La bête de la rivière Niwa - Partie 2

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Svud arriva à la Newa aussi vite qu'il put, mais malgré tous les efforts du monde, empêcher qu'une brume ne s'abatte sur la rivière demandait des talents magiques supérieurs qu'il ne possédait pas.

Et qu'est-ce qu'il y en avait, de la brume ! Laiteuse et vaporeuse, elle léchait le sol et effleurait la rivière. D'ordinaire, les sorceleurs utilisaient une potion de Chat pour détecter tout ce qui se trouvait dans un épais brouillard… mais Svud n'était ni maître des potions, ni muté pour supporter des breuvages toxiques. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ?

Le vent.

Il sifflait à son oreille. Maintenant que Svud l'avait écouté, il l'entendait plus distinctement. Ce n'était pas des indications claires comme « c'est là qu'il faut chercher », mais plutôt des intuitions. Le vent ne voyait pas, il coulait sur chaque chose. S'écoulaient les secondes où Svud le voyait toucher du doigt l'illusion démasquée.

Le brumelin gronda d'étonnement lorsque son voile de brume se dissipa. Sans attendre, Svud sorti sa lance-dague et fonça sur le monstre. Surpris, ce dernier prit une entaille profonde dans le bras et hurla de douleur ; la blessure fuma et bouillonna, sulfurée par l'argent météoritique.

Le roux pointa sa lame vers la créature et appuya sur le bouton. Schlac, puis la lance jaillit. Trop tard : le brumelin bondit en arrière et fut avalé par la brume magique. Svud tenta d'en appeler de nouveau au vent, mais celui était trop faible en ce jour. Le jeune homme avait perdu son avantage.

Le soleil se couchait petit à petit, et à en croire les manuels du frère Alderbert, les brumelins devenaient plus forts le crépuscule. Svud devait trouver une solu… son instinct le fit se retourner, pour voir une main griffue sortir de la brume. Il fit une roulade de dernier moment, se couvrant de glaise par la même occasion.

Le brumelin avait de nouveau disparu… Non ! Des volutes de brumes se morcelèrent et s'agglomérèrent pour former des illusions tangibles. Ce devait être donc un vieux brumelin. Svud évita griffes, morsures et langues laiteuses tranchantes. Le monstre ricanait, prenait plaisir à jouer avec sa proie.

C'est alors que le brumelin sortit de son camouflage pour de bon et lacéra le dos de Svud, mélangeant sang et boue dans un hurlement de douleur. Il tomba à genoux, sa lance fut son seul appui.

Il n'y avait plus rien à perdre. Cirilla lui avait montré comment tordre ses doigts dans le bon ordre, comment en appeler à cette force qu'est le Chaos. Il se concentra malgré la douleur, fit le vide dans son esprit comme lorsqu'il en avait appelé au vent. Quand soudain…

Brû…lant ?

Ses doigts bougèrent d'eux mêmes, s'écartant les uns des autres. Le majeur se plia… et formèrent le signe d'Aard, le plus haut, la montagne. Mais l'effet escompté ne fut pas ce qu'il attendait ; à la place d'une forte poussée télékinétique, un cristal jaillit de sa main et traversa la brume en sifflant… avant de se planter dans quelque chose de mou.

Le brumelin cria et perdit son camouflage, les brumes surnaturelles s'allongèrent sur le sol. Svud se releva mais tituba quelque peu, fébrile et les mains tremblantes. Il ravala un haut-le-cœur, et chargea en hurlant le brumelin, sa lance dressée face à lui. Tel un jouteur du Kovir, il la planta dans le ventre de la créature. Le monstre lâcha un crissement et tenta de griffer Svud, aussi ce dernier continua d'avancer, d'enfoncer la lance plus profondément. D'horribles bruits de broiement, de viscères déchiquetées… jusqu'à que le monstre s'effondre.

Svud était là, avachi contre la lance. Il soufflait comme un bœuf, couvert de sang, de sueur et de boue. Il prit un petit moment avant de réaliser qu'il avait vaincu. Soulagé, il s'affala sur le sol. Et ferma les yeux.

Le soleil s'était déjà couché.

* * *

Svud se réveilla à cause de la douleur. D'une grimace et d'un sifflement, il s'aida de ses coudes pour se redresser… Argh… pensa-t-il avec sincérité. Son dos le lançait, mais heureusement, la souffrance s'était atténuée ; ses blessures se refermaient un peu plus vite qu'un humain normal. Bon, il aurait préféré avoir un téléphone pour appeler des secours et aller à l'hôpital, mais dans un monde médiéval, il fallait faire avec ce qu'on avait.

Cela tombait bien, il portait une veste. Avec des gestes lents et précautionneux, pour ne pas rouvrir ses plaies, il la retira et la déchira en lanières, qu'il aspergea ensuite d'un désinfectant prêté par Ciri, qui sentait fort. Une fois cela fait, il se contorsionna dans les limites possibles pour se passer un bandage de fortune autour du corps.

Les alentours étaient endormis, au loin, pas de lumières. Combien de temps avait-il dormi ? Le roux glissa son regard vers son colocataire de fortune : le brumelin, la gueule ouverte et les entrailles qui grouillaient de mouches, semblait prendre un air étonné. Svud ne se dérida pas face à cette vue morbide en décapitant d'un coup de lame la tête du monstre.

Il remarqua l'instant d'après le morceau de cristal planté à même dans le corps du monstre, au niveau de son foie. Cela luisait doucement dans la nuit, un peu à la manière d'un champignon phosphorescent. Curieux, Svud l'extirpa.

Froid au toucher, il était lisse comme du verre. Après avoir nettoyé le sang sur sa moitié inférieure, Svud observa la nuit à travers le cristal, et y distingua plusieurs formes. Le cristal n'avait bien sûr rien de naturel, et pourtant… À l'intérieur, cela ressemblait trait pour trait à du diamant.

— Oh, bah ça alors !

Svud se retourna ; une petite gamine, les yeux ronds comme des soucoupes, le regardait en ouvrant la bouche. Le jeune homme sourit, rangea le cristal dans sa poche et se redressa, un sourire fatigué aux lèvres et une tête de brumelin à la main. Puis, comprenant qu'il s'agissait d'une gamine, il prit un air sévère.

— Qu'est-ce que tu fais toute seule à cette heure-ci ? Tu devrais être chez toi ?

— Heu… (la petite prit un air penaud, avant de se raviser puis montrer le bois de son doigt potelé) Y a mon oncle là-bas. On cueillait des champignons.

— À cette heure-là ? C'est déraisonnable… (elle haussa ses épaules, et Svud soupira) Bon, je vais te raccompagner. Je ne veux pas que tu tombes sur quelque bête sauvage.

— C'est vous qui l'avez zigouillé ? s'enquit la petite en montrant la tête du brumelin alors que les deux se mettaient à marcher. Ça sent super mauvais !

— Et ça sentira pire si on se dépêche pas ; oui, c'est moi qui m'en suis débarassé.

— Mais, monsieur… Vous êtes blessé ?

— Oh, ça ? (Svud jeta un coup d’œil dans son dos, que la petite dévisageait d'un air étonné) Ce n'est rien qui puisse m'inquiéter.

Ils marchèrent donc, silencieusement. Quand un bruit de craquement se fit entendre, la petite agrippa le pantalon de Svud. Ce dernier se tendit face à ce contact : c'était étrange. Pourquoi… ?

Mais je veux y aller !… Qu'est-ce que c'était que ces souvenirs ? …On va jouer à chat, au loup et à l'hirondelle !… Svud tentait de se concentrer pour faire apparaître des images, des sons…Non, je n'ai pas le temps de jouer, je dois rejoindre la salle des tests… mais ce ne furent que des sensations qui l'accueillirent. Vivaces, ou ternes, il n'aurait su dire.

— Monsieur, j'ai…

peur, tu es sûr qu'on est en sécurité ?…

— Bien sûr, répondit Svud. Reste près de moi et…

tout ira bien, je te le promets…

Il baissa son regard vers la gamine : sa bouille pleine, ses yeux larmoyants, et pourtant… ! Un vague sourire rassuré se dessina sur ses petites lèvres, et elle acquiesça doucement. Svud sentit un mélange de fierté, d'amusement et de tendresse qui le poussa à ajouter :

— Tant que je suis là, tu peux t'amuser à écouter les arbres qui parlent.

— Quoi ? (La petite pouffa) Ça parle pas, un arbre !

— Ah, mais je t'assure que si… Écoute ! (il fit mine de tendre l'oreille, prenant un air très sérieux) Hum hum… Hmm ? Que dites-vous ? Le soleil a été bien chaud ? Et l'eau bien fraîche ? Et qu'en est-il du chant des oiseaux ? Oh ! Vous dites que le merle s'est permis de chanter un peu plus fort que d'habitude ? Cela ne m'étonne pas de lui, il se prend pour un coq !

— Hi hi hi !

Le visage de la petite se détendit, et à son tour elle tendit l'oreille. Le chemin ne fut plus criblé de silences, mais pavé de petites anecdotes qu'ils « écoutaient » des arbres, se les échangeant comme des petits pains. Svud profita pleinement de ce moment, d'ordinaire si prompt à prendre les enfants pour des choses énervantes sans intérêt. Pourquoi pensait-il cela ?

Les deux trouvèrent l'oncle entre deux régiments de pins parasols, visiblement occupé à farfouiller la terre. La petite voulut se précipiter pour le prévenir, mais Svud l'arrêta d'un geste, puis plaça son poing devant sa bouche, et se racla la gorge avec désapprobation :

— Hmm hmm !

— Que… (le type se redressa, et sursauta en voyant un grand roux se détacher dans l'ombre de la lune) Qui êtes-vous donc, et… Millie ?

— Tonton ! et le petite sauta au cou de son oncle confus.

— J'ai trouvé votre nièce près de la Niwa. Pourquoi vous ne la surveilliez pas ?

— Je… Oh, par Lebioda, pardonnez-moi messire… C'est juste que ma femme est malade, et je m'y connais un peu en alchimie, vous voyez… je m'occupe de cépages spéciaux à un domaine et… (en voyant l'air agacé du roux, il se précipita) Donc oui, je me suis un peu trop mis à la tâche. Veuillez m'excuser…

— Excusez-vous envers votre nièce, et je passerais l'éponge.

— Je… oui ! (il regarda sa nièce qui n'avait pas l'air fâchée du tout, au grand dam de Svud) Tu me pardonnes, Millie ?

La petite fille fit une moue ennuyée.

— C'est moi qui me suis perdue après m'être éloignée. Mais le monsieur a raison : faut que tu fasses plus attention à ce qui t'entoure, ou bien les fées vont t'emporter dans les bois ! (elle hésita, puis acquiesça) Oui, je te pardonne, tonton.

— Oh, Lebioda ! Si tu étais un garçon et moi un noble, je t'aurais adoubé ! (il la serra dans ses bras, puis regarda Svud) Merci, monseigneur. Vous avez bon cœur.

L'autre haussa des épaules et leva sa tête de brumelin, arrachant une grimace d'étonnement dégoûté à l'oncle irresponsable.

— J'irais toucher deux mots à votre fossoyeur à propos de ne pas sortir le soir. Mais avant tout, laissez-moi vous raccompagner.

Sur le chemin du retour, Millie ne put tenir sa langue quand à parler aux arbres et entendre le vent… Je ne lui ai pas parlé d'entendre le vent ? se dit Svud avec circonspection… Oh ! Tant qu'à faire, les détails… Il était fatigué, avait besoin de soins, d'un bain et d'une bourse clinquante de florins.

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