Je ressors le baratin que j’ai improvisé avec Brigitte hier au bord de la cascade et toute l’Assemblée applaudit. Quand je descends de la tribune, Greta me demande discrètement :

• Alors Maëlle, c’est quoi le sens de la vie ?

Je lui réponds sans hésiter par un murmure à son oreille :

• Jouir.

Et j’en profite pour l’embrasser sur la joue. Elle me regarde avec approbation et fierté. Je pense que je suis sur la bonne voie. On l’est toutes. Et on va tâcher d’y rester. Greta a sa Caserne. J’ai peut-être trouvé mon refuge aussi. J’ai déjà hâte d’être à lundi prochain. Rachelle est fière de moi. Il se passe quelque chose. Chacun vient me saluer et me remercier. Comme si j’avais gagné une élection. Mais je n’ai rien dit de plus que ce que j’ai raconté hier à Brigitte. Dans les documents officiels de la Cène mon intervention est intitulée : « L’Appel du 21 Mai ». On sort dehors, sur l’esplanade, il fait beau. Greta se pavane les jambes et les bras nus. On se croise et elle demande :

• Jouir ? Tu as déjà à nouveau quelqu’un.
• Quelqu’une. C’est nouveau pour moi. Mais elle est prise.
• Par une autre fille ?
• Non, par un gars, l’homme de sa vie.
• Alors ça va, soyez heureuses.

Et elle me fait un bisou sur la bouche. Si doux. Et elle sent aussi bon qu’une friandise sucrée et piquante. Elle me transmet ainsi un message d’amour, de bonheur à vivre. Et elle enlève ses sandales pour marcher pieds nus dans l’herbe fraîche. Ancrée au sol, tout sourire, elle me tend les mains en invitation à la rejoindre. J’enlève mes chaussures et je me mets en face d’elle. Nos doigts s’emmêlent et je me noie dans son regard bleu profond.

• Maëlle, en t’écoutant à la tribune, j’avais l’impression de m’entendre moi. Je me sens moins seule maintenant, en communion, avec toi.

Et elle m’entraîne dans le parc, en suivant le bord des allées, hors des graviers. On arrive sous un arbre, on s’assoit sur un banc et elle sort une tige.

• C’est pas dangereux ? Pour les bébés.
• Non au contraire, ils seront plus disposés à se sentir vivants.

Et je laisse la fumée âcre me pénétrer et aiguiser mon esprit. À la deuxième bouffée, un autre monde s’ouvre devant nous.