Ch.1.4
VI
Après avoir fait compter par ses sbires les pièces récupérés auprès des spectateurs, le Juge demande qu’on secoue les sacs.
Le bruit métallique et clinquant lui fait naitre un sourire avide, qui le contente. Il tape trois fois de ses phalanges l’accoudoir du fauteuil en bois, ce qui fait apparaître un très jeune garçon tenant une canne bardée de pièces visiblement fondu ainsi que de joyaux de faible valeur. L’enfant lui insère la canne dans la main droite, puis l’aveugle l’utilise pour se relever, et se rapprocher du vainqueur du combat. Il lui glisse à l’oreille :
- Tu as été très habile pour contenter tout le monde jeune Lunéaire. Mais il arrivera que tu n’aies pas d’autres choix que de bafouer tes convictions pour atteindre ton objectif.
Il se recule, et hausse la voix :
- Ce moment arrivera, et pour l’instant tu n’es pas prêt.
Le jeune homme blanc laissa s’échapper un petit rire. Il sait que ce mafieux des bas-quartiers ne connait rien à la vie qu’il mène, et encore moins de ses convictions. Les nombreuses années d’enseignements qu’il a reçu sur Altlande lui ont donné sa confiance et sa force, malgré son jeune âge et son manque d’expérience.
- Tu me dois quelque chose désormais vieil homme. Montre-moi le chemin vers la Cité Fortifiée, rétorques-t-il, confiant.
Il fronce les sourcils, soupire, puis fait signe à l’enfant de guider le Lunéaire.
- Une fois que tu seras entre ces murs, je ne pourrais plus rien pour toi.
- Je n’y comptais pas. Adieu, Juge.
Le petit garçon est rapide, mais pas de quoi semer son suiveur. Ils arrivent sur une route en bien meilleur état que tout le reste du quartier longeant l’immense mur, bordé de maisons plus nobles, pour la plupart incrusté dans la pierre sombre.
L’endroit est intriguant, il a du mal à imaginer cette bordure gauche d’âmes en peine, survivant avec difficulté, cohabiter avec cette bordure droite à l’abri de l’extérieur dans leurs maisons capitonnées, à l’ombre permanente du mur de la Cité Fortifiée.
Une habitation au loin sur la droite dénote cependant avec l’ordre établi, le petit guide y fini sa course juste devant la porte d’entrée.
Une fois à sa hauteur, il découvre sur sa gauche que les maisons en ruines laissent leur place à une grande esplanade, possédant plusieurs bâtiments surplombant les autres en son centre. Il aperçoit également au loin une patrouille de chevaliers-soldats, il en déduit qu’ils sont à la limite du quartier de Nouvelle Horlon.
Le regard insistant de l’enfant lui signifie qu’il est arrivé, mais ne lui donnes pas plus d’indication sur la suite. Il s’approche de la porte d’entrée de la maison étrange, et décide de l’ouvrir.
Le petit s’engouffre à l’intérieur pour y disparaitre, il fait de même sans hésitation. L’air y est moite et lourd, et lorsque la porte se referme derrière lui, l’obscurité vient soulager son corps tout entier.
Il longe un long couloir étiré par des portes verrouillés sur ses deux côtés. La lumière disparaît petit à petit, il sent ses forces revenir pleinement au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans cette habitation bien plus grande qu’elle ne semble être depuis l’extérieur.
Il arrive enfin au bout du couloir, mais aucune porte ouverte ne l’accueil, seulement un mur plein. Le garçon a également disparu, et pourtant il est certain de n’avoir entendu aucun bruit de porte ou de mécanismes. Ses yeux ont retrouvé leurs capacités, il voit désormais dans l’obscurité comme en plein jour.
C’est seulement en levant la tête qu’il aperçut un trou dans le plafond, juste assez large pour qu’un Homme puisse s’y hisser, ce qu’il fait en bondissant sans difficultés.
Le tunnel est étroit, et après y avoir rampé quelques minutes, il sent que la texture des parois change. L’humidité et le manque d’air commencent à peser sur ses poumons, lorsqu’il arrive enfin dans une petite cavité assez haute pour se tenir debout. L’enfant l’y attends, et il perçoit dans le noir que la pièce comporte plusieurs étagères fermées, ainsi qu’une lourde porte en fer verrouillé par un cadenas.
- J’ai eu l’impression que tu essayais de me semer petit.
L’enfant ne réponds pas, à la place il se contente de sortir de sa poche une grande clé en fer, puis ouvre le cadenas. Une nouvelle fois, de son regard, il lui fait comprendre qu’il doit poursuivre sa route de l’autre côté.
La porte se referme lourdement derrière lui.
VII
Le bruit de ses pas fait écho contre les murs en pierres du long couloir depuis maintenant plusieurs minutes. C’est alors qu’il discerne le changement progressif de la texture du sol, qui se transforme de la roche noir creusé de façon archaïque, à de la pierre marron angulaire plus conventionnel. Des puits de lumières au-dessus de lui chassent de nouveau l’obscurité, il sent la lourdeur de l’air qui se réchauffe et qui affaibli son corps.
Au bout du couloir, une porte en bois de bel ouvrage qu’il décide d’ouvrir sans attendre.
Il arrive dans une pièce qui semble être un bureau d’arrière-boutique, dans lequel des étagères remplies de papiers et de cartons contrastent avec la tentative de décoration de mauvais gout que portent les murs et les meubles. Au milieu de la pièce, un bureau bien rangé attire son attention : une sonnette et une lettre écrite dans la langue commune.
« Bienvenue cher invité. Veuillez sonner s’il vous plait. »
Le tintement empli la pièce à trois reprises, et en réponse il entend de l’autre côté du mur le bruit de nombreux objets tomber au sol, suivi de bruits de pas rapides. La clenche de porte descend, et elle s’ouvre sur un homme portant un grand sourire habillé par de grandes moustaches bacantes. Sur sa tête, un chapeau haut de forme de couleur improbable entre le vert et le violet, assorti à son costume de la même couleur.
- Bien le bonjour mon bon… monsieur ! Ah, je n’étais pas certains dans cette pénombre avec la longueur de vos cheveux.
L’homme étrange allume une petite ampoule au mur et s’approche de lui.
- Mais… Quelles boucles ! Quel teint ! Magnifique ! Vous avez une prestance à tomber par terre ! Par contre… (Il le toise de la tête au pied) J’ai l’impression que vous avez besoin de quelques conseils vestimentaires… Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Dit-il en soulevant son capuchon poussiéreux avec un air de dégout.
- Je suis ici pour tout autre chose, vous devez vous en douter, rétorqua le Lunéaire en repoussant sa main.
- Oui bien entendu… Mais je doute que sous-estimer votre STYLE augmente vos chances de survie dans cette ville. Vous êtes actuellement aussi voyant qu’un gros bouton rouge au milieu de la figure ! (Il pointe du doigt un gros bouton de fièvre qui lui ravage le front) Ne vous êtes-vous jamais renseigné sur les règles de bienséance régissant notre belle capitale ?
- Euh je…
- Non ! Bien entendu ! Ici à Horlondreg, c’est moi qui habille ! Allons, ne perdons pas de temps !
Il s’échappe en claquant la porte derrière lui.
Le jeune mal-vêtus reste sur place, l’air autant gêné que plongé dans l’incompréhension. Derrière la porte, des fracas de meubles tombant au sol et de verres qui se brisent accompagnent les bruits de pas de l’homme à la moustache, entrecoupé de petits sifflements mélodiques.
La porte s’ouvre de nouveau, un grand tas de tissu se présente cachant l’homme juste derrière.
Il propulse le tout au sol, puis regard le jeune homme l’air préoccupé.
- Hum… Une longue robe verte ? Non… Ce n’est pas la saison… Peut-être plutôt…
Il se met à fouiller dans le tas au sol, puis sans le regarder, lui lance énergiquement :
- Veuillez-vous déshabiller s’il vous plait ! Nous jetterons cette toile de jute infame !
Toujours en se demandant ce qui lui arrive, le jeune blanc enlève ses affaires en les disposant méticuleusement dans un coin de la pièce. Il dispose sa dernière fiole d’eau de Lune, sa dague, sa gourde vide, sa bourse, ainsi qu’un petit sachet dans un coin, puis dépose ses vêtements dans un autre.
- Ah ! Voila ! Incroyable ! J’ai trouvé. Veuillez rapidement enfiler ceci s’il vous plait !
L’homme chapeauté lui tend un costume en queue de pie rose, ainsi qu’un pantalon bariolé de motifs à fleurs de toutes les couleurs.
- Euh… Non, je ne pense pas que ce soit approprié…
- Approprié ? Bien entendu que ça ne l’est pas ! C’est ce qui fait le charme de mon STYLE ! (Il attend sa réponse, mais comprend qu’il ne changera pas de position) Bien… J’ai peut-être quelque chose de plus… professionnel pour vous. Tenez.
Il lui tend un haut ample à capuchon bleu traversé de coutures noir, ainsi qu’un bas de la même couleur comprenant diverses poches de différentes tailles.
Après avoir terminé de s’habiller, le Lunéaire accompagne le moustachu à la porte de son magasin.
- Et bien jeune homme, bienvenu dans la Cité Fortifiée. Je vous souhaite de trouver fortune dans votre mission !
Il acquiesce de la tête, ouvre la porte et quitte la boutique.
Ce n’est pas pour la fortune qu’il est là, mais pour quelque chose de bien plus grand.
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