Ch.1.2
III
Comme la veille, l’aubergiste ne lui pose aucune question, ne le regarde pas non plus. Elle se contente de lui tendre la même clé, puis tend la main en attendant son dû. Les trois pièces glissent sur le comptoir, et sans un mot ou un regard, il glisse en direction de la chambre du troisième étage.
Les volets sont toujours fermés, la poussière dessine des traits de lumière dans la pièce plongée dans le noir. Il toque trois coups rapide suivi de cinq lents sur le mur de droite, puis s’assoit sur le petit tabouret en dessous de la fenêtre verrouillée. Quelques secondes plus tard, son « ami » ouvre la porte, puis la ferme méticuleusement derrière lui.
- Qu’est-ce que tu fous ? T’es pas censé être là-bas ? Y’a eu un problème ?
Il ne répond pas, se lève du tabouret et enlève sa capuche, puis défait les lacets de son haut ample un à un. Il regarde ensuite son « ami », puis lui demande d’un ton monotone :
- Je vais avoir besoin d’informations sur un homme. Tu m’as assuré qu’aucun chasseur de prime n’étaient en ville en ce moment.
- Quoi ? Impossible !
- Si la prime pour mon corps inerte lui suffisait, je ne serais plus là pour en témoigner. Une de ses balles a frôlée mon oreille.
- Et avec une arme à feu ?! T’as halluciné mon petit, il va falloir que tu y ailles doucement avec ton eau de la lune !
- Calme toi donc avec ta bière et trouve qui est cet homme, très rapidement. Sinon je serais contraint de demander aux Soleils d’Argent un nouvel « ami ».
L’homme balbutia, sans trouver quoi redire, puis repris son calme.
- Bon ok, je vais voir avec les autres antennes. Ne bouge pas d’ici.
Son horloge de poche affiche minuit, il est parti depuis au moins trois heure. Forcé de prendre du repos, il s’allonge sur le lit. Ses yeux se sont habitués à l’obscurité, les traits de lumières jaillissant des volets lui paraissent comme des flammes brulant la pièce de lumière. La chaleur colle sa fine peau blanche sur les draps sales. Il ne va pas réussir à dormir, c’est pourquoi il se rhabille et descends à la taverne de l’auberge.
Il met quelques minutes à s’habituer de nouveau à la lumière du soleil. Malgré l’heure tardive, les fenêtres crachent toujours leur lumière aveuglante. Il a entendu dire que dans certains beaux quartiers de la ville, les bars ferment leurs volets et allument des bougies pour signifier la nuit. Mais celui dans lequel il se trouve ne doit pas avoir les moyens d’acheter autant de bougies, ni même de volets.
Il passe entre les tables, dont certaines sont peuplés par de mornes mendiants ayant réussi à obtenir ce dont ils avaient besoin pour avoir leur repas de la journée, certains ressemblent plus à des bandits de bas étage, et d’autre à de pauvres hommes n’ayant pas le choix du lieu pour se remplir l’estomac. Il sait très bien qu’au beau milieu de ce quartier, personne ne devrait le remarquer : il n’est pas le seul blanc ici.
Il arrive au niveau du bar, quand une vieille femme derrière le comptoir se retourne vers lui. Elle est blanche, sa peau ne voit visiblement pas beaucoup le soleil. L’instant de quelques secondes, il est pris de nostalgie de son pays, puis se resonne en imaginant que la couleur de peau n’est pas forcément un indicateur fiable de l’origine d’une personne. Elle le fixe, un air étonné qu’il devine sous ses rides s’évapore lorsqu’elle prend la parole.
- On en voit pas beaucoup à l’extérieur des peaux aussi blanches. Tu es un voyageur mon petit ?
Sa voix tremblotante accuse l’âge plutôt que la timidité, ses yeux le fixent intensément, comme si elle avait trouvé une perle rare.
Il se reprends, puis réponds d’une voix détachée.
- Je suis ici pour affaire, je pars demain. Qu’avez-vous au men…
- Comment t’appelles-tu mon garçon ? Est-ce que tu viens d’Altlande ?! Toi aussi tu as fui le culte de la Lune ? Mon pauvre garçon, nous sommes bien plus en sécurité maintenant que…
La vieille femme s’avère être un moulin à parole, et surtout …
- Je n’ose même pas imaginer ce qu’ils font là-bas aux jeunes gens com… trop intrusive. Son enthousiasme inonde la salle à tel point que …
- J’ai eu un voisin Lunéaire aussi, et tu sais ce qu’il me racontait ? Que les femmes ne pouvaient… les quelques badauds présents commencent à y porter de l’attention, et c’est tout l’inverse …
- Même si l’on me donnait un navire, je n’y mettrais pas les… de ce qu’il s’efforce de faire depuis son arrivée dans la Capitale.
C’est quitte ou double. Rapidement il sort d’une de ses poches intérieures une fiole bleu nuit qu’il met discrètement en évidence devant les yeux de la vieille bécasse. Tout à coup, le silence. Il lève les yeux vers elle et se félicite de voir sa bouche ouverte d’un sourire sans dent mais rempli d’une envie dévorante.
- Pour payer le repas et votre silence, ça devrait suffire n’est-ce pas ?
Elle ricane puis prends sans hésiter la fiole pour la ranger à un endroit qu’il n’a pas voulu suivre de ses yeux.
- Et pour ce prix jeune homme, je te monte le repas dans ta chambre.
- Faites, mais plus un mot à propos de ma présence.
- Lorsque j’obtiens ce que je désire, je n’en demande pas plus… ricane-t-elle.
Elle ferma la porte sans un mot, comme elle lui avait promis. Il avale rapidement son plat sans plaisir, grommelant à l’idée de s’être fait racketter son avant dernière fiole d’eau de lune.
Il est deux heures et demi. On toque à la porte. Trois coups rapides, puis quatre lents.
Il se relève de son lit sans bruit, prends silencieusement sa dague et colle son oreille à la porte. Une respiration forte et saccadé de l’autre côté. Il attend.
Quelques secondes plus tard, on tambourine à la porte, la poignée se tourne. Il la laisse s’ouvrir, puis saute sur l’homme qui vient d’entrer en le mettant au sol, la dague en contact avec la peau de son cou.
- Mais qu’est-ce queuh tu fais ?! T’éfou espèce d’animaaal !!
- Le code, pauvre idiot ! cri-t-il en silence. C’est cinq fois à la fin ! J’ai cru qu’on m’avait trouvé.
- Euuh… Tu es trop tatillon mon peutit…
L’« Ami » sent l’alcool, et n’aligne pas correctement ses mots.
- J’espère que tu as trouvé des informations gros tas de bière, lança-t-il en se relevant sans aider l’homme en état d’ébriété au sol.
- J’ai un truc sur lui ! L’homme que tu cherches s’appelle Hormar.
- C’est lui qui me cherche, et me donner son nom ne m’aide pas du tout, vieux sénile.
- Attends ! J’ai un autre truc, et tu m’en diras des nouvelles : il n’a pas prêté allégeance à l’Empire Impérial, c’est un chasseur de prime libre, il a tout fait tout seul.
- Hum… C’est déjà mieux.
- Tu sais qu’ils aiment l’or ceux-là, alors si…
- Je sais ce que j’ai à faire, merci pour tes informations. Tu peux y aller maintenant.
Le pochtron remet sa chemise tant bien que mal, et pars en cognant la porte et le mur sur son passage. Il titube dans la chambre d’à côté puis se cogne une ultime fois jusqu’à déclencher d’énormes ronflements.
Le moment est venu, pas besoin d’attendre plus longtemps. Il prend ses affaires et sors de l’auberge en direction de l’Horloge du conseil Impérial.
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