Ch.1.3

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IV

 Il est 3h et quelques minutes, et les rues grouillent de passants, marchands, voyous. Cette ville ne dort jamais, tout comme l’astre qui la brûle. Il n’a pas l’habitude de voir autant d’agitation à cette heure-ci, du moins ce n’est pas comme ça que vivent les siens. Une colère lui monte aux joues, irrationnel il le sais car pour le moment, il ne peut rien y faire. Pour lui, c’est un manque de respect envers les dieux que de ne pas respecter les cycles dictés par les astres… qui fût dictés.

 Il s’engage en remontant sur l’immense avenue traversant la ville du nord au sud, « La route marchande » et son quartier qui font en partie la bonne et la mauvaise réputation d’Horlondreg, la capitale impériale.

 Les étales, marchands ambulants et autres boutiques se comptent par milliers le long des 12 kilomètres de terre, bordé d’un seul et unique quartier accueillant les travailleurs et leurs familles, les voyageurs et clients d’auberges.

 Du fait de leur construction chaotique, les habitations dessinent un labyrinthe de ruelles en parallèle de la ligne parfaite écumé par la foule, qu’il aperçoit par endroit lorsque les passants sont assez peu nombreux pour lui permettre. Il se félicite d’avoir aussi bien appris le plan de la ville : n’importe quel voyageur sans carte ni sens de l’orientation pourrait rapidement se retrouver là où il ne devrait pas être.

 Au bout d’un peu moins de deux heures de marche, il arrive enfin à la plus grande des deux places que traverse la gigantesque avenue. La vue y est plus dégagée en hauteur, ce qui lui permet d’apercevoir au loin à l’est son objectif : la Cité fortifiée, contenant l’Horloge Impériale, cœur de la science et des recherches menées par l’Empire de Soldona.

 Autour de lui, de nombreux curieux ont visiblement fait le déplacement pour ne serait-ce qu’apercevoir ce bâtiment-monument à plusieurs kilomètres de là.

 Des bribes de conversations de voyageurs trop peu aisé et de rang social trop bas lui parviennent, échangeant les on-dit sur l’aspect de la ville entre ces murs fortifiés, ainsi que les ragots et complots à deux sous sur les expériences menées par la myriade de scientifique peuplant cette ville dans la ville.

 A l’extrémité est de la place, il s’engouffre sous un porche menaçant, débouchant sur ce qui semble être le début d’un labyrinthe.

Il touche sa dague accrochée sous ses vêtements à sa cuisse, s’assurant de pouvoir réagir si besoin.

 Au bout de plusieurs dizaines de minutes de marche, les passants se font de plus en plus rare, jusqu’à ce qu’il se retrouve seul au milieu de petites bâtisses fait de matériaux de récupération. Les toits rétrécissent, laissant apparaître de nouveau les murs de la Cité Fortifiée, qui, de ce point de vue, semblent particulièrement écrasants.

 Des cris et des bruits d’objets brisés lui parviennent au loin, il n’arrive plus à distinguer les habitants des maisons sans porte des mendiants déjà ivres, et l’odeur lui est insoutenable.

Il est entré dans le quartier de la Nouvelle Horlon.

 Une nouvelle place, cette fois-ci sans commerce ni grande foule : seulement un puit qui semble asséché, et une trentaine de personnes attroupés au loin, dont les hurlements emplissent l’espace sonore. En s’approchant lui vient la certitude qu’il est au bon endroit.

 Il joue des coudes pour arriver à la limite définie par la foule, avec en son centre deux hommes se battants aux poings. Il arrive sûrement à la fin, en tout cas il l’espère, puisque celui qui est visiblement le vainqueur rue de coups le perdant au sol jusqu’à le défigurer. Un spectateur attrape à la volé une de ses dents, qu’il se fait subtiliser la seconde d’après par un autre bien plus costaud.

- Stop !! Il suffit.

Tous se taisent, plus personne ne bouge.

 Chacun est suspendus aux mots d’un homme assis sur un fauteuil de bois en face du combat. Il semble très vieux, mais sa voix ne tremble pas.

- Tu as gagné, ton jugement a été déterminé. Votre différent est désormais réglé, et, par le pouvoir de ce tribunal, j’annonce que tu es innocent de ce que cet homme te reprochait.

 Des voix de contestation s’élèvent dans la foule. Une jeune femme se hisse à l’intérieur du cercle, et tombe à genoux en pleure au niveau de l’homme gisant au sol.

- Ce n’est pas juste !! Il a voulu me défendre, et maintenant nous sommes les coupables en plus des victimes !

La foule s’agite, le vieil homme fronce les sourcils.

A mieux regarder ses yeux, il en est maintenant certain : le juge de ce tribunal est aveugle.

- Tu oses aller à l’encontre des lois qui régissent ta vie, ainsi que celle de ton amant, femme ?

- Je vous tuerai tous !! Tous bande de sacs de merde ! Hurle-t-elle sur les spectateurs.

- Il suffit !! Tu seras jugée pour ton affront. La prochaine demande te concernera, pauvre folle.

 Elle n’arrive plus à ouvrir la bouche que pour pleurer sur la dépouille de l’homme. Le vainqueur, qu’il devine être son mari, traine le corps de ce dernier hors du cercle jusqu’au puit au loin.

- Allons ! Affaire suivante, vite.

V


 Il s’essuie les mains moites avant de les lever vers le vieil homme aveugle, et de l’interpeller :

- Je viens voir le Contact au nom des Soleils d’Argent !

 Tous se retournent sur lui, sans un mot. Leurs yeux s’écarquillent lorsqu’il hôte son capuchon et dévoile le blanc de sa peau.

- Bienvenue parmi nous, ami Lunéaire, déclame le juge très solennellement. Le Contact est bien une de mes appellations, mais ici, je te prie de t’adresser à moi en tant que Juge.

Le bleu malade de ses yeux injectés de sang se dirige vers lui.

- Vous savez pourquoi je suis ici.

- Effectivement, et tu sais que tu as un prix à payer afin d’obtenir ce que tu désires.

 La foule semble ne pas avoir l’habitude de voir le vieil homme respecter autant son interlocuteur, elle s’écarte autour du jeune homme. Beaucoup baissent les yeux comme ébloui par sa couleur. Le maitre de cérémonie continue :

- Les Soleils d’Argent ne m’ont pas menti, tu sembles avoir beaucoup de courage pour venir à moi, à moins que ce ne soit de la folie.

- Qu’on en finisse, juge. Donne-moi le prix à payer.

- Très bien, dans ce cas… Femme ! Ton jugement n’attendra pas !

La femme ne pleure plus, elle s’est relevée, et attends à côté de l’homme sur le fauteuil en bois.

- Juge, pour ma victoire je demande réparation dans le sang de cet homme qui se dit mon mari !

 La foule hurle de plaisir à l’idée de voir une nouvelle boucherie. Le regard de la victime change complètement : elle devient une bête sauvage, prête à être coupable des pires atrocités pour se venger.

 Sa gorge se noue, son ventre se serre. Il n’imaginait pas avoir à faire à une telle créativité machiavélique. Mais s’il veut traverser les murs de la Citée Fortifié, il n’a aucun autre choix.

- Les demandes des deux parties ont été entendus ! Veuillez-vous positionner face à face. Je le rappelle, le premier de vous deux qui n’est plus apte à se battre sera déclaré perdant.

L’excitation dans l’air est palpable.

 Il se déplace vers le milieu du cercle de combat. En face, le Juge tend un couteau à la femme.

- Cependant, étant donné la différence flagrante d’habilité au combat d’un des participants, un avantage lui est attribué !

 Elle se positionne en face de son adversaire, l’arme blanche danse entre ses doigts. Il comprit qu’elle a pourtant une habitude certaine dans le maniement d’objets tranchants.

 Cette femme qui pleurait la mort de son amant quelques minutes plus tôt est maintenant prête à se battre.

Elle veut le tuer, il en est certain.

Lui ne souhaite pas lui faire de mal.

Il n’en a pas le droit.

- Que le combat… commence !

 La foule hurle. Sa respiration devient plus lente. Les bruits autour s’estompent, jusqu’à devenir un brouhaha sourd et lointain. La femme projette son visage défiguré par la haine vers lui, brandissant son couteau haut vers le soleil. Ses pas s’alourdissent, elle semble par moment léviter au-dessus du sol. La seconde semble durer des heures, jusqu’à ce qu’il ait la solution.

 Le bruit l’immerge à nouveau petit à petit, le galop face à lui redevient sauvage et, très précisément, il esquive le premier coup tranchant en inclinant le haut du corps en arrière, puis à droite pour le second, et à gauche pour le troisième.

 Une millième de seconde de doute en face lui suffit pour asséner un puissant coup de paume au niveau de son avant-bras droit.

 Sa main s’ouvre, libérant l’arme qui vrille dans les airs en décrivant un arc de cercle, finissant sa course dans l’entre jambe d’un pauvre spectateur.

 Stupeur général, l’homme vainqueur de la manche précédente est maintenant victime d’un malheureux accident.

La femme est autant désemparée qu’elle a plaisir à voir sa demande déjà à moitié accomplie.

 Elle choisit de ne pas profiter pleinement du spectacle et se retourne pour balancer son poing vers le visage de son adversaire, qui se tenait prêt à l’esquiver et s’élance vers le sol.

 Son élan l’ayant déstabilisé, il lui suffit d’un balayage de sa jambe droite pour qu’elle s’effondre, mais elle surprend tout le monde en roulant sur le sol pour rattraper sa chute, puis cours vers le lunéaire.

 Il prend le sens inverse, semblant la fuir puis saute dans les airs pour prendre appui sur le couteau encore planté dans l’organe du pauvre homme criant à la mort. Sous son poids, la plaie s’approfondie, et c’est lorsqu’il donne l’impulsion pour projeter son corps dans les airs que la lame pénètre entièrement dans le bas de son ventre, dans un hurlement atroce.

 Il passe au-dessus de la femme qui le pourchasse en salto arrière, qui se retrouve hébété, coupée dans son élan face à l’homme objet de sa vengeance.

 L’homme se vide rapidement de grandes flaques de sang. Personne autour n’ose respirer. Bientôt, il s’écroule au sol, désarticulé, les yeux encore ouverts, qui ne se fermeront plus, sa plaie dévoilant la boucherie que nombreux sont venus chercher ici.

 Bientôt, la femme le rejoint au sol, ne supportant pas cette vision d’horreur.

Silence dans l’assistance.

 Derrière, un applaudissement isolé, espacé et sarcastique.

- Bravo Lunéaire, tu es le vainqueur. Même si jouer selon les règles n’est pas ta qualité première.

Des hommes de l’assistance sortent le macchabé et la femme évanouie.

La foule commence à se disperser, comme trop repu par le spectacle.

- Je vais te donner ce que tu désires.

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