180 - préservation
Mardi 27 Octobre 2116. On cache nos croix pour enseigner aux bambines de l’école. Je ne crois plus que c’est vraiment ma place ici. Il leur faut des institutrices plus neutres que nous, pour ne pas que ça déteigne, pour les laisser s’exprimer dans le gris neutre de nos conseils. Surtout qu’on s’aime, derrière la porte du bureau de la directrice à l’abri des regards vierges de luxure. Photo de classe. Ça leur laissera un beau souvenir. Et à nous aussi. On referme les livres et les cahiers. C’est la vraie vie qui les attend maintenant. Elles sortent toutes en courant et en criant. On attend que la cour soit vide pour sortir nos tiges. Devant les grilles Antoine et son harem font leurs affaires, on ne saura jamais quoi, il a sa vie à lui aussi.
- Isabelle ma belle. Tu vois. On commence à ne plus exister pour lui. Être vraiment parent, ça ne dure pas longtemps, surtout dans l’éternité.
- Il t’aimera toujours, pour toujours et à jamais. Moi aussi, Palo.
- Je suis ta grosse. Tu m’a engrossée. On va l’être à nouveau, à nouvelle.
Après quelques bouffées je repense à la conférence de Big. L’Humanité est immortelle et sa technologie ne tombe jamais en panne, fiabilité absolue. Et Brigitte : « On ne maîtrise plus cette technologie. » La tech de l’Humanité est un savoir qui a disparu avec la civilisation qui va avec, celle de la guerre, celle du règne de Vivien Virein qui en a abusé toute sa vie de combats. Tout ça c’est fini. J’ai compris. On est dans une ère de simplicité et d’efficacité, d’amour et de paix, de spiritualité, une autre civilisation est née.
- Je t’aime Paloma, pour toujours et à jamais.
- Je t’aime Isabelle, pour toujours et à jamais. Aimons-nous les unes les autres comme on a été aimées. Que l’Amour se propage dans le temps et les générations.
- Pour toujours et à jamais dans l’éternité de notre ère de paix.
Nos conversations ressemblent à des prières de Messe et nos actes à des cérémonies occultes. Mais on est une famille, normale, et on rentre à la maison avec notre Antoine pour prendre le goûter. Je regarde la surface de la boisson froide et sucrée de mon mug et je prends ma décision. Je vais dans la salle d’eau et j’ouvre l’armoire chimique pour récupérer une fiole. J’ouvre le bouchon compte-gouttes et je m’en mets une dans l’œil. Plus de rêves, plus de cauchemars, plus d’Invisible pour brouiller mon esprit. Il est temps de mettre tout ça en pause et de vivre vraiment ma vie, d’en profiter, d’en jouir, tant qu’il en est encore temps. Je ne sais pas ce que je veux être, par contre, je sais ce que je ne veux pas être. Je me reconnais bien là, encore à fuir mon destin. Mais je ne fais que l’orienter. Pour rester moi.
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