La perturbation
Il se faisait tard et il était temps de rentrer au cabanon. On donnait cette appellation aux petites maisons sur la plage. On y venait en famille tous les weekends dans les années 1940 et 1950, on quittait la grande ville d’Oran, pour profiter de la mer et de la nature. Les garçons marchaient sur le sable dans la direction du cabanon familial, lorsque des coups de feu retentirent au loin. Une embuscade certainement. Les évènements, comme on nommait à l’époque cette guerre civile entre les Algériens et les Français, faisaient rage. Il n’était pas rare de tomber dans un guet-apens dans la campagne ou un attentat en ville. Les civils y étaient confrontés tellement souvent, qu’ils faisaient partie de leur quotidien.
Pierrot, le plus agile, agrippa son frère par l’épaule et l’entraina derrière un rocher. La peur lui vrillait l’estomac. Il administra un coup dans le dos de Jean-Claude lorsque celui-ci commença à parler pour estomper la panique qui le submergeait. Plus un bruit, les vagues couvrait les détonations au loin et il était très difficile de savoir à quelle distance se trouvaient les maquisards. Le cabanon était à seulement quelques dizaines de mètres, mais les garçons devaient sortir de leur cachette et courir à découvert le plus rapidement possible jusqu’au maquis. Le cerveau de Pierrot était en ébullition, ses jambes prêtes à piquer un sprint mais Jean-Claude, fidèle à lui-même, le calmait de sa voix chaude. Il faut réfléchir et vite. Ne surtout pas penser à ce qui pourrait se passer au cabanon, toute la famille y était réunie. Est-ce que les maquisards avaient déjà repéré la maison, était-ce leur cible ? Prendre une décision était très difficile.
La situation semblait sans espoir. Courir pour rejoindre le cabanon était très dangereux. Les garçons étaient désespérés. Les militants pouvaient être nombreux, sanguinaires et brutaux. Il fallait faire vite, la cachette n’était pas sure. Jean-Claude sursauta en poussant un cri étouffé. Une main était plaquée sur sa bouche. Pierrot se retourna brutalement, les sens en alerte, en apnée, et poussa un ouf de soulagement. C’était leur ami d’enfance, Mehdi, un algérien. Il avait suivi la horde des maquisards et savait exactement à quelle distance, ils se trouvaient. Ils devaient se retrouver avec quelques-uns des copains de la bande, pour faire un feu de camp sur la plage. Lorsque Mehdi avait pris conscience de la situation, il avait tout d’abord averti les autres, qui n’avait pas encore quitté le village, afin qu’ils ne se jettent pas dans la gueule du loup. Il s’était alors mis à la recherche des deux frères.
Il leur fit signe de le suivre, sans dire un seul mot. Mehdi avait une facilité à courir pieds nus, sans faire de bruit, la légèreté de sa course était une bénédiction en ces temps troublés. Personne ne l’entendait s’approcher et il en faisait sursauter plus d’un. Ce qui le faisait rire. Pierrot suivit leur sauveur, en aidant son frère à soutenir le rythme. Mehdi partait dans la direction opposée au chemin menant au cabanon, il faisait un grand détour. Les jeunes français avaient une confiance totale en leur ami. Il connaissait le maquis, les cachettes, les deux peuples et leurs habitudes. Les trois amis couraient Mehdi en tête, Jean-Claude mettait toutes ses forces et son énergie pour échapper aux combattants de la liberté. Pierrot s’arrêta un instant pour attendre son frère.
Juste le temps de se retourner et Mehdi avait disparu. La courbe du chemin de sable dans la montée empêchait de voir plus loin, le jeune algérien avait couru trop vite, il avait certainement de l’avance.
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