Le son du vent qui passe

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Leurs pieds accrochaient au sable, sol peu idéal à la fuite en bonne et due forme. Ils rejoignirent les landes au nord de la ville, essoufflés, puants de sueur et d'ordures et…

Ysgarthiad ! [1] persifla Tyr en se tenant le flanc, le vêtement tâché de rouge.

— Merde, en effet ! ajouta Svud en l'adossant à un rocher moussu, puis se tourna vers le magicien : Vous n'avez pas des sortilèges de soin ou quelque chose comme ça ?

— Je… (Istredd s'empourpra ; De honte ou de colère ?) Qu'est-ce que c'était que cette chose ?

— Le Seigneur Pourpre ? Un vampire.

Ça ? Un vampire ?

— Oui, s'agaça Svud en déchirant une manche de la tunique de Tyr pour bander sa plaie. Son nom est Edward Kor'Al'Tain, il vient de mon monde. Il cherche à me ramener. C'est tout ce que vous devez savoir.

Istredd ouvrit la bouche, mais ne dit rien. Par contre, Tyr, l'air fiévreux, agrippa le bras de son soigneur. Il déblatérait des mots incompréhensibles, un mélange de Langage Ancien et commun sans queue ni têtes, mais Svud en comprit une bribe :

Le Murmure… Ne l'écoute pas, Svud…

— Repose-toi, fit Svud en s'écartant, puis ajouta pour Istredd : Quel genre de sorts avez-vous utilisé sur lui ?

— Le vampire ? Un… un sort de vent, je crois…

— Vous croyez ? (Excédé, Svud leva les mains au ciel) Franchement, si vous ne m'aviez pas sauvé la mise, je vous aurais collé une beigne.

— Je vous demande pardon ?

— Un sort de vent… Si mes calculs sont exacts, je dirais qu'il se reformera… Hum… dans trois minutes environ.

— Trois minutes… Reformera ? glapit le magicien.

— On bouge, annonça l'autre en aidant Tyr à se relevr.

Svud ne devait pas se préoccuper des estimations temporelles, surtout quand on avait affaire à un vampire comme Kor'Al'Tain. Maintenant, il fallait fuir… Mais ça ne sert à rien s'il peut me retrouver… Il regarda autour de lui, mais aucune plante, assez odorante pour tromper les sens du limier blafard, ne poussait aux alentours.

— Que cherchez vous ? s'enquit Istredd.

— On manque de temps… Vous pouvez faire un sort qui masquerait mon odeur ?

Le magicien réfléchit un instant, puis acquiesça, avant de marmonner une formule. Les mots vibrèrent dans l'air, entourèrent Svud d'un voile protecteur et toutes les odeurs perçues se fanèrent en un mélange de pierres mouillées et de vent filant entre les herbes. Svud le remercia, et ils repartirent.

Ils marchèrent longtemps, ne rencontrant que les mouettes qui becquetaient le cadavre de quelque mulots malchanceux. Le son de la mer les berçaient dans leur avancée, aléa rythmique qui se calquaient sur leurs respirations. Au loin, les fumées de la ville s'élevaient pour rejoindre les nuages, annonçant une tempête. Svud espérait que ne ce soient pas les hommes qui s'abattent sur eux.

Il aperçut un poteau soutenant des panneaux, l'un indiquant « Gors Velen », les autres « Novigrad », « Anchor » et « Vallweir ».

— Où allons-nous ? J'imagine que le portail de Gors Velen n'a pas lieu d'être.

— C'est là où vous vous trompez, sir Brandstal.

Il se retourna ; c'était Maghla ! Et une autre femme aux cheveux noirs et à l'air sévère… Sans réfléchir, il laissa tomber Tyr pour se précipiter vers son amie et la serra dans ses bras. Celle-ci lui tapa frénétiquement le dos en l'intimant d'arrêter. Il l'ignora.

— J'étais tellement inquiet ! Ils ne t'ont pas…

—…torturée ? (c'était la femme aux cheveux noirs qui avait répondu) Malheureusement, notre amie commune a subi ce triste sort… Mais elle y a résisté avec brio, n'est-ce pas ?

Maghla acquiesça, et Svud se tourna vers la nouvelle venue. Elle lui jeta un regard qui fit tressaillir le roux ; quelque chose d'étrange remua dans le coin de sa tête. Il chassa cette inquiétude et tendit sa main :

— Merci de l'avoir sauvé, madame… ?

— Munwogg… (elle lui serra la main) Lorwiva Aep Munwogg.

— Vous êtes nilfgaardienne, comprit Svud en sentant la minuscule inquiétude revenir.

— Cela vous dérange-t-il ? demanda la femme en serrant plus fort. Mon peuple vous a-t-il causé du tort par le passé ?

— Pas que je sache…

La tension était palpable, c'était certain… Ou alors je suis trop sur les nerfs, pensa Svud. La seconde possibilité semblait plus logique. Soudain, l'inquiétude légère se transforma en une drôle d'émotion… intrusive ? Tel un terrier qui creusait un sol riche, ou quelque chose comme ça… Svud fronça les sourcils et balaya ce malaise d'une main mentale.

Munwogg lui lâcha brusquement la main, l'air surprise, alors que Maghla demandait à Istredd :

— C'est pas tout ça, mais on doit prendre ce portail ou alors on y va en calèche ! Alors c'est quoi ton idée, le vieux ?

— Je ne suis pas… ! Hrmpf… Le portail ne se trouve pas dans Gors Velen, mais dans la colline d'à-côté, sinon il n'aurait jamais survécu aux chasseurs de sorcière.

— Pourquoi vous ne l'aviez pas dit plus tôt ? maugréa Tyr en se tenant le flanc, l'air livide. Je vous aurais fait passé par un chemin plus facile.

— Vous ne vouliez pas partager votre « plan » ! persifla Istredd.

— Vous n'auriez pas accepté, pouffa Svud.

— Oh, la ferme ! l'apostropha Maghla en lui donnant un coup dans l'épaule.

Ils commencèrent à se chamailler sur la marche à suivre, jusqu'au…

— Ça suffit ! (Lorwiva n'avait pas crié, mais son ton était si glacial que tous s'arrêtèrent) Votre manque de coordination me consterne. Vous ne vous préoccupez même pas de l'état de votre camarade !

— Je pourrais vous renvoyer la même chose, patronne, ricana Tyr.

Patronne ? s'étonnèrent les autres tandis que la nilfgardienne guérissait les blessures de l'elfe.

— Plus tard, rétorqua-t-elle, puis vers Istredd : Nous devons prendre ce portail au plus vite.

Elle désigna la ville de la tête, et en effet : un nuage de poussière s'élevait, menaçant.

* * *

Svud avait déjà prit un portail, mais celui-ci était vraiment mis en avant par l'architecture.

Ils avaient gravi la colline dégagée pour atteindre un ancien moulin, qu'Istredd avait révélé comme étant une ancienne tour de mage. Alors que l'extérieur, innocent bâtiment, se dressait, ses ailes de toiles grinçant au vent, il fallait y pénétrer, révéler une trappe à l'aide d'un habile mécanisme pour pénétrer dans la vraie tour, qui était construite à « l'envers ».

L’architecture était d'origine elfique, pour sûr, mais Svud, à la lueur des torches, reconnut des motifs zerrikaniens. La tour était spiralée, composée d'un pilier central autour duquel tournoyait un escalier en colimaçon dont on ne voyait pas le fond, et de temps à autre, on tombait sur une passerelle amenant à des salles ouvertes ou bien des portes fermées. Les murs, en revanches, étaient couverts d'étagères remplies de livres.

— Ah ! fit Maghla en trébuchant sur un caillou, tombant sur Tyr.

— Je te tiens, fit Lorwiva en la rattrapant avant Svud.

Elle lui lança un regard étrange, comme une lueur de défi dans le regard. Il lui en rendit un interrogateur, mais elle l'ignora, et dit à Maghla :

— Tu dois faire plus attention à ton entourage… Toujours aussi tête en l'air !

— J'ai changé, tu sais, bougonna la blonde non sans remercier son « amie ».

Tiens ? Maghla ne l'avait pas rembarré, comme elle le faisait avec Svud. C'était étrange. D'ailleurs, elle ne lui avait pas dit quelle était sa relation avec cette femme, à part qu'il fallait lui faire confiance. Logique puisque la nilfgardienne l'avait sauvé des griffes des chasseurs de sorcières.

— Nous arrivons, leur apprit Istredd.

Ils descendirent quelques marches de plus jusqu'à parvenir à une passerelle menant à une arcade. En approchant, Svud put lire des mots gravés dans la roche au dessus du passage : « Ard'aine a'baeth an'aiesin » [2]. Le sens de cette phrase lui échappait, à moins que ne ce soit qu'un vers dédié à la tour ? Il entra dans la salle à la suite des autres.

C'est là qu'il « lae » sentit.

Une énergie débordante, bouillonnante l'assaillit de toutes parts. Il vacilla ; les autres se tournèrent, mais vers derrière lui. Svud était trop sonné pour se retourner, les sons résonnaient comme des gongs dans sa tête… Des voix… Elles étaient indistinctes, mais l'attiraient à elles, encore et encore… Il résista du mieux qu'il put, mais elles le tiraient, l'étiraient…

* * *

— Svud ? Svud ! s'écria Maghla en voyant un chasseur de sorcières pointer son arbalète vers lui.

Mais l'autre benêt semblait encore faire une crise étrange ; il regardait dans le vague, un filet de bave le long du menton. Elle plongea vers lui pour le faire tomber, évitant le carreau suivant le ka-chack caractéristique.

Maghla se releva, pour voir qu'elle, son amie et ses infortunés camarades de voyage étaient encerclés par deux douzaines de chasseurs de sorcières armés jusqu'aux dents… quand ceux-ci s'écartèrent pour laisser passer un personnage qu'elle avait appris à connaître, à regret :

— Tss tss tsk… (Joldim s'avança en tapant le plat de son épée dans sa main) Vous n'allez pas nous quitter immédiatement, Dame Munwogg. Et toi ! (Maghla se pétrifia) Ne va pas croire que je t'ai oublié ; notre rencard n'est pas terminé…

— Approche-toi de moi et t'es mort, espèce de monstre ! cracha-t-elle.

— Oh ho ! Et que vas-tu faire donc ? Me lancer des éclairs ? M'enflammer ? Tu ne portes pas le titre de magicienne, novice. Vas faire joujou avec tes sortilèges sur ton île de malheur, avec les autres monstres dans ton genre.

— Il suffit ! (Lorwiva s'avança en prenant un ton autoritaire) Joldim, ceci est une mission d'état ; vous n'avez pas le droit d'interférer !

L'inquisiteur la regarda d'un air vaseux, avant de dodeliner de la tête ; des cordes vibrèrent et les carreaux volèrent jusqu'au groupe, mais Lorwiva les désintégré d'un bouclier iridescent, l'air scandalisée.

— Comment osez-vous ?

— Je fais ce que m'ordonne la loi ; l'usage de la magie sans autorisation est puni de peine capitale (il prit un air faussement déçu) Vous m'en voyez navré.

— Mais c'est vous qui lui avez tiré dessus ! C'est un cas de légitime défense ! s'étonna Istredd.

— Vraiment ? Mais vous êtes des hors-la-loi, magicien. Vous avez libéré des prisonniers sans faire payer de caution ni faire appel à la cour d'assise. Désormais, vous êtes des criminels, ricana Joldim. Donc rendez-vous sans faire d'histoires et je vous obtiendrais peut-être une peine moins lourde, disons… prison à vie ?

— Dans tes rêves, gronda Tyr en encochant une flèche.

Il tira. La précision du tir était telle que Maghla en eut le souffle coupé ; la flèche ne siffla même pas, et se planta net dans la tête d'un des chasseurs de sorcière. Même Joldim était bouche-bée, mais reprit contenance, la menace pullulant par chaque pore de sa peau :

— Grave erreur, elfe. Vous n'aidez pas votre communauté en agissant ainsi.

Le visage de Tyr fut traversé par la colère, et il encocha une autre flèche. Cette fois, les chasseurs étaient prêts : ils prirent leurs targes attachées à leur dos et formèrent un mur de fortune, l'arrière rechargèrent les arbalètes.

De leur côté, Maghla ne pouvait rien faire et laissa Istredd et Lorwiva incanter leurs sortilèges ; Tyr encocha une autre flèche, et elle, la petite novice, ne pouvait que se réfugier derrière une table. Elle n'osait pas regarder.

— Tirez !!! hurla Joldim avec un grand geste.

Vibrations. Sifflements. Bruits mats et étincelles. Quelqu'un hurla… Un homme, mais pas Tyr. Istredd ? Elle n'aurait su dire. Métal contre métal. Le combat s'engageait, une brève lumière éclaira le mur en face d'elle. Maghla se recroquevilla quand un coup de canon retentit.

Sa main se posa au sol… dans quelque chose de chaud. Elle glapit, et vit sa main couverte de rouge : du sang avait coulé jusqu'ici. Elle ne pouvait plus tenir, et laissa sa tête dépasser de son abri de fortune.

Istredd était aux prises avec deux chasseurs de sorcière, qui se battaient à l'aide d'épée aux reflets verdâtres – de la poudre de dimérite – et tranchaient les sorts du magicien. Joldim se confrontait à Tyr à l'épée, et semblait avoir l'avantage. Le reste des hommes de l'Inquisiteur tentaient tant bien que mal de faire face à Lorwiva, maîtresse de la foudre qui pulvérisait les malchanceux.

Un des hommes remarqua Maghla, et marcha jusqu'à elle, la haine au visage, son épée fermement empoignée. Il voulait la tuer. Elle voulait fuir.

Mais ses jambes refusaient de bouger. Son cœur battait à tout rompre. La novice ne connaissait qu'un seul sort offensif, mais en ce moment précis, elle l'avait oublié. Elle se sentait désemparée. Petite, même.

— Svud ! cria-t-elle sans réfléchir.

Une explosion balaya l'entierté de la salle. Les torches s'éteignirent sous l'effet d'un vent invisible, et la chaleur céda sa place à un froid humide. On entendit des hululements, des grondements. Les hommes paniquèrent, se plaquèrent contre les murs ou au sol. Joldim cria des ordres, qui furent perdus dans les sons épars et insensés. Puis, quelque chose se densifia, s'intensifia : une odeur légère, fraîche et familière.

La forêt.

Oui, la forêt. On ne pouvait pas se tromper, c'était cette odeur là. Maghla ne l'avait jamais vraiment senti, ou peut-être était-ce un souvenir. Cependant, on aurait beau nier, c'était irréfutable. L'herbe après la pluie, cette odeur un peu âpre de la terre mouillée. Le lichen qui courrait sur les troncs, les branches qui s'agitaient en frémissant. Derrière les fourrées, quand on cessait de respirer, l'on entendit les habitants cachés.

Un brame. Il venait de Svud, qui s'était mis à genoux pour lâcher ce son inimitable. Une sorte de brume bleutée s’amoncelait autour de lui. Le vent souffla davantage, poussa chacun sur les bords.

— Que quelqu'un l'arrête ! beugla Joldim avec des yeux exorbités. Tout de suite !!!

Un des hommes peina à charger son arbalète, visa tant bien que mal Svud, tira. Le trait fila et se planta dans la chair, projetant du sang sur le sol nu de toute poussière. Svud brama plus fort, et comme en écho le vent redoubla de fureur ; les chaises volaient, les tables s'écrasaient contre les murs, les livres voyaient leurs pages s'arracher et virevolter dans tous les sens. Le chaos se déchaînait.

Soudain, quelque chose s'alluma derrière Maghla. Elle se tourna : le portail s'ouvrait ! Et commençait à aspirer tout ce qu'il y avait dans la salle. Paniquée, elle cria :

— Svud ! Arrête !

Mais alors que sa première injonction avait déclenché tout ce fantastique phénomène, la seconde fit empirer les choses : Svud hurla, de sa voix cette fois-ci. Il souffre, comprit Maghla avec horreur. Il souffre et il n'entend rien. Derrière son cri, la novice entendit des murmures. Ils semblaient appeler le roux…

La brume se densifia et prit une forme reconnaissable : un cerf qui bramait à l'unisson avec Svud. La créature vaporeuse se cabra, et frappa le sol du sabot. Et Maghla sentit son corps être attiré par le portail. Il n'y avait pas qu'elle ! Lorwiva, Istredd et Tyr semblaient aussi être attirés. Maghla tendit la main vers Svud, mais la brume et lui… disparurent.

Le cri de la novice accompagna sa chute dans le vortex.

* * * * *

[1] Merde en Langage Ancien

[2] « Les hautes lumières embrassent les petites ombres » en Langage Ancien

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