051 - triangulation
Samedi 20 Juin 2116. Brigitte n’a pas pu se libérer hier soir. J’espère la voir aujourd’hui tout de même. Mais elle n’est pas mon exclusive, je dois la partager et je ne dois pas l’étouffer. Alors plutôt que de la brusquer ou de lui courir après, je vais la laisser venir à moi. Surtout que j’ai rendez-vous avec Greta, en dehors de la Caserne, ce sera donc non formel. J’arrive au Nenufar, une sorte de salon de thé à l’intérieur du Palace. On doit enlever ses chaussures pour entrer dans la salle où les sièges sont des gros galets noirs. On a les pieds sans l’eau fraîche. Je m’installe solennellement en face de Greta. Elle a le regard dans le vide, boit une gorgée d’eau chaude aromatisée et commence :
- Le temps s’est comme arrêté. Il est suspendu dans l’absolu. On est coincées au paradis, connectées aux éléments. Tu les sens ? Par tes pieds. Ici, c’est un endroit spécial. On est sur une source. Qui vient des profondeurs. Qui propage les ondes à un autre niveau de fréquence. Chaque conscience est un univers en soi. Certains se rencontrent, d’autres fusionnent. Le mien, je le partage avec Énola et toi. Vous êtes plus proches que mes propres filles. On doit se synchroniser. J’ai beaucoup de mal à ralentir. J’essaie de me calibrer sur Énola, elle, y arrive très bien parce qu’elle maîtrise, le rythme. Maëlle, il faut qu’on s’aide, l’une l’autre, pour se caler à la même fréquence. Celle des forces telluriques.
Quelqu’un s’approche pour nous rejoindre.
- Salut les filles, on fait trempette ? Je peux me joindre à vous ? J’espère qu’on ne va pas provoquer un tremblement de terre. Maëlle, Greta m’a choisi parce que je suis une pure locale. Je t’ai choisi parce que tu es en toi la jonction de toutes les civilisations avec toutes les forces en toi. Potentiellement, tu es la plus forte d’entre-nous. Il nous faut au moins ça pour nous assurer une belle ère. Pour le rythme, Greta, tu es sur la bonne voie. Tu as trouvé ton âme sœur. Elle te donne une stabilité, une référence, une norme. Mais on peut se poser autrement. Chacune à sa façon. Ça ne viendra pas de nos existences extérieures. Surtout toi Maëlle, tu es bien plus évoluée. Mais il ne faut pas se mettre la pression. Il est fini le temps où nos destins étaient à accomplir. On est trois, ici, ensemble, il suffit de laisser les choses venir, s’ouvrir, se déployer. S’épanouir.
Elle nous prends les mains et nous regarde, le silence se fait, le temps s’arrête. Je me sens légère, comme en apesanteur. Énola joue avec l’espace-temps. Mais il y a plus que ça. Elle inscrit un repère, une porte, de secours. Au cas où, on pourra revenir ici et maintenant pour tout recommencer.
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