4.Rae
Voir le Général Massala franchir cette porte m’a siphonné l’esprit. L’espace d’un instant, j’ai perdu tous mes moyens, figé comme un novice. En moins de deux secondes, je suis passé pour un crétin. Et Neela ? Parlons-en. Des nuits à parler ensemble et jamais je n’ai fait le lien entre son pouvoir et celui des amulettes élémentaires : le sacre des Arcans. Elle n’est pas une simple princesse, non… elle est l’engeance du très respectable Ménao Ralys Awan. Le seigneur de guerres Arcan qui a terrassé l’Alliance rouge. Et pour couronner le tout, Filanis fait parti du clan de Massala. Par la voix des dragons, ça non plus je ne l’avais pas vu venir.
Cent ans et ces noms résonnent toujours d’une fierté orgueilleuse. Avec mon frère Nael, nous avons servi sous les ordres du général. Sa combativité et son sens aigue des tactiques militaires nous a permis de gagner de nombreuses batailles. Redoutable, il s’élançait toujours le premier dans la mêlée donnant l’impulsion, l’agressivité nécessaire à tous les guerriers. Plus d’une fois, il a encaissé le coup qui aurait pu être fatale à un autre. Cet homme est un modèle de justice et de courage. Les Arcans lui ont confié le sacre du feu. Le revoir après tant d’année me rappelle des moments particuliers passés avec mon frère.
Des bavardages surexcités me sortent de ces pensées lointaines. Tous les griffons, bêtes ailées majestueuses, foncent aussi vite que possible en direction de la mer rejoindre le bateau de Massala.
En fin de compte, nous sommes tous sortis de cette prison. Mon seul regret est que je n’ai pas pu tenir la promesse de mettre fin à la vie de Krahor. Je présume que celui qui a mené Neela ici s’en chargera à ma place pour nous avoir permis de fuir. Comment s’appelle-t-il déjà ? Le traitre Elrohîr… Je ne suis pas prêt d’oublier ses actes. Il payera pour ce qu’il a fait à Neela.
— Alors, « joli cœur », on rêvasse ?
— Ta gueule Balin !
— Mal dormi à ce que je vois ? Tu devrais mieux te tenir la demoiselle te regarde.
D’instinct, je me retourne. Elle feint de regarder ailleurs, ce qui a pour but de me faire sourire.
— Faudra que tu me racontes ce qui se passe entre vous ?
Je fronce les sourcils. Voilà une question qui mérite une réponse. Moi-même, je ne comprends pas cet instinct de protection que j’ai envers elle.
— T’es pire qu’une commère de village. T’as de la chance que je ne frappe pas les femmes.
— Très drôle. Tu tiens cette réplique de Gaarin ?
— Mais va chier à la fin !
Qu’il aille se faire dévorer par un cortale ! Mille ans de souffrance dans un estomac. Rien de mieux pour se remettre les idées en place. Etonnamment, ce n’est pas le manque de sommeil qui use ma patience mais l’absence de confiance de Neela. Me pardonnera-t-elle un jour mes mensonges ?
— Que de mots d’amour ! intervient Filanis.
Je le dévisage d’un air mauvais et lève un doigt accusateur vers lui.
— Toi ! Mon pote, t’as des explications à me donner.
Il rit à gorge déployée comme si je venais de faire une blague mortelle.
— On a tous ces petits secrets l’ami ! Ricane-t-il avec un clin d’œil. Tu devrais faire comme Dorga et lâcher prise.
Qu’est ce qu’il raconte cette andouille ? Intrigué, je jette un œil dans sa direction.
Woo !
Il n’a plus un seul tatouage animalier sur la peau et son guide n’en mène pas large. Son serpent lui glisse entre les cuisses et se pose sur la tête du griffon. Je ne sais pas ce que Dorga lui raconte, mais ça n’a pas l’air de le rassurer. Un sifflement aigue retentit. Nous abordons la descente. J’ai hâte de me barrer d’ici.
Tout à coup, deux flèches et une boule de pouvoir me passent au-dessus de la tête. Je me disais bien, Krahor n’a pas dit son dernier mot. Nous laisser partir sans rien tenter, cela ne lui ressemblait pas.
Ça va secouer !
Les griffons évitent habillement chacun des projectiles pendant que les compagnons de Massala ripostent. Par réflexe, je cherche la monture sur laquelle chevauche Neela. Je l’aperçois effectuer des embardées excessives. Le général la protège tout en projetant des boules de feu. Au large, les voiles de son navire nous tendent les bras. Sur le pont, l’équipage assiste notre arrivée en bombardant nos assaillants grâce aux canons dont il dispose. Pas moins d’une vingtaine de griffons nous poursuivent et au milieu de cet amas : un Élaîfle. Je n’ai pas besoin d’explications. Un Arcan du sacre du vent du mauvais côté de la barrière, voilà donc le traitre.
— Neela ! hurle-t-il hors de lui, tu m’appartiens !
L’instant suivant, un vent violent s’abat sur nous et déstabilise notre progression. Les griffons luttent contre ce mur invisible. Nous nous plaquons contre le corps musculeux de nos montures. Malgré la puissance de leurs ailes, ils ne tiendront pas longtemps. Il faut l’arrêter ! Les bourrasques s’intensifient d’un cran nous aspirant en arrière. Un cri ! Celui de Neela et je perds le contrôle.
Un élémentaire d’air tente de l’arracher de la selle. Une rage soudaine envahit mes veines. En une fraction de seconde, je me place dos à dos avec celui qui tient les rênes. Mes jambes enserrent plus fort les flancs du griffon. Il vacille. Allez tiens bon, j’ai juste une cervelle à faire griller et nous serons tranquille.
Concentré, je me prépare à faire un saut dans son esprit quand un grondement effroyable sort de la mer.
Il se passe quoi encore ?
Une masse d’eau impressionnante se glisse entre nous et nos agresseurs. Notre groupe forme un « V » rapproché pour se soustraire au vent derrière le bloc d’eau. Privé du pouvoir du vent, l’élémentaire en prise avec Neela disparait.
J’hallucine ! Un dragon d’eau !
Il ouvre une large gueule avec l’intention d’avaler tout ce qu’il se trouve devant lui. Mais l’incroyable se produit. Au lieu de déverser un tourbillon d’eau, une tornade de feu remonte le long de sa gorge et s’abat sur la nuée des bourbillons volants.
Comment est-ce possible ?
Profitant de cette confusion, les chevaucheurs opèrent une descente brutale vers le pont du navire. À peine posés, le bateau plonge dans les eaux contenu dans une bulle air. Aspiré par le fond, peu à peu la lumière du soleil s’estompe et de grands projecteurs luminescents prennent le relais.
— Chacun a son poste ! crie le général. Les autres avec moi !
Neela, Dorga, Balin, Filanis et moi-même suivons le Capitaine dans ses quartiers.
— Il ne nous lâchera pas ! vocifère Massala en claquant la porte. Il vient de perdre la seule possibilité de faire revenir Hellasi. Sans la princesse, son plan tombe à l’eau.
Dorga ricane. Le capitaine le foudroie d’un regard.
— Désolé… tombe à l’eau… on est dans l’eau… d’accord, je me tais.
C’est bien le moment de faire de l’humour. De mon côté une question me brule les lèvres.
— Comment avez-vous fait pour nous retrouver ?
— Comme tu le sais, m’explique Massala, Filanis est un de mes hommes. Je l’ai envoyé en mission à Spérione pour mettre fin aux affaires de Krahor. Dans l’un de ses anciens rapports, Dorga mentionnait un nouveau combattant aux pouvoirs spéciaux. Faire le rapprochement a été facile. Quant à l’arrivée de Neela n’est pas passé inaperçu.
— Vous saviez depuis le début que j’étais là-bas ?
— J’ai des espions aux quatre coins de la Malorique. Tôt ou tard, nous aurions mis fin au réseau de Krahor. Ce n’était qu’une question de temps avant que nous intervenions. Je sais ce que tu te dis petit. Pourquoi n’a-t-il pas pris contact avec moi ? Simple : la couverture de Filanis. Je ne pouvais pas la sacrifier. Trop de vies en jeu et pas assez de temps.
— Quand arriverons-nous ?
Tout le monde se retourne vers Neela. Elle affiche une détresse que je ne lui avais encore jamais vu.
— Avant de te mener à ton peuple, nous devons retirer la marque du mangeur de chair sinon où que tu sois, il te retrouvera.
— Je peux vous parler en privé capitaine ?
Toujours aucune confiance à ce que je vois, elle a raison. Après tout ce que nous venons de traverser, j’agirais comme elle.
— Sortez.
Un bref geste du menton et nous prenons congés.
— Je vous emmène boire un coup les gars et une petite visite du bâtiment, lance Filanis en nous faisant un signe de la main.
— Sans moi, dis-je comme si une massue m’avait frappé derrière le crâne. Si je dors pas, je m’écroule.
— Comme tu veux, je t’accompagne dans les quartiers communs.
Retour au calme. Allongé sur l’une des couchettes, je ferme les yeux et m’endors.
— Moniris a de ces idées ! L’envoyer sur la planète Terre avec Lucifer ? Sérieux ?
— Gabriel, tu en pincerais pas pour la gamine dis-moi ?
— Oh toi Cupidon, t’as pas un arc ou deux à réparer ?
— Ne sois pas si inquiet, elle reviendra et Moniris l’enverra suivre des cours à l’académie.
Furieux, je file vers mon bureau avant que « robin des bois » ne lise à travers mes traits tirés. Cette petit déesse a une mauvaise influence sur mon karma. Impitoyable, sans état d’âme, je suis l’épée de Dieu qui punit les mondes et non l’ange gardien de mademoiselle ! Et cette écervelée me pousse toujours un peu plus à bout.
— Archonte Gabriel, m’interpelle l’archange Michel au coin d’un couloir, j’ai besoin de votre avis sur un sujet important.
Je le stoppe une main en l’air et le regarde de haut.
— Archange Michel, avant de venir me voir pour un problème qui je suis certain sera réglé en moins d’un claquement de doigt, avez-vous sollicité l’aide des Puissances ?
— Évidemment, c’est eux qui m’ont conseillé de venir vous voir.
Bande d’incapables.
— Très bien alors, je vous écoute.
— La descente de Calys sur terre…
Je le regarde un sourcil arqué.
— Cela fait moins d’une heure et c’est déjà la fin du monde ?
— Pas tout à fait Archonte. Juste une pandémie. Lucifer se réjouit du résultat.
— Cette gamine me rend dingue.
— Archonte ?
— Allons dans mon bureau et essayons de réparer les dégâts.
J’ouvre les yeux en grand, je dégouline de sueur. Ma respiration saccadée trouble ma vision. Mon cœur cogne contre ma poitrine, j’ai du mal à me calmer. Qu’est-ce qui m’arrive ? J’ai fait un rêve ? Je crois. Je ne me rappelle plus très bien. Cet homme ressemblait à un sacre du vent avec six ailes, trois de chaque côté.
Je m’assois sur le rebord de la couchette, assoiffé. Au moment même où je me lève pour me servir un verre d’eau, la porte s’ouvre à la volée.
C’est Neela.
Je suis furieux contre elle, incompréhensible.
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