Chapitre 17 : Fin à choix multiples.
À quelques mois de passer le brevet des collèges, je me retrouvai déscolarisé. Ne croyez pas qu'il s'agisse d'une décision de l'établissement ou d'une tierce personne, je suis le seul à blâmer. Je ne me rappelle pas des jours qui ont suivi mon dernier passage au collège. Mes souvenirs sont noyés dans un brouillard d'engueulade entre mes parents et de reproches venant de mon père. Peut-être qu'au lieu d'enfoncer le clou il aurait pu prendre le temps de s'intéresser au pourquoi de mon mal-être, mais son éducation ne lui permettait pas d'atteindre un niveau d'empathie suffisant pour voir la souffrance de son propre fils. Mon grand-père n'avait apparemment jamais eu un geste tendre pour lui, pas étonnant qu'il se comporte de la même façon. Je ne lui en veux pas de ne pas avoir compris, je lui en veux de ne pas avoir essayé.
Cette altercation avec Nicolas et ses sbires fut le déclic qui me poussa dans une forme de dépression, sans que je m'en rende vraiment compte. J'avais un mal fou à me lever le matin, à manger, à dormir, même prendre une douche était une tache compliquée. Je fondai en larme pour un rien et l'évocation d'un retour potentiel en cours me vrillait l'estomac au point d'en vomir.
Ma mère était désemparée, partagée entre mon besoin d'éducation et mon bien-être. Quinze ans est un jeune âge pour quitter le système scolaire. Malgré mon absence aux examens de fin de troisième, les portes d'une seconde technique m'étaient ouvertes et je la rassurai en promettant d'y penser d'ici la rentrée. Moi qui ambitionnais de devenir médecin...
Je n'ai reçu aucun soutien de la part de mes copains de l'époque. Pour eux, même si je me faisais harceler, j'aurais dû finir mes études. Il leur était inconcevable que je trouve un jour un emploi sans avoir obtenu de diplôme. L'ironie du sort veut que malgré de longues études, aucun d'entre eux n'est parvenu à trouver dans la branche qu'il avait étudiée, là où j'ai toujours travaillé depuis mes dix-huit ans. Leur manque de compréhension à mon égard me pesait. Je n'avais absolument plus personne vers qui me tourner, à qui parler.
Je me souviens d'une discussion que j'avais eue avec ma nouvelle psychologue. Contrairement à la précédente, elle avait la soixantaine et une vision des choses très rétrograde, à la limite du réactionnaire. Lorsqu'elle m'a demandé ce que je comptais faire maintenant que je n'allais plus à l'école, je lui ai répondu que je n'en avais aucune idée. Je lui ai dit que je rêvais d'être pianiste, ou médecin, de faire un métier qui apporte du bonheur aux gens. Ce à quoi elle a répondu en secouant la tête.
— Est-ce que tu sais jouer du piano ?
— Je n'ai jamais appris, mais j'en joue un peu...
— Autant dire que non. Et est-ce que tu sais soigner les gens ?
— Non, mais je peux apprendre.
Elle esquissa un rire en retirant ses lunettes.
— Il faudrait que tu ailles à l'école pour ça. Le problème des jeunes d'aujourd'hui, c'est qu'ils pensent que tout leur tombera dans les mains, qu'un métier en or leur sera proposé comme par magie. Mais des rêveurs comme toi, il y en a des dizaines qui passent ici chaque semaine. Si tu voulais faire quelque chose de ta vie, tu aurais dû finir tes études. Rester à la maison devant la télé ne t'apportera rien.
Comment pouvait-elle, en tant que thérapeute accomplie et étant donné qu'elle avait forcément eu accès à mon dossier psychiatrique, manquer de tact à ce point ? Elle connaissait mes secrets, mes peurs, mes angoisses, mon passé. Espérait-elle une réaction de ma part ? Que je lui dise qu'elle avait raison pour que mes problèmes s'évaporent comme par magie ? L'imbécilité de certaines personnes n'avait pas fini de me désespérer.
J'ai insisté auprès de ma mère pour que ce soit notre seul entrevu et elle ne me posa aucune question. Même si la situation lui pesait, elle est toujours restée compréhensive et a fait de son mieux pour ne pas me brusquer. L'instinct maternel, probablement.
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