Chapitre 20: Noémie

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Triste journée...

Aujourd'hui, Noémie n'avait aucunement envie de se lever. La tête bien calée entre ses deux oreillers, la couette rabattue sur son corps, et surtout, cette sensation de chaleur. Non, Noémie n'avait pas du tout envie de se lever. Les vacances étaient passées bien trop vite, et désormais, c'était huit longues semaines de cours qui l'attendaient. Huit longues semaines, sans aucun répit... Bien sûr, il y aurait les week-end, mais ils sont bien trop fourbes. À peine l'on rentre le vendredi après-midi que l'on se retrouve le dimanche soir à se demander où a bien pu passer tout le temps dont on disposait. Oui, triste journée. Noémie voulait dormir, et maintenant même son réveil se liguait contre elle. Elle avait presque l'impression de l'entendre dire : "Il est 5h30, prépare-toi pour une nouvelle affreuse journée !" Et elle, de répondre : "mrrfffmrffmm..." Triste, et affreuse journée. Noémie se retourna dans son lit, avant de se rendre compte qu'elle était déjà au bord du lit, et que par conséquent, elle allait tomber. Affreuse journée. Alors, encore à moitié ensommeillée et vêtue de son cocon de papillon improvisé, elle se dirigea à pas lents vers la cuisine et s'écroula sur le pas de la porte. Elle n'aurait pas dû faire la fête si tard hier soir. Putain de gueule de bois.

Et au lieu d'un magnifique papillon à peine sorti de sa chrysalide, rampait alors sur le sol une grosse chenille de 1m60 de long. Noémie ne voulait fournir aucun effort, aucun. Elle tendit le bras jusqu'au pied de table le plus proche et s'y hissa, repoussant dans le même temps les chaises à l'aide de son bras restant."Pourquoi la vie est-elle si cruelle ?" pensa-t-elle. Le travail, toujours le travail. Elle avait l'impression de consacrer quasiment toute sa vie aux études. Elle en avait même oublié pourquoi elle voulait devenir avocate. Avant de défendre les autres, elle devrait peut-être penser un peu plus à elle-même. Le problème, c'était que son colocataire était presque tout le temps dans l'appartement. En même temps où pouvait-il aller ? Il était au chômage depuis trois ans maintenant. Noémie n'aimait pas trop son colocataire. Il était particulièrement taciturne, mais il avait une sorte de présence inquiétante. À chaque fois qu'elle lui parlait, elle avait l'impression de se faire happer par le vide intergalactique. Non, il était trop flippant. Aussi, elle fut contente de voir qu'il ne s'était pas levé. Vous allez dire, il est tôt, c'est normal, mais une nuit, elle avait été réveillée par des bruits de pas et des coups contre les murs du salon. Elle était allée voir et l'avait aperçu, marteau à la main, en train de violenter comme un hérétique le mur derrière le téléviseur. Quand à son tour il l'avait aperçu, il l'avait regardé droit dans les yeux, d'un regard de tueur. Un regard sans expression, sans émotions. Il l'avait fixée, de ses pupilles obscures, pendant ce qui sembla à Noémie durer une éternité. Alors, il lui avait dit, et elle s'en rappelait encore aujourd'hui: "Bientôt, ils arriveront... Tous les neuf." Un frisson remonta le long de son dos. Elle n'avait plus envie d'y penser.

Aujourd'hui, elle commencerait directement par un cours de sciences économiques. Quelque chose de bien barbant... Ça non plus elle ne voulait pas y penser. Elle voulait juste profiter du peu de temps qui lui restait avant de partir. Pfff... Prendre les transports en commun, quelle galère ! Ça la soûlait à un point ! Pour l'instant, et pour l'instant seulement, elle avait envie de tout oublier. Juste déguster une bonne tasse de thé en écoutant la musique du vieux poste de radio. Dire qu'elle allait bientôt avoir 21 ans. elle ne savait même pas qui inviter à sa fête d'anniversaire. Depuis qu'elle était à l'université, la seule personne avec qui elle avait fait connaissance, c'était... Non, elle n'avait pas envie d'y penser non plus... Bon. 6 heures. "Il faut que j'y aille si je ne veux pas être en retard", pensa-t-elle.

...

Ainsi, la voici désormais en cours, mais toujours autant dans les vapes. Assez réceptive pour comprendre ce qui se passait autour d'elle, mais cependant trop peu pour saisir les paroles du professeur. Elle n'entendait qu'un mélange de sonorités fades et ennuyantes qui lui faisaient encore une fois regretter de s'être levée ce matin. Elle restait la tête entre ses bras, ses bras croisés sur la table. De toutes façons, personne n'allait la remarquer. C'était un cours magistral et il y avait plus de 200 élèves dans la salle en plus d'elle. Elle se laissa aller à la rêverie...

Elle s'imaginait quelque part ailleurs, loin de la réalité trop compliquée et complexifiée par les vieilles personnes. Loin de tout, et pourtant proche d'un univers. Elle se voyait seule sur la plage de sable d'une petite île. Et tout autour, il y avait des ruines. Des maisons abandonnées et mélangées dans une masse informe de débris et autres gravats. Néanmoins, une habitation toujours debout semblait, elle, avoir résisté à la quelconque catastrophe. Sans en connaître la raison, elle se sentait comme attirée par cette dernière. Elle ne savait pas où se trouvait cette fameuse bâtisse, mais elle avait comme une envie irrépressible d'aller à cet endroit, sans même savoir s'il existait vraiment. Une aura mystérieuse s'en échappait, comme si un esprit la hantait, et qu'il connaissait un lourd secret. Comme la clé de voûte d'une énigme gigantesque...

"Noémie ! Noémie !

- mrrfffmrffmm...

- Réveille-toi, le cours est fini !

- Quoi ?

- Le cours est terminé, dépêche-toi de venir !

- Laisse-moi tranquille...

- Non, la journée ne fait que commencer. Ne me dis pas que tu t'es encore bourré la gueule ? Et tu ne m'as même pas invitée ? Quel culot !

- Pfff...

- Je rigole bien sûr ! Allez, viens !

- Va voir ailleurs si j'y suis...

- Toujours aussi aimable ^^."

Et la journée continue... Toujours aussi affreuse, et donc toujours autant semblable à toutes les autres. Noémie avait envie de s'enfuir, seulement, elle ne savait pas pourquoi, mais elle sentait qu'il allait se passer quelque chose de spécial aujourd'hui qui allait peut-être pimenter les choses. De plus, chaque fois qu'elle pensait à sécher les cours, elle avait cette petite voix, susurrante et doucereuse qui l'implorait de ne pas... De ne pas quoi, d'ailleurs ? Noémie n'en savait absolument rien. Aussi elle n'avait jamais parlé de cela à personne. On l'aurait prise pour une folle. Et puis de toute façon, elle s'en portait très bien comme ça. Elle n'avait aucune envie de recontacter son père. Si en plus c'était pour lui parler de ses problèmes, alors non merci.

...

"Aaaaaah ! la journée est enfin terminée, je suis essoufflée ! Alors Noémie, tu n'as toujours pas trouvé de copain ?

- Pfff... Arrête de me bassiner avec ça s'il te plaît.

- Mais c'est important l'amour ! Si tu avais un mec, tu t'ennuierais moins ! Tu sais, l'amour, ce n'est pas que l'attirance physique, c'est surtout un énorme soutien moral sur lequel on peut compter en n'importe quelle circonstance. L'amour, c'est ce que l'on ne peut pas exprimer avec des paroles. Ceux qui essaient de mettre des mots dessus ne le connaissent pas véritablement. Tu trouveras forcément quelqu'un un jour. Je suis convaincue par le fait que mourir seul est la chose la plus atroce qui puisse nous arriver. L'humain respire et existe pour créer des liens. Profite de ta vie tant qu'il en est encore temps ! Tu verras, quand on ne se prend pas la tête, on s'amuse beaucoup plus ! Aime et sois aimée ! Ainsi va la vie !

- Oui, bon, ça va madame parfaite, arrête de me faire la morale. Je sais très bien que tu n'as pas tort, je ne le sais que trop...

- Allez, arrête de déprimer ! Ce soir on va dans un bar et on fait la fête !

- Non, je suis trop fatiguée en ce moment...

- Ça, je l'avais remarqué héhé !

- Bon, bonne soirée. À demain !

Noémie esquissa un léger sourire avant d'entrer dans le tramway en laissant son amie sur le quai.

À l'intérieur régnait un silence particulier. Il n'y avait presque personne à cette heure dans le véhicule. Dans ce wagon, à part elle, il y avait un homme en imperméable marron foncé assis sur un strapontin qui lisait un journal. L'homme ne la regardait pas, et pourtant, Noémie se sentait comme observée. Elle avait comme l'impression qu'un prédateur tapi dans l’ombre n’avait plus qu’à refermer sa gueule garnie de crocs autour de son cou à la chair tendre et dodue. Dehors, il s'était mis à pleuvoir. Bizarre, pourtant, il avait fait beau durant toute l'après-midi. Mais désormais, la pluie ne cessait de redoubler en intensité à chaque seconde. Il faisait plutôt chaud dans le wagon, mais Noémie avait étrangement froid. Non pas un refroidissement dû à la fatigue. Non plus en rapport avec la température. Non, rien de tout ça... Noémie ne savait pas pourquoi, mais depuis qu'elle était entrée dans ce wagonnet, elle ressentait comme une horrible sensation de malaise qui l'envahissait peu à peu. Et tandis que sa peur grandissait, pour ne pas améliorer les choses, l'homme en imperméable marron se leva d'un coup, avant de franchir pas à pas les quelques mètres qui les séparaient. Il regarda la jeune fille d'un oeil sombre qui traduisait ses intentions. À chaque pas qu'il faisait, il réduisait considérablement la distance et Noémie, paralysée par la peur ne pouvait qu'observer l'homme s'approcher encore et encore sans rien pouvoir faire. Elle essaya de crier, mais aucun son ne sortit. Désormais, il n'était plus qu'à un pas d'elle. Alors, il s'arrêta, la regarda une seconde fois droit dans les yeux avant de porter une main à sa poche intérieure. C'était fini, Noémie avait trop peur pour agir. Elle ne pouvait pas y croire. Dire qu'elle allait mourir comme ça... La main de l'homme à l'imper sembla alors trouver l'objet de ses convoitises, avant de le saisir fermement. Noémie avait tellement de regrets. Elle ne pouvait pas mourir avant d'avoir réalisé ses rêves ! Pas maintenant ! Pas ici ! Elle était trop jeune ! Et pourtant, elle devait s'y résigner. "Je n'aurais pas dû refuser l'offre d'Adélie, pensa-t-elle alors que le tueur s'apprêtait à sortir l'objet. Et voilà, je suis morte..." La main ressortit, tenant fermement la chose, cinglant l'air d'un geste fatidique qui s'arrêta juste devant le visage de la jeune fille.

"Vous êtes bien Noémie Schlügger ? Suivez-moi au poste."

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