XV
Je te vois venir : il veut des jumelles pour mater les femmes à poil. Ecoute, oui, c'est vrai!
Mais je jure sans blasphémer que ce n'était pas l'intention première. Ni seconde d'ailleurs. N'oublie pas qu'à ce moment là tu as affaire à un petit bouseux en manque d'odeur de purin et d'espaces. Je voulais donc avant tout voir la nature au loin; les oiseaux et tout ça. Et puis, très vite, voire même tout de suite, j'ai vu les fenêtres.
Attends, je reprends mon fil.
Tu peux trouver ça cliché si tu veux, mais, au milieu de nulle part, une paire de jumelles est bien pratique. Tu vois pas? C’est pas compliqué, quand tu as un troupeau de vaches que tu as emmené dans le maquis le matin et qui, par habitude, doit se trouver dans les mêmes parages quelques heures plus tard ; un coup d’oeil depuis ton balcon avec tes jumelles t’évite une balade de quelques heures. Tu comprends mieux ? Franchement, tu devrais vraiment boire un coup parce que là, je ne veux pas me montrer vexant, mais t’as pas l’air des plus intelligents. T’es même un peu pâlot. T’es sûr que tu ne veux rien avaler ? Comme tu veux...
C’est affolant aussi à quel point les gars de la ville comme toi avez du mal à comprendre comment peut se dérouler la vie dans les campagnes. On a vraiment l’impression qu’on habite sur des planètes différentes ; les citadins viennent de Mars, les paysans de la Terre. Ce mot d’ailleurs, paysan. C’est un terme qui devrait être noble, beau, presque sacré ; il fait bouffer la planète ce mec ! Mais non, pour les petits citadins trop occupés à chercher leur trou au milieu de leur cul, on balance un “paysan” comme on jetterait une insulte, débordant d’arrogance et de mépris. “Buvez-en tous, car ceci est mon sang” bla bla bla. Il dit qu’il ne boira plus que le fruit de la vigne - il est plus malin que toi - et, à ton avis, qui s’arrange pour faire en sorte que le fruit de la vigne soit dans une belle bouteille quand il arrive dans ta cave ? Qui à fait tout le boulot intermédiaire ? Qui s’occupe des ceps ? Qui a sué sang et eau pour écraser ces putains de millions de raisins à ton avis ?
Arrête ! Lève pas les yeux au ciel!
On ne l’appelle plus que vigneron et c’est bien, son travail doit être reconnu. A l’origine et depuis la nuit des temps par contre, ce vigneron d’aujourd’hui est un paysan de toujours. Le vin était une partie de son activité qui lui permettait d’abord de boire autre chose que de la flotte puis, par la suite, de gagner sa vie.
Et son cousin, il faisait quoi à ton avis ? “Prenez, mangez, ceci est mon corps”. Du pain. Avec tes raisonnements simplistes à la con tu vas encore me dire que c’est le boulanger qui fait le pain. Oui, t’es mignon, c’est vrai, mais qui donne la farine au boulanger ? Qui plante la petite graine qui permettra de faire cette farine? Qui fera tourner la meule? Qui fera même du pain pour sa famille ? Le…? Oui monsieur, le putain de pauvre paysan que vous traitez comme un putain de mal nécessaire.
Et je dis putain si je veux!
Bon, allez, on va se calmer tous les deux et boire un petit verre. Je m’énerve facilement mais certains sujets me touchent bien plus que d’autres. On va en revenir aux jumelles qui, depuis le toit d’un immeuble, permettent de voir la ville sous un angle bien plus intéressant.
Annotations
Versions