4 - Un couloir
Ils retraversèrent le hall en sens inverse, cette fois-ci. Le silence qui l'envahissait quelques minutes auparavant était un lointain souvenir tant les piaillements des sept enfants faisaient écho sur les murs de pierre. Missy ne réapparut pas. Pourtant, Léocadia sentait qu'elle les observait, son regard posé sur leurs nuques, sans doute cachée dans une porte comme plus tôt.
Quel était cet endroit ? Cette question, plus qu'aucune ne l'avait fait avant, taraudait la fillette. Elle subodorait quelque chose de suspect dans ce Manoir. Il y avait d'abord cet homme, qui n'avait pas pu être physiquement à plusieurs endroits en même temps, puis Missy qui était sortie d'une porte comme si c'était un acte naturel et enfin, ce portail qui changeait mystérieusement les langues. Que réservait encore aux enfants ce Manoir fantastique ? Ils le surent quelques instants plus tard.
Ils pénétrèrent dans un maigre vestibule, très peu aménagé à l'exception d'un canapé ancien à quatre assises. Sur le mur de droite, une banale tapisserie ancienne telle qu'on en retrouve dans les vieux manoirs, s'étalait, représentant un roi, reconnaissable à sa couronne, en pleine partie de chasse-à-cour. Face à l'entrée de la pièce se trouvait une porte en bois.
Lady fit rentrer les sept enfants puis se plaça devant eux. Chacun la regardait attentivement.
« Si vous êtes arrivés jusqu'ici — c'est-à-dire au Manoir — c'est que vous n'êtes pas n'importe qui. Car n'importe qui n'aurait pas su le trouver : ce Manoir n'est accessible qu'aux âmes... magiques. »
À peine ce mot fut-il prononcé que le brouhaha reprit.
« Mais c'est n'importe quoi !
— Je n'y crois pas.
— Laissez-moi rentrer chez moi...
— Impossible !
— Est-ce qu'on va avoir une baguette magique ? »
Cette dernière phrase, prononcée par Grassouillet tomba en plein milieu du silence que Lady avait obtenu en tapant trois fois dans ses mains. Il rougit brusquement et baissa les yeux sur ses mains.
« Non, Blaise. Vous n'aurez pas de baguettes magiques. »
Il s'empourpra à nouveau. Comment avait-elle pu connaître son nom ? Il songea à poser sa question à voix haute mais se souvint qu'elle avait parlé de magie : cela devait venir de là.
Lady poursuivit en balayant son public du regard.
« Vous – et elle appuya fortement sur le pronom – êtes des Imagio : vous avez la capacité de modeler une chose précise de la réalité pour la manier à votre guise. Mais chaque Imagio n'a pas la possibilité de contrôler le même élément. »
Elle venait de perdre son auditoire et elle s'en était rendu compte. Après tout, ce n'était pas la première fois qu'elle récitait ce discours. Des centaines d'enfants avaient déjà défilé dans cette pièce, perdus sous ses yeux attentifs.
« Un exemple : Missy est capable de manier les portes. Pas les fenêtres ni les trappes. Uniquement les portes. »
Cet exemple seul ne suffit pas à rétablir la compréhension de chacun des enfants aussi elle surenchérit, avec succès, cette fois.
« Mon époux, Sir, est maître-Imagio des portraits : il peut transformer, utiliser n'importe quel portrait à sa guise. »
Un hochement de tête par-ci, des yeux fixés par là, elle sentait qu'ils commençaient à comprendre. C'est une question de notre chère Léocadia qui la conforta dans sa position d'instructrice accomplie.
« Et vous, Lady ?
— Vous le découvrirez bien assez tôt, sourit-elle. »
Puis, se tournant vers les enfants, elle continua :
« Ne croyez pas que vous vous trouvez à Poudlard. Arrêtez immédiatement de penser qu'un grand méchant va surgir pour vous éliminer et que vous sauverez le monde dans sept ans. Car c'est faux et la réalité est bien différente. Pour commencer, il n'y pas de Choixpeau pour vous répartir, seulement le couloir des Imagio. »
D'un large mouvement de l'avant-bras, elle défit la tapisserie qui n'était que pour masquer ce qui se trouvait dessous et dévoila un corridor vide qui serpentait sur une vingtaine de mètres de l'autre côté d'une vitre. Léocadia, la première, se pressa contre la vitre mais se dégagea après quelques instants d'observation méthodique. Il n'y avait rien dans ce banal couloir qui satisfit sa curiosité insatiable.
Alors que les derniers enfants se décollaient de la vitre, Lady reprenait son discours :
« Vous traverserez, chacun votre tour, – elle jeta, à ces mots, un regard appuyé sur les jumeaux – ce couloir. Lorsque vous en ressortirez, vous saurez quel Imagio vous correspond. Et viendront ensuite vos années d'apprentissage pour devenir maître-Imagio. Car cette faculté ne s'acquiert pas sans un travail laborieux et rigoureux. Mais les efforts sont récompensés.
« Ne vous formalisez pas si vos résultats sont surprenants : il est courant que ce soit un objet du quotidien qui devienne un Imagio puissant. Les Imagio ayant imposé une déception lors de la révélation sont, au fil des années, une source de fierté.
« Mais trêve de bavardage : nous aurons le temps plus tard pour discuter plus profondément. Il est temps de débuter. »
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