5.Neela
— Pourquoi mon père n’est pas venu capitaine ?
Il soupire.
— Le peuple Narbe a besoin de son Guide. Les pertes dues à l’attaque des Elaîfles ont été considérables. Les demi-dieux ont sauvé une grande partie de la communauté, mais beaucoup sont morts. Nous avons tous ressentis cette altération à travers les amulettes. Votre père nous a confiés la tâche de vous ramener auprès lui et je compte bien tenir cette promesse.
— Tout comme moi !
Surprise, je cherche d’où provient cette voix grave. Les bras croisés contre la fenêtre, se tient un être à la peau nacrée et aux grands yeux noirs. Des appendices de différentes longueurs couvrent son crâne et descendent jusques dans son dos comme des amas de cheveux. Certaines sont ornées d’anneaux de couleur. Ses mains et ses pieds sont palmés et dans son cou des branchies rouges frémissent en vaguelette. Il me dépasse d’une bonne tête et ne porte qu’un pantalon coupé aux genoux égal à une seconde peau. Je remarque sur son torse imberbe l’amulette d’eau qui brille.
— Seigneur Fraquawi ? Est-ce bien vous ?
Calys siffle.
— J’adore son style, il me rappelle Bob Marley en plus bleu.
— Chut..
— Lui-même, dit-il en s’approchant tout sourire. C’est étonnant comme vous lui ressemblez.
— À qui ?
— Votre mère, vous êtes sa copie conforme. Belle, forte et courageuse.
Cet aveu me déstabilise un peu. Mon père n’a jamais franchement parlé de ma mère et mes souvenirs d’elle ne sont que ceux que j’ai glanés par d’autres. Le seul portrait d’elle, trône dans la chambre de mes parents enfin… trônait, car je présume que tout a été détruit.
— Où se trouve mon peuple ?
— Dans la cité des Abîmes.
— Ainsi que les Furias, ajoute Massala. Sans Otto, nous serions tous à la merci du prince Elrohîr.
— Savez-vous pourquoi il a trahi le peuple Arcan ? Hellasi n’a épargné personne. Le faire revenir n’a pas de sens.
Le seigneur des mers fronce les sourcils pendant que Massala se sert un verre d’un liquide ambré et odorant.
— C’est une longue histoire compliquée, répond Otto.
— Alors commencez là tout de suite, ne perdons pas de temps.
Massala manque d’avaler de travers et tousse à s’en décrocher les poumons. Quant à Otto, il s’esclaffe.
— Que le feu éternel soit témoin, lance Massala, cette enfant est la digne fille de sa mère.
— Avant toute chose, nous devons nous occuper de la marque autour de votre cou. Massala vous l’a déjà mentionné en arrivant. Je préfère être honnête sur ce point. Je ne ferais prendre aucun risque à mon peuple sous prétexte que vous êtes pressée.
— Je ne subis pas cette atroce souffrance, seigneur Fraquawi. C’est Rose.
Ma voix se brise.
— Aidez-là.
Massala et Otto hochent la tête d’un air entendu.
— Nous savons pour Rose. Votre père nous a prévenus. Pouvez-vous la faire apparaitre ?
— Elle est là. Seulement la ponction d’énergie l’épuise.
— Et comment-a-elle fait pour se substituer sur le plan invisible ?
— Nous avons fusionné.
— Vraiment.
— Je crois que ce poisson d’eau douce se doute de quelque chose. Tu devrais leur dire, Neela.
Le guide des Altiens s’approche plus près.
— Non. On ne sait jamais. Un espion pourrait trainer parmi les membres d’équipage. Si Elrohîr sait pour nous, nous perdrons l’avantage.
— Et bien, une vraie guerrière Napoléonienne.
— Si tu le dis.
Il touche le tissu. Robe le pique avec une aiguille.
— Impressionnant.
— Elle n’aime pas les contacts imprévus.
— Je ne suis pas l’ennemi.
— Ce n’est qu’un avertissement amical. La souffrance altère le jugement parfois.
— En effet. Je sais qui pourra l’aider. L’Ancien saura quoi faire.
— Qui est-il ?
— Un mage aux pouvoirs inouïs. Je m’en vais le prévenir sur le champs.
— Mais j’ai pleins de questions à vous poser.
— Nous aurons tout le temps d’y répondre plus tard. Je dois encore leurrer l’ennemi sur notre position jusqu’à votre délivrance. En espérant que ce ne soit pas déjà trop tard.
Sur ces paroles, le seigneur Fraquawi quitte le bureau de Massala.
— Rose, on t’a jamais appris qu’on ne mort pas la main qui te sauve ? Une petite révision du programme s’impose.
L’âme de ma protectrice se colore de rouge.
— Ok, se ravise Calys, je retire ce que je viens de dire.
Leur querelle me rappelle Fala et Jaal. Et même si la déesse n’en parle pas, je sais qu’elle espère la revoir saine et sauve.
Maintenant que nous sommes seuls. J’hésite à abordé le sujet Rae.
— Qu’attends-tu ? me houspille Calys. Parle lui de « bogoss666 ». N’oublie pas de je ressens tes émotions. Tu brûles de le cuisiner.
Ok. J’y vais.
— Capitane ? Puis-je vous poser une question ?
— Allez-y, je doute d’avoir le choix.
Sa remarque me fait sourire.
— J’ai eu l’impression que vous vous connaissiez avec Rae.
— Tiens donc…
Ses yeux noisette s’adoucissent et ses lèvres se pincent comme pour confirmer mes dires.
— En effet, nous avons combattu ensemble lors de la guerre contre l’Alliance rouge. C’est un redoutable guerrier et un homme juste. Vous pouvez avoir confiance en lui. Mais vous… comment vous êtes-vous rencontrés ?
— C’est une longue histoire, compliquée, un peu étrange même.
— Très bien, très bien, oubliez cette question. Que souhaitez-vous savoir d’autres ?
— Tellement de choses, mais j’imagine que vous n’y répondrez pas.
Il gratte sa barbe bien taillée.
— Hum… vous voulez un conseil. Parlez-lui directement. Il vous dira tout. Et que cette information reste entre nous… depuis la mort de son frère, je ne l’ai jamais vu protecteur avec quelqu’un. Croyez-moi, il aurait tué chacun de mes hommes si je n’étais pas intervenu aux arènes.
— Et paf ! Confirmation une fois de plus ! Il t’as dans la peau.
— Calys !
— Dis-le !
— Non.
— Oh, oui.
Je grimace puis cède.
— Tu avais raison. Contente ?
Savoir que l’homme attentionné de mes rêves et Rae sont la même et unique personne m’effraie. Ils sont tellement différents que je ne sais plus quoi penser. Pourtant que ce soit l’un comme l’autre mon estomac fait de drôle de pirouettes en leur présence. Un frémissement sur ma peau m’indique que Rose n’en pense pas moins. Il est peut-être temps que nous ayons cette conversation.
— Pourriez-vous m’indiquer où il se trouve.
— Certainement, dans la salle qui donne sur le pont. L’équipage s’y restaure et prend du bon temps. Je vous accompagne.
Je le stoppe.
— Ce ne sera pas nécessaire, je vais de débrouiller.
— Très bien. Retenez ces trois directions : droite, droite, gauche, en haut des escaliers puis deux fois à droite.
— Merci.
À mon tour, je me retire et file tout droit vers les escaliers.
— Tu vois…
— Oui, tu avais raison, j’ai été injuste avec lui.
— En effet. Tu as de la chance qu’il tienne à toi.
— Calys, entre nous, il n’y a rien d’autre qu’un respect mutuel.
— Bien sûr et ton cœur qui s’emballe pour rien en sa présence…
Tout à coup, un pic de souffrance m’emprisonne la tête en pleine ascension de l’escalier. Je reconnais cette sensation. La brute ! Une ponction d’énergie, bien plus forte que d’habitude. J’inspire à fond pour atténuer la douleur qui se diffuse dans tout mon corps.
— Tiens bon Rose, le Seigneur Otto est partie chercher de l’aide.
— Rae, me somme Calys, va voir Rae, il pourra peut- être nous aider avec son don.
Appuyer contre le mur afin de me maintenir droite, je suis les instructions de Massala pour me rendre sur le pont. Quelques minutes plus tard, je franchis les deux battants d’une immense salle. Je reconnais aussitôt les compagnons qui étaient avec Rae assis autour d’une table. Lui n’y est pas. Chancelante, j’atteins leur groupe.
— Pourriez-vous m’aider, s’il vous plait. Je cherche Rae.
Une nouvelle salve. Je grimace de douleur.
— Un problème ? demande l’un d’eux.
— Laisse Balin, je m’en occupe. Filanis, je fais partie de l’équipage du Capitaine Massala. Que se passe-t-il ?
La souffrance de Rose me bouleversent si bien que mes yeux se remplissent de larmes. Un sanglot étranglé m’échappe. Balin se lève à son tour.
— Woh woh woh, je sais pas ce qu’il se passe, mais je veux pas de problème avec le voyageur, mène la le voir Filanis.
— Venez.
Soutenue par la montagne de muscles, nous descendons deux ponts plus bas. Une porte assez large nous accueille. Je l’ouvre aussitôt. Rae semble furieux en me voyant. J’avance d’un pas.
— Aide Rose ! S’il te plait.
Mes jambes se dérobent sous mon poids et je finis assise sur le sol en bois. Rae se précipite vers moi, une inquiétude grandissante dans les yeux. Je la préfère à sa colère.
— Le man…geur… de… chair.
Mes membres tremblent. Calys que fait ce monstre ? J’ai beau chercher, je ne ressens plus Rose. Avec délicatesse, Rae glisse un bras sous mes genoux et l’autre dans mon dos. Il me soulève sous le regard impuissant de Filanis.
— Je ferais mieux de prévenir Massala.
Rae hoche la tête et me dépose sur l’une des couchettes disponibles tout autour de nous.
— Je vais essayer de te soulager, mais si tu veux que ça marche, murmure-t-il en repoussant une mèche de cheveux de mon visage, tu dois me laisser entrer Neela.
Sa voix est douce et prévenante. Son regard bienveillant.
— D’accord.
— Lâche prise Neela, lâche prise ma belle.
— S’il te plait, ne te montre pas Calys.
— Je serais discrète. Concentre-toi sur Rose.
Avec rapidité, il rapproche un lit du mien et s’y allonge.
— Ferme les yeux mon étoile, on se revoit de l’autre côté.
L’entendre m’appeler ainsi m’apaise et peu à peu les tremblements s’estompent. Sa main attrape la mienne et son pouce masse ma paume en effectuant de petits cercles lents. Détendue, j’en appelle à mon don et abaisse une partie de mes barrières psychiques. Le monde astral s’ouvre. Je laisse apparaitre la porte. Il l’ouvre.
— Que cette chambre m’avait manqué.
— C’est celle de Rose maintenant.
— Où est-elle ?
— Ici.
Je tire les rideaux du baldaquin et enchainée au centre du matelas la forme anthropoïde de Rose se cambre de douleur. Sa lumière habituellement intense clignote et dépérit a vu d’œil.
— Recule, m’ordonne Rae, le mangeur de chair infiltre l’énergie de Rose.
— Elle ne va pas disparaitre ?
Contre toute attente, il me prend dans ses bras. Sa chaleur me réconforte.
— Non, non, tu ne vivras pas une seconde fois la perte de ton protecteur, je te le promets. Pour l’instant tu dois être forte. Le temps nous est compté avant qu’il prenne le contrôle de Rose. Je dois repartir…
Ma plainte l’interrompt. Il me serre encore plus fort.
— Chut, là, là, je sais… mais si tu veux que je tente quelque chose, je dois faire appel à un vieil ami et pour cela j’ai besoin de Balin.
Je lève la tête vers lui, anxieuse.
— D’accord, reviens vite.
Il m’embrasse sur le front et disparait. Le vide de sa présence déclenche une angoisse croissante qui envahit tout mon corps. Si je perds Rose, je ne m’en remettrais jamais. Calys apparait.
— Neela place un bouclier autour d’elle. Ils lui permettront d’avoir un peu de répit.
Aussitôt, je crée un cocon de fils qui cloisonne ma protectrice dans la chambre. Par-dessus, j’active une épaisse énergie naturelle puisée dans la marque du premier feuillage. Pour maintenir en place cette coquille, ma psyché s’enferme dans une transe profonde de méditation.
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