par... Rien en fait, juste le hasard et la force des choses.