Ch.2.3

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IV

989 AI / 56 AZ

26’ Florelas

Les sirènes perçantes de l’usine Martakreg résonnent dans toute la ville, sonnant le début du service de huit heures et demi. Le brouhaha non loin de l’auberge d’Alda et Bakleha s’apaise, pour laisser place à la quiétude matinale habituelle.

La scientifique verte ouvre les yeux, sont estomac noué, la gorge sèche et les tempes tambourinant comme souvenir de la veille. Bakleha, dans la chambre d’à côté, s’active en envoyant valser des vêtements à travers la pièce.

- Merde merde MERDE ! Je suis en retard !!

- Bak ?.... C’est à quelle heure ta présentation ? Grogna Alda, avec ce qu’il lui reste d’organe vocal.

- Neuf heures ! MERDE !

La petite médecine, la chemise boutonnée de travers, prends ses affaires et saute dans ses souliers.

- Souhaite moi bonne chance.

- Force à toi, Bak.

La porte claqua derrière elle, assenant un violent choc sensoriel à Alda.

Le silence revient dans la pièce. Elle se leva avec difficulté, et noya son mal de tête dans un grand verre rempli d’eau et de poudre d’herbe de Somne.

La soirée de la veille lui revient en mémoire. Le courage de Bak, malgré son jeune âge l’impressionne, et elle s’en veut de n’avoir pu lui en dévoiler autant qu’elle aurait voulu sur son projet. Mais c’est pour le mieux, impossible de connaître à l’avance la réaction des autres à ce propos.

« Demain, c’est le grand jour. Demain, je serai fixée. »

Une grande croix rouge barre le 27ième jour de Florelas sur son carnet de voyage, ce qui lui laisse toute la journée pour vérifier encore une fois sa présentation.

Après avoir verrouillé la porte, elle sort de son bagage trois petits paquets précautionneusement emballés, qu’elle dispose sur le bureau. Du premier, elle en sort de nombreuses fioles remplies de poudre, d’herbes, et de liquides divers. Du second, une petite plante de Mahris immature, qu’elle dispose au centre du bureau.

Une hésitation la prend soudain lorsque ses mains arrivent au niveau du troisième paquet. Elle le pose devant elle, et le regarde sans vraiment le voir, perdu dans ses pensées.

Elle se remémore sa jeune enfance en terre de Dunad, dans les champs agricoles de son père. La douce brise qui caresse son visage, l’odeur des plants de Mahris à perte de vue, le sourire chaleureux des employés que son père avait tous présenté un à un à sa petite fille.

Elle se remémore son adolescence, son apprentissage à l’académie des Cultures et des Élevages, son voyage en Toryo, son premier amour.

Elle se remémore ses 24 dernières années, ballotés entre les laboratoires cupides et les fermes industrielles, et ses nuits passés à se tourmenter.

Elle se remémore l’image des cultures abondantes et luxuriantes qu’elle connut petite, car elle en est certaine, et c’est désormais un fait connu : les plantes ne pousseront bientôt plus.

Mais elle avait hérité à la mort de sa mère, il y a 4 ans, d’un objet qui occupa la plupart de son temps libre. Et cet objet donna enfin, 46 années après sa naissance, un sens à la vie d’Alda.

Ses doigts démêlent doucement la ficelle nouée autour du troisième paquet, jusqu’à ce qu’il s’ouvre complètement sur le bureau.

Une petite pierre noir traversé de fines vagues et de reflets violacés. A côté, une deuxième pierre de la même taille, cette fois-ci d’un vert plus banal, similaire au badge qu’elle arbore sur son torse.

Elle prit la pierre de temps dans la main pour la contempler une nouvelle fois, comme elle l’avait déjà fait des centaines de fois.

Maintenant, il était temps de reprendre du début, encore.

Au bout de deux heures et demi de préparation, elle tient dans le creux de sa main la fiole contenant son labeur. Elle verse quelques gouttes sur les feuilles du Mahris, et attends.

Rapidement, au terme de quelques dizaines de secondes, la plante se mît à trembler de façon quasiment imperceptible, mais sa croissance par contre, saute aux yeux. Le Mahris grandi jusqu’à remplir complètement de ses racines le petit pot, les feuilles s’étirent et s’élargissent jusqu’au quadruple de leur taille initial, et les fruits apparaissent comme par magie, passant par toutes les couleurs de leur croissance, jusqu’à arriver à leur stade le plus mature, pour finir en magnifique grappe.

Alda décrocha un fruit pour le porter à la bouche. Il est délicieux.

Après toutes ces années passées à essayer de trouver le miracle qui pourrait nourrir la planète, Alda en étais arrivé à la conclusion que seul une pierre de temps couplé à une pierre de culture pouvait garantir un résultat aussi satisfaisant. Elle avait étudié de près toutes les alternatives fournies par ses confrères et consœurs, mais rien ne semblait autant radicale que sa découverte.

 Demain, elle en fera la démonstration devant le conseil scientifique minéral Impérial. Si elle fait les choses dans le bon ordre, peut-être qu’elle ne se fera pas arrêter avant la fin de sa présentation, et s’ils sont ébahis par la découverte, peut-être ne se fera-t-elle pas arrêter du tout.

 Les histoires de scientifiques utilisant des objets interdits pour leurs recherches sont légion, et elles ne finissent jamais bien. Au mieux, ils sont emprisonnés à la capitale ou dans une prison de campagne pendant quelques temps, sinon la mort, ou au pire, ils sont envoyés dans les prisons Impérial des contrés de Silvice.

 L’Empire n’autorise l’utilisation des pierres de temps qu’à un nombre très restreint de chercheurs, et uniquement pour des expérimentations contrôlées et le plus souvent commandé par l’Empereur lui-même. A l’heure actuelle, aucune de ces pierres n’est utilisé dans n’importe quelle application que ce soit. Personne n’en connait vraiment la raison, hormis que l’on devine dans le milieu scientifique une extrême instabilité, ainsi que des possibilités quasi-infini.

Après avoir rangé et ficelé correctement tous ses paquets et les avoir remis en place, Alda décide de prendre l’air. Elle avait besoin de respirer, et de se vider la tête.

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