La machine infernale

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De sa lourde démarche, l'ouvrier dégingandé se dirigea vers le bout du couloir jusqu’à une sinistre porte blindée. Il l’ouvrit à l’aide d’une clé difforme et surdimensionnée dans un bruit de serrure désagréable et métallique.

Nous entrâmes dans une pièce particulièrement sombre et bruyante, dont la majeure partie était occupée par une immense machine grondante et tremblante. Des tuyaux fumants et incandescents en sortaient de toutes parts et se perdaient dans le plafond et les murs. Des pistons immenses faisaient des mouvements de va-et viens bruyants et anarchiques en produisant de la poussière et de la fumée.

La seule source de lumière dans cette obscurité étouffante provenait de l’opalescence rouge des voyants clignotants de la console située sur l’appareil. Il s’y ajoutait l’incandescence des tuyaux en fusion qui en jaillissaient, participant à la vision dantesque à laquelle j’assistais telle une âme perdue descendant au purgatoire. Des bouquets de câbles électriques dénudés produisant des étincelles dépassaient des murs éventrés. Certains alimentaient la machine, d’autres étaient arrachés. Diverses jauges et aiguilles s’affolaient sur les différentes parties de la bête faite d’acier rouillé.

Je restais là, observant, horrifié, cet appareil infernal dont la simple vue et ouïe me paralysaient. Cet engin ne dégageait rien d’autre qu’un sentiment de danger imminent, quel être dérangé avait bien pu l'entretenir? L’ouvrier : cigarette au bec, clé à molette à la main, s’en approcha et resserra un boulon. Chaque resserrage faisait réagir la machine de la façon la plus terrifiante qui soit. Elle redoublait de grondements et de crissements mécaniques, mais l’homme imperturbable mit un coup de clé derechef, occasionnant au passage un nouveau rataplan brutal et bestial. Il se tourna vers moi et, voyant mon désarroi, me cria :

- « Je ne sais pas à quoi sert cette machine ! Tout ce que je sais, c’est que je dois l’entretenir. Si elle cesse de fonctionner… Nous mourrons tous ! »

- « Comment le savez-vous ? »

- « Quoi ?! »

- « J’ai dit… Qui vous l’a dit ?! »

L’ouvrier, agacé, non pas contre le vacarme, qui n’avait pas l’air de le déranger, mais plutôt contre moi qui n’était pas en mesure de faire passer ma voix au-dessus du boucan, m'entraîna à l’extérieur de la pièce et referma la porte en la verrouillant à double tour.

- « J’ai bien entendu votre question, je ne pouvais vous répondre en sa présence. »

- « En présence de qui ? »

- « Mais de la machine, pardi ! »

- « Comment ça ? »

- « Cela risquerait de l’énerver… »

- « Nous parlons bien d’un objet inanimé… Comment pourrait-elle s’énerver?»

- « Ce n’est pas un simple engin bon sang ! Vous avez bien vu… Il s’en dégage quelque chose… Quelque chose de… de… »

- « Malsain ? »

- « Vous n’avez pas idée… »

Sur ces mots, il me tendit sa clé à molette et sa casquette. Pour une raison qui m’échappe je les attrapais machinalement.

- « C’est à vous maintenant, j’en ai terminé, bonne chance ! »

- « Comment ? Que suis-je censé faire ? »

- « Resserrez juste les boulons toutes les heures, ne l’énervez pas et tout ira bien. »

- « Et si je ne le fais pas ? Je refuse ! »

- « Alors un sort pire que la mort vous attend… Allez-y maintenant, elle vous appelle »

Sur ces mots, un grondement assourdissant se fit entendre dans tout le bâtiment. Le bruit traversait les murs, j’avais l’impression qu’il m’était destiné, comme un appel mécanique et énervé. Je me tournais vers la porte qui sursautait et tressautait. Lorsque je me retournai en direction de l’ouvrier, il avait disparu. J’étais seul… Seul avec ma clé à molette à la main et la lourde responsabilité de notre survie à tous, en accomplissant une tâche que je ne comprenais pas, soumis à une machine démoniaque.

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