Chapitre 23: La pluie...
Dans la salle vétuste, Noémie fixait depuis cinq minutes déjà le poste de télévision qui diffusait une lueur blafarde mais rassurante autour d'elle. Elle détestait attendre, mais elle n'avait bien sûr pas le choix. Elle mentirait si elle disait qu'elle n'avait pas frôlé la crise cardiaque quand l'homme du métro s'était approché d'elle, mais désormais, la jeune fille n'avait vraiment pas le choix. Fuir la police serait signer son arrêt de mort. Elle n'avait pas envie d'être poursuivie à vie par des agents en impers noirs et de changer de domicile tous les mois pour être sûre de ne pas être trouvée. De toutes façons, elle était loin d'en avoir les moyens. Et puis, ce genre de vie n'intéresse personne. Dans un film c'est toujours trépidant, mais dès qu'on transpose à la réalité, c'est jamais drôle ce genre de choses. Elle avait déjà donné.
L'écran se teinta de bleu, et le générique du journal de 20 h résonna dans la petite pièce. Noémie n'avait rien d'autre à faire que de regarder les infos, alors elle se laissa glisser un peu plus dans le sofa peu confortable et écouta d'une oreille distraite :
- Aujourd'hui, flash spécial !
Un drame a eu lieu dans une petite ville de Haute-Garonne, à Billière, loin de toute activité urbaine. Une disparition a été signalée depuis maintenant une semaine, mais aucune victime n'a pour l'instant été retrouvée. Voici le témoignage d'un des habitants :
" Ils étaient arrivés dans l'après-midi du dix octobre. Il y avait une p'tite dame et ses trois gosses. Et pendant la nuit, y' a eu des cris, j'en ai entendu trois, espacés de peut-être deux minutes. J'ai tout de suite appelé la police, et quand on est arrivé sur les lieux, on a vu la mère sortir de la maison, on aurait dit une folle furieuse, dis donc ! Et quand un agent de police s'est approché pour lui demander ce qui s'était passé, elle a murmuré 'Il ne me reste que neuf jours, neuf jours pour les trouver tous...' Et elle est partie en courant dans la forêt, comme une furie. On l'a toujours pas retrouvé, et les gamins non plus. J'peux vous dire que j'dors plus sur mes deux oreilles maint'nant ! Je garde toujours un fusil près de moi ! "
Après cet horrible témoignage, nous allons désormais nous pencher sur l'avancement de l'enquête de l'île du Vas. Dernièrement, nous avons pu apprendre que...
La télé s'éteignit. Noémie tourna la tête et vit l'officier de police, télécommande à la main, posté juste derrière elle, la regardant gravement.
- Veuillez me suivre, mademoiselle Schlügger.
- Pfff...
À contre coeur, la jeune fille suivit l'agent dans une salle d'interrogatoire triste et morne. Dans les couloirs, personne ne semblait faire attention aux deux individus qui se déplaçaient tout près. Ils devaient avoir l'habitude de voir un de leurs collègues ramener un délinquant sous amphétamines, ayant commis un délit de fuite, ou un truc dans le genre. Sauf que Noémie n'avait rien fait de mal, et ne consommait pas du tout de drogue. Du moins, elle en avait la certitude, elle n'avait aucune explication plausible quant au fait de son arrestation soudaine.
- Installez-vous là.
- Pourquoi vous m'avez arrêtée ?
- Je ne vous ai pas autorisé à parler.
- J'en ai bien le droit pourtant, non ?
- Taisez-vous, mademoiselle.
- Que se passera-t-il sinon ?
- Je vous prie de bien vouloir coopérer, je n'ai pas tout votre temps. Désormais, ne parlez que pour répondre à mes questions, est-ce bien compris ?
- Mmmm... grommela la jeune fille.
- Ne faites plus preuve de désinvolture ou ça risque de finir mal pour vous, compris ?
- Compris...
- Bien.
L'officier s'assit en face de Noémie puis posa devant lui des dossiers de différentes tailles et différents volumes. Il enleva son chapeau, révélant un début de calvitie et des cheveux grisonnants autour des tempes.
- Je me présente, je suis l'agent Gérard Mauclair. Si je vous ai demandé de me suivre, c'est pour une affaire de la plus haute importance. Avez-vous récemment regardé les chaînes d'informations ?
- Oui.
- Je suppose que vous êtes donc au courant pour le cratère sur l'île au large de la France.
- Effectivement, mais je ne vois pas en quoi cela fait de moi quelqu'un de dangereux.
- Vous n'êtes pas dangereuse, c'est même l'inverse.
- De quoi ?
- Je vais y venir. Contentez-vous de continuer à répondre.
- D'accord.
- Quel est votre chiffre préféré ?
- Mais ?
- Qu'est-ce qu'il y a ? Cette question vous paraît trop compliquée ? Vous n'arrivez pas à trancher ? demanda avec ironie Gérard Mauclair.
- Non, c'est juste que c'est stupide.
- Répondez, c'est tout.
- Pfff... comme ça, je dirais peut-être le 5.
- Et quel est le chiffre que vous aimez le moins ?
- Le 9.
- Voyez-vous ça !
- Ben quoi ?
- Non, rien. Connaissez-vous un certain Daniel Tanarchais ?
- Oui, c'est mon colocataire.
- Votre mère est-elle morte ?
- Oui.
- Dans quelles circonstances ?
- Je suppose que vous le savez, non ?
- Répondez.
- Et puis à quoi riment ces questions ? Vous faites vraiment partie de la police ? Vous n'avez pas le droit de m'arrêter comme ça !
- Répondez.
- Non, je ne répondrai pas !
- Répondez !
Noémie se redressa du haut de toute sa colère. Pour qui se prenait-il celui-là ? La peur était aussi présente. Si ce n'était pas un policier, qui était cet homme ? Mais aussi, où se trouvait-elle réellement ? Pas dans un poste de police en tout cas. Mais elle n'allait pas se laisser faire par ce fou et elle le lui signifia d'un regard empreint de haine et de dédain. Elle ouvrit la porte de la salle d'interrogatoire à la volée et se précipita dans les couloirs tortueux du bâtiment, prenant ses jambes à son cou.
- Revenez ! entendit-elle au loin.
À bout de souffle, elle fit une pause devant la porte de sortie de l'immeuble et soudainement, un frisson lui parcourut le bas du dos: Il n'y avait plus personne assis aux bureaux. Aucun employé blasé, aucune secrétaire recevant un appel urgent, personne.
Le silence régnait.
Dehors la pluie redoubla d'intensité, et un bruit s'y mêla. Indistinct au départ, il ne faisait maintenant qu'enfler. Comme un hurlement sinistre et caverneux. Il emplissait désormais les rues et tourbillonnait dans l'ouragan qui sévissait au dehors. Il faisait vibrer les murs de l'habitacle et résonnait, lugubre, tout près de la jeune fille.
C'est ainsi qu'elle l'aperçut.
En dirigeant son regard vers la plainte, Noémie avait entrevu le grand chaudron bouillonnant et ardent des flammes de l'enfer. Là, au milieu du déluge qui s'abattait désormais sur la ville, une silhouette se dressait, l'ombre d'un démon se dessinant derrière elle.
Et la silhouette aperçut Noémie.
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