Je saute d'un rocher pour que le vent emporte mes cendres. Classe, non ?
Svud coupa la énième bûche et s'épongea le front, avant de planter la hache dans la souche d'un geste furieux.
Depuis qu'il était remis sur pied, Merlin lui avait fait faire toutes sortes de tâches ménagères. Sachant que le roux se sentait peu enclin à accomplir des basses besognes, à force de poncer les poutres, de passer le balai sur le pas de la porte, désherber, couper du bois… Je suis devenu son esclave ! pensa le jeune homme avec un sentiment d'injustice.
Puisqu'il avait terminé, il se posa quelques instants par terre pour admirer de nouveau le paysage… mais contrairement à ce qu'il eut cru, il n'y trouva rien d’intrigant, d'épatant même. Juste une vallée simple, avec un village simple avec un lac simple. En fait, ce fut comme si le monde se faisait moins vaste.
Svud soupira et se leva ; il avait besoin de se dégourdir les jambes. Celles-ci s'allongèrent en pas lents et fatigués, ses articulations craquant pour délier l'engourdissement accumulé. Les branches des arbres y répondaient, que les bruissement du vent les accompagnaient. Le pépiement léger des oiseaux attira le regard du roux parmi les feuillages. Un moineau galant, une mésange maligne… Svud entendait.
Puis il décida d'écouter.
Tout commença par un léger frémissement… en se concentrant, il perçut le fracas timide du ruisseau qui se voulait torrent. Les pas frénétiques mais mesurés du petit peuple forestier. Les grondements sourds, les couinements secs. Juste quelques sons de plus, pas trop quand même. Tout ne s'imbriquait pas parfaitement, finalement ; tout se succédait dans un embrouillaminis invariable mais d'une beauté singulière.
Svud inspira : la senteur rêche de la résine de pin qui collait à la gorge ; l'effluve discrète des feuilles mortes d'arbuste en décomposition ; le musc insolent de quelque sanglier ; l'irréel sensation que le vent vous parlait.
…Svud…
Non, ce n'était pas si irréel que ça ! Le jeune homme se retourna la tête tournée vers l'origine de la brise. De nouveau, cette curieuse impression de présence évadée ….Svud… Mais c'était trop ténu ! Encore un peu plus haut, se dit-il. Plus haut, et je l'entendrais !
Ce fut la recherche d'une ascension. Ses yeux ne se tournaient plus vers la terre, mais vers le ciel ; derrière les branches, atteindre du regard les cîmes des arbres qui dissimulaient celles des collines. Serait-ce suffisant ? Pour le savoir, il lui suffisait de monter. Svud chercha, puis finit par gravir une petite dune. Mais c'était trop ténu !
Une butte. Trop ténu !
Une colline…. Ténu, encore !
Alors le roux se tourna vers une haute montagne, celle de celles qui embrassaient la vallée. De là où il était, Svud se sentit écrasé. C'était la première fois qu'il se trouvait au pied d'un titan pareil. Vais-je y arriver ? douta-t-il. Certes, il était endurant, mais les récits des voyageurs dans les livres parlaient des montagnes en tant que véritables épreuves, et non promenades de santé.
Le vent était trop ténu.
Svud se résigna, et marcha pour trouver un chemin praticable. Au bout d'un moment, il aperçut une pierre dressée, portant t rois sigle s étrange s , qu'il reconnût comme du… futhark ? Que fait une langue humaine sur ce monde ? Certes, il pouvait exister des similitudes entre les univers, mais ce qu'il avait appris au centre, c'était que chaque langue et chaque écriture était unique, se dérobant ainsi aux lois de l'infini.
Ce qui veut dire que soit ils se trompaient… sois il y a un terrien qui habite ici… Les runes, respectivement Algiz, Thurisaz et Raido étaient effacées par le temps. Il ne prit pas le temps de réfléchir à leur signification ; il voulait écouter le vent. Alors il marcha.
Le premier chemin était à l'image de l'homme ; à l'allure simple, repoussant la nature tout en épousant ses formes. Quelques fougères tentaient de l'envahir, mais ça ne le rendait pas impraticable. Svud avança le plus vite qu'il put, impatient d'entendre le vent. Ses pieds glissaient sur les cailloux, et le dénivelé augmentait.
Le jeune homme se fatigua plus vite que d'ordinaire. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? se dit-il en pliant en deux, les mains sur les genoux. Son corps avait été modifié dans le Centre pour survivre à des températures et pressions extrêmes, et était sensé être endurant au possible… Svud leva les yeux vers la cime.
Il comprit ; ce n'était pas une question d'être ou non plus fort que les autres. La montagne est plus fort que tout le monde. C'était l'endroit qui mettait chacun sur un pied d'égalité. L'hégémonie de la pierre.
Svud fit quelque chose de nouveau ; il s'arma de patience, et avança lentement.
Le deuxième chemin fut ardu, sauvage et dangereux. L'ascension fut longue, fastidieuse… mais pas réellement éreintante. Certes, la sueur devait parfois être essuyée de son front. Certes, l'eau viendrait à manquer une fois là-haut. Certes, les nuages absents ne masquaient pas le soleil de plomb. Mais juste était la montagne envers ceux qui la respectaient. Et il faisait de son mieux.
À la moitié du chemin, il ne fit pas de pause ; ses jambes auraient lâché sinon. Mais il contempla : la prouesse de la nature dans sa complexité étrangement symétrique. Les montagnes s'alignaient en cercles autour d'un lac dont la source se trouvait dans l'une d'elles. La forêt qui entourait le point d'eau était dense, verte et accueillante. Même le village semblait avoir été absorbé dans cette fantaisie impromptue.
Svud s'oublia dans l'ascension, seuls ses pieds qui foulaient le sol avec méthodique se rattachaient à la terre, au réel. Lui ? Le jeune homme qui n'était pas un vrai homme ? Il se tourna vers la cime. Elle l'appelait elle-aussi, mais sans voix. Juste quelque chose qui l'attirait là-haut.
Le troisième chemin fut une épreuve, et il y arriva. Et fut soufflé par tant de beauté.
De l'autre côté des montagnes se trouvait une terre magnifique. Des vergers, des vignobles à perte de vue. Et au loin, un château digne des contes de fée. Nous sommes à l'orée de Toussaint, comprit Svud.
Un air frais le fit frissonner, il se retourna ; tout tout en haut se trouvait quelqu'un, assis sur une pierre. Svud finit par deviner Merlin, qui observait Toussait d'un air tranquille, avant qu'il ne remarque le jeune homme et lui fasse signe. Ce dernier monta les dernières marches de la montagne, épuisé, et s'assit à côté du mystérieux homme.
Ce dernier ne lui dit rien, lui donna juste de l'eau, du pain et du fromage sec. Svud avala les trois, soupira de soulagement car il avait oublié qu'il avait très faim. La montagne semblait lui avoir pris ses sensations le temps de l'ascension, pour les lui rendre dès qu'il finissait de bouger. L'ironie de l'immobile.
— Ça fait une belle marche, n'est-ce pas ? finit par dire Merlin.
— Très belle, approuva Svud en opinant. Vous êtes là depuis longtemps ?
— Je suis parti en même temps que toi (Svud haussa un sourcil et fit la moue) Je connais le chemin, et les techniques.
— C'est un peu gênant d'être battu en escalade par un vieil homme…
— Ha ha ! Je ne suis plus tout jeune, c'est vrai, mais j'en ai à revendre ! L'expérience est un outil fabuleux, souviens-t'en.
Svud roula des yeux, trop épuisé pour se soucier des bonnes manières. Mais voir Merlin n'était pas son objectif… Le roux tendit l'oreille, et écouta… le vent sifflait, s'allongeait, se prélassait dans l'air… Pas de voix… J'ai dû rêver, pensa-t-il tristement.
— Tends plus l'oreille.
Surpris, il se tourna vers Merlin, mais celui-ci l'ignorait royalement en tirant quelque bouffée sur sa pipe. Convaincu que l'homme se jouerait de lui si Svud tentait de lui tirer les vers du nez, il s'arma de nouveau de patience.
Il en avait beaucoup perdu dans l'ascension, aussi puisa-t-il dans des réserves plus profondes de son être… Là où la magie et la Vérité auraient dû se trouver. Chaque clone, y compris lui, était capable d'animomancie, ie la communion des âmes, une vision magique qui permettait de voir l'essence des choses.
C'était difficile… Svud ne savait pas faire de magie, et ce seul exercice qu'il était parvenu à faire au Centre n'avait presque aucune logique de mise en place. Il fallait, eh bien… écouter. Tendre… l'oreille… ?! Il se tourna vivement vers Merlin, qui continua de l'ignorer.
Svud se replongea dans sa concentration. Mais tous ces souvenirs… Ils polluaient ses pensées, l'empêchaient d'avancer. Ils le retenaient.
— Essaye sans essayer (le son de la voix de Merlin chassa les brumes de son esprit) Tu n'as aucune emprise sur le passé, tout comme il n'a aucune emprise sur toi. Ce ne sont pas des démons, ni des poisons. Ils sont toi, tu es eux. Sans eux, tu n'es pas Svud. Sans toi ? Ils n'ont pas d'attache. Tant que tu leur accorderas de l'importance…
…ils m'en accorderont, conclut le jeune homme en expirant.
Un murmure. Tout comme les arbres qui s'allument sous le soleil levant. Tout comme la pierre qui frémit lorsque s'évapore la rosée. Tout comme la terre qui gronde doucement en se transformant…
Le vent soufflait.
Svud écouta. Mais ses oreilles n'entendaient rien ; ce fut son âme qui y parvint. Tout fut réduit au silence… Sauf le vent.
…Jotunhjortgutt…
C'était ténu, mais cette fois plus distinct. Svud n'avait pas compris le mot, mais le prochain fut plus clair :
…askejente…stjernetåke...
La fille des cendres, donc. Il devait trouver cette fameuse fille ? Le deuxième mot était « nébuleuse », soit le fondement même du voyage. Si le vent sortait ces deux mots à la suite, c'est que les deux étaient forcément liés…
Svud tenta de décrypter d'autres paroles, mais le vent était parti. Le roux reprit sa vision normale et soupira ; il devait trouver quelqu'un qui se prénommait « fille des cendres ». Il se tourna vers Merlin :
— Tu connaîtrais pas une « fille des cendres » par hasard ?
— À part Cendrillon ?
— À part Cendrillon, affirma Svud avec un étrange mélange de nostalgie et d'amertume dans la bouche.
— Cela ne me dit rien ; si c'est le vent qui te l'a dit, il est fort possible que ce ne soit pas une personne mais une légende.
— Génial, ça élargie mes possibilités…
— Ou pas ; le vent voyage, mais pas très loin. Ses frères et sœurs parcourent le monde, mais transportent souvent les mêmes histoires (Merlin frappa dans ses mains et se leva) Je pense que nous pourrons trouver ce que tu cherches à un endroit où les histoires éclosent et s'éparpillent.
— Où ça ? Dans un théâtre ?
— Trop mondain. Non, je te parle de là où tous les gens, quelque soit leur origine, se retrouvent. Un endroit convivial, où il y fait bon vivre.
Merlin montra Belhaven du doigt, ou plus exactement une large bâtisse qui laissait échapper le plus de fumée. Svud leva les bras au ciel, râlant :
— Une auberge, encore ? On se croirait dans un mauvais scénario de fantasy !
* * *
Pour peu qu'elle usait de sa tête, Cirilla ne parvenait pas à regagner ses florains. Et c'était encore pire sous le regard critique de sa mère adoptive, Yennefer de Vengerberg. Surtout parce que les deux gamins qu'elle affrontait au skat se gaussaient tels deux dindes farceuses. Yennefer soupira :
— Quand vas-tu cesser ces enfantillages ?
— Laisse-moi encore deux tours, grinça Cirilla entre ses dents, avant de dire aux deux nigauds : J'enchéris.
Elle mentait. Le premier rajusta son col, déglutit, visiblement crédule. Le second, plus malin, plissa les yeux. Il se coucha. L'autre continua de renchérir, et Cirilla le suivit jusqu'à que ça arriva à la limite de l'improbable.
— Les jeux sont fait, fit le malin en posant son jeu. J'ai Hand cinq, Schneider six, Schwarz cinq en pique.
— Merde ! fit son comparse en balançant sa main. T'es trop futé, Gud !
— La dame aussi le pense, fit ce dernier avec un sourire en coin vers Cirilla, puis tendit sa main : Aboule la monnaie.
— Ça suffit.
La voix de Yennefer avait résonné, et Cirilla qui s'apprêtait à passer le reste du contenu de sa bourse s'arrêta. Elle se sentit un peu penaude à l'idée que la magicienne rattrape ses erreurs, mais…
— Tricher en présence d'une magicienne n'est pas très futé, Gud.
Ce dernier pâlit et ouvrit la bouche, tandis que son comparse regardait lui et Yennefer. Cirilla se tourna vers sa mère, cette dernière lui lança un regard entendu. La jeune fille aux cheveux cendrés eut honte de ne pas s'en être rendue compte, et se tourna vers les fils de fermiers :
— Désolé, c'est la règle (elle tapota la poignée de Zirael, posée sur la table) Pas d'histoires, hein ?
— Vous avez aucune preuve ! beugla Gud en se levant.
Cirilla jeta un bref regard aux alentours ; les clients de la taverne les regardaient d'un air curieux, qui pouvait devenir menaçant si ça s'envenimait. Cirilla se pencha vers sa mère, et lui murmura :
— Ne nous attirons pas d'ennuis.
— Il t'a dépouillée en trichant ! siffla-t-elle. Tu vas le laisser faire ?
— C'est son seul moment de l'année où il profite de sa jeunesse. Moi, c'est tous les jours. C'est équitable, je pense ?
Yennefer parut scandalisée, mais Cirilla l'ignora pour assurer à Gud qu'il avait joué selon les règles. Le fils de fermier parut satisfait, et partit avec son ami non sans jeter un dernier coup d’œil mauvais à la magicienne. En sortant de l'auberge, il bouscula un nouveau venu.
— Regarde où tu marches, poil de caro…
Cirilla se tourna quand elle entendit mourir la voix dans la gorge du tricheur, et écarquilla les yeux ; une asperge était entrée, se penchant pour passer la porte. Ses cheveux étaient de feu et son regard de glace, si tranchant que même d'ici, elle ne pouvait le rater. Le type avait l'air jeune, et ses traits étaient d'une grâce rivalisant avec les plus beaux princes… et plus belles princesses ? Il l'air de ressembler aux deux, pensa-t-elle en voyant l'inconnu offrir un sourire poli au fils de fermer et prendre une voix posée :
— Il n'y a pas de mal. Et vous avez bien fait de me rappeler que je manque de bêta-carotène.
Ensuite, le type passa à côté du gamin tel un leshen à côté d'un arbuste. Il partit s'asseoir, vite rejoint par une autre personne qui n'avait rien d'ordinaire, elle non plus ; des cheveux aussi noir que Yennefer, un visage rectangulaire et des yeux vifs et intelligents.
— Il t'intéresse ?
Cirilla se retourna et vit sa mère sourire en coin, le regard tourné vers l'homme aux cheveux corbin. La jeune fille ouvrit la bouche et répliqua derechef :
— Pas du tout. Ce type me semble juste louche.
— Hmm…
— Tu te fais de fausses idées.
— Oui, bien sûr… Tu sais, ce n'est pas parce qu'on voyage ensemble que tu dois te priver des petits plaisirs de l'amour.
— Maman ! riposta Cirilla avec verve. Tu sais très bien pourquoi je n'en veux pas.
— Oh, Ciri… (cette fois, Yennefer ne se moquait plus, et attrapa la main de sa fille) Je ne veux pas te forcer. Seulement, je ne veux pas que tu vives dans la solitude juste à cause d'un passé enchaînant.
— Ne t'inquiète pas, je vais bien.
— D'accord… (et sa mère rejeta un regard vers le duo à l'autre bout de l'auberge) Néanmoins, il est inconvenant pour une dame de se présenter à la table des hommes ; c'est nous qui devons les amener à faire le premier pas.
— Maman, tu ne vas pas…
Cirilla ne comprit que trop tard le petit jeu de sa mère, quand l'homme qu'elle regardait se leva et se dirigea vers eux, suivi par le grand échalas. Yennefer sourit au plus vieux à son arrivée, et prit une voix veloutée, fruit d'un travail acharné et ardu :
— Bien le bonjour, monseigneur. Vous avez besoin de quelque chose ?
— Pareillement, madame, et il s'inclina en mettant sa main sur son cœur. J'ai eu la vague impression que vous aviez besoin de compagnie… À moins de m'être trompé, et je m'en excuserais dans ce cas.
— Sainte Melitele, ne le faites point ! (elle lui présente la chaise en face d'elle) Prenez place, je vais nous commander quelque chose de corsé.
— Puis-je vous demander votre nom, si ce n'est pas indiscret ?
— Nullement. Yennefer de Vengerberg.
Il la remercia de la tête et s'installa… et Cirilla remarqua quelque chose d'étrange chez la posture de cet homme ; malgré ses vêtements simples et un peu délavés, tout en lui respirait la noblesse et la bonne conduite. Son comparse en revanche semblait gracieux au naturel, s'asseyant comme un colombe sur un lit de nuages, mais sans aucun tact, sans aucun bruit. Cirilla suivit son exemple et resta silencieuse, le regard tourné vers sa chope.
L'homme, qui avait des yeux bleu-vert, parla reprit la parole, offrant un sourire charmant et franc :
— Je me présente : Merlin d'Ambre.
— « d'Ambre » ? Êtes-vous d'ascendance noble ? s'enquit Yennefer.
— Juste un surnom, à cause de mes travaux.
— Vous êtes artiste ?
Pitié, laisse-moi partir… Cirilla voulut se lever, mais la main de Yennefer se plaqua vivement sur la sienne sans que la magicienne ne détourne son regard de Merlin.
— Archéologue ; je m'occupe de tailler les ambres qui contiennent des vestiges du passé.
— Fascinant ! Vous devez être doué pour avoir gagné ce surnom.
— J'aime à penser que c'est le cas, mais je préfère recevoir des compliments de personnes avisées.
Il lui sourit, et elle lui rendit son sourire. Cirilla avait envie de se noyer dans son hydromel. Ennuyée, elle regarda le roux… qui la dévisageait d'un air surpris. Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-elle silencieusement avec un signe de tête, mais la grande perche détourna le regard. Poule mouillée…
— Et vous, puis-je me permettre de savoir ce qu'une femme de votre trempe fait dans ce joli petit hameau ?
— De ma trempe ?
— Vous m'avez l'air d'être bien plus que ce que vous semblez paraître.
Cirilla trouvait cela insultant, mais elle vit sa mère sourire de plus belle. Franchement, elle ne comprenait rien à rien de ces jeux de séduction avec ces milliers de codes et messages, complètement illogiques parfois… La main de sa mère était toujours sur la sienne, l'empêchant de s'échapper.
— Je suis magicienne, répondit finalement Yennefer sans détour. Je voyage avec ma fille, Cirilla (Yennefer tourna sa tête vers cette dernière, qui se força à sourire) Vous êtes, à ce que je vois, également accompagné, sir Merlin ?
— Voici Svud, mon apprenti (Svud offrit un sourire timide à la magicienne) C'est un garçon très effacé, mais vous seriez impressionné si vous le verriez à l'action.
— Cirilla, dit soudainement sa mère sur un ton qui ne lui plaisait guère ; un mélange d'amusement et d'empressement. Tu pourrais discuter avec Svud pendant que moi et sir Merlin faisons plus ample… connaissance.
Tu me le paierais, pensa Cirilla en souriant sous la contrainte. Je vais en faire de la pâtée pour chien de ton apprenti…
— Vous lisez dans mes pensées, dame Yennefer. Svud, un conseil : tout comme l'élève dépasse le maître, la fille dépasse sa mère (il coula un regard à la-dite mère, qui opina en souriant) Alors je te conseille de faire preuve de tout le tact dont tu disposes.
— Je risques d'arriver à mes limites rapidement, répliqua ce dernier.
Cirilla, qui buvait une autre gorgée de bière, s'étouffa ; la jeune femme avait prévu de le tourner en bourrique ! Mais dès qu'elle leva son regard vers Svud, elle vit un air triomphant caché derrière son sourire timide. Le sale bâtard, il m'a fait croire qu'il était plus débile qu'il ne l'était vraiment…
Elle se leva, Svud fit de même. Il est vraiment grand, bordel ! Elle sortit en trombe de l'auberge, l'autre sur ses talons. D'un coup d’œil par dessus son épaule, elle constata qu'il devait effectivement se baisser pour passer la porte. Croisant ses bras, elle lui fit face avec une moue désapprobatrice. Le roux la regarda avec un haussement de sourcils, et dit :
— Je ne suis pas né de la dernière pluie, tu sais ; j'ai plus de deux-cent-sept millions de sœurs.
— Tu vas… Hein ?
— Oublie.
— Écoute, on va jouer à un jeu très simple : tu restes là, devant l'auberge, pendant que moi je vais vaquer à des occupations plus importantes que faire la nounou.
— Comme quoi ? demanda le type en la suivant tandis qu'elle se dirigeait vers la maison du maire.
— Des trucs de sorceleuse, dit-elle en espérant l'effrayer, mais…
— Tu es une sorceleuse ?! Mais c'est génial ! (il regarda dans son dos) Mais tu n'as qu'une épée…
— Elle est en…
— Oh ! En argent météoritique, pas vrai ? Tranchants solides, souple dans le cœur.
— La connaissance, c'est comme la confiture.
Svud se tut, et elle soupira ; elle réfléchit un instant quand au contrat que le maire lui avait proposé. C'était à propos d'un monstre hurleur qui rôdait près du puits aux alentours de minuit. Pas de quoi étonner un sorceleur digne de ce nom.
— Ciri… (elle se tourna vers Svud en lui lançant un regard froid) Cirilla, pardon. Je veux voir un sorceleur dans l'action. Je me tiendrais loin de ton lieu de ton combat, promis !
— Je ne veux pas qu'un poids mort se mette en danger pour que j'aille le protéger.
— D'où la distance.
Devant son air suppliant, Cirilla ne put qu'accepter. Et puis, il a l'air plus têtu qu'une mule !
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