Chapitre 55: Peur
Lamu, Kenya.
La peur.
À quoi sert-elle ? Souvent considérée à tort comme de la faiblesse, péjorativement désignée comme couardise, elle est en fait un signal que notre cerveau nous envoie lorsqu’il sent un danger imminent. Sans cette information, nous nous confronterions à maintes épreuves insurmontables sans savoir que la meilleure solution se trouve dans la fuite. Savoir utiliser sa peur à bon escient, la connaître et la contrôler pour en faire une arme, devenir maître de sa conscience…
Fadaises.
Il le sait, la peur est bien plus puissante que ce que les humains tendent à croire. Ces pitoyables existences sans but aucun avaient tissé un raisonnement de mensonges tout au long de leur insignifiant tracé à travers les époques. La ”Science”. Un nom aussi stupide qu’eux. Comme si de si futiles recherches pouvaient représenter la notion de connaissance. L’arrogance de ces ignominies ambulantes atteint un point sans retour lorsqu’elles se mettent à parler de ce royaume qu’elles croient avoir établi. Au sommet de la chaîne alimentaire pensent-elles. Ben voyons !
Bâti de sable illusoire s’envolant au moindre coup de vent, quel royaume dérisoire !
La peur ne peut être dominée par des esprits si simples. Dans le combat, c’est elle qui domine. Lutter contre elle ne la rend que plus forte. Se sentir intelligent n’y change rien.
C’était à lui, le cinquième, que l’on avait confié cette mission. Mais honnêtement, il n’avait rien à faire. Ce serait plié en l’affaire d’une poignée de secondes. Prenant un malin plaisir à écraser toute vie sur son chemin, il avançait d’un pas lent. Il désirait plus que tout savourer le plus longtemps possible les cris d’agonie déments des âmes torturées.
Derrière lui se traînait la larve qu’on lui avait confié. Sa seule envie ? La briser, la faire sombrer dans le désespoir.
- Qu’est-ce que ça fait de savoir que tu ne peux rien faire ? Tes… semblables vont mourir, les uns après les autres. Regardent comme ils tombent déjà comme des mouches. N’as-tu pas honte de ne pas pouvoir les aider ? Tu te croyais spéciale peut-être ? Alors, dis-moi, que comptes-tu faire ?Tu crois encore pouvoir faire face ? Allez, montre-moi ton pouvoir, prouve-moi que j’ai tort HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA ! Bien évidemment que tu ne peux rien faire ! Maintenant, observe !”
Il lui saisit les paupières et maintint ses yeux grands ouverts.
- Observe ton impuissance ! Constate à quel point tu es inutile ! Tu n’as pas de raison d’être car ton monde n’est déjà plus que cendres !”
Les yeux verts de la captive se plantèrent droit dans ceux du tueur. Aucune émotion ne s’y reflétait. Elle avait parfaitement conscience de la situation et de son impuissance mais il lui restait encore de l’honneur.
- Tu ne fais peur à personne, pantin de haine.
- Je n’aurais jamais pensé rire autant. Excuse-moi mais… qui traites-tu de pantin ? J’ai sûrement dû mal comprendre ? Ou alors, me méprendrais-je bien plus encore que je ne le crois ? Es-tu en position de force ? Ai-je raté quelque chose ? Jusqu’aux dernières nouvelles, aucun de tes actes, aucune de tes paroles, aucun de tes soupirs n’a de valeur. Seul ton sacrifice fait sens. Une fois débarrassé de toi, un palier de plus pourra être franchi. Garde ton calme autant que tu veux, tu ne me trompes pas.
Il approcha son visage au plus près de celui de sa prisonnière et lui renvoya son regard de défi.
- Tu trembles.
La jeune femme avait froid, si froid. Devant elle, le visage de son tortionnaire se déformait, prenait des dimensions démesurées. Ses sens s’affolaient, en proie aux délires de son esprit et des images absurdes qu’il produisait. Des monstruosités aux yeux de verre qui la fixaient depuis le néant. Leurs chuchotements parvenaient jusqu’à ses oreilles proférer des paroles proscrites, des châtiments infâmes. Toutes ces immondices ne fixant qu’une seule et unique chose: elle. La condamnant à un tourment sans fin.
Si elle avait pu s’enfuir, elle n’aurait pas attendu un instant de plus.
Elle voyait déjà son propre cadavre empalé par les cornes de ce démon. Écorché et dépouillé de toute son humanité, traîné jusqu’en enfer pour y souffrir inlassablement. La moindre petite parcelle de son corps, chacun de ses membres, sa tête, ses doigts, son ventre, ses genoux, sa bouche, ses yeux, son coeur, ses poumons…
Tout s’était arrêté de vivre, plus sang ni air ne circulant dans ce corps aux rives du fleuve de la mort. Comme si le froid s’était insinué dans chaque pore, immobilisant l’intérieur, devenant le second squelette, homologue de givre aux doigts refermés sur les organes de sa victime.
Le fléau jeta l’amas de chair gelé au centre du cercle. Seule une étincelle persistait, ultime et ridicule effort de la vie de maintenir sa marionnette. Cela suffisait amplement. Un déchet n’aurait jamais dû lui parler sur ce ton. Encore moins se sentir son égal. On a ce que l’on mérite.
Tout était en place.
Avec celui-ci, cela faisait déjà quatre cercles d’activés. Une impatience certaine gagnait Devon.
Une fois qu’il serait en face de Lui, aurait-il peur ?
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