chapitre 7
Tournant page après page, Savoir sentit un regard scrutateur sur lui. Il le trouva si dérangeant, qu’il finit par lever la tête de son livre et planter ses yeux dans ceux de Lueur. Son corps se figea. Encore lui ! Il se retint de lever les yeux en l’air. Le prince était en face, imperturbable, avec un demi sourire aux lèvres. C’était quoi son problème ?
Savoir soupira et se replongea dans son ouvrage. Ses doigts serrèrent les pages. Il n’aimait vraiment pas l’attention que ce garçon lui portait.
Avec un peu de chance, Lueur lui ficherait la paix. Pourvu qu’il ne tente pas de faire la conversation.
La sensation d’être scrutait jusqu’à l’intimité jeta un frisson sur l’entièreté de son corps.
Lueur continuait à le regarder. Il lui sourit avec plus d’aplombs. Puis se replongea dans son livre à son tour, mine de rien.
Savoir l’analysa dans un frémissement incontrôlable, jusqu’à remarquer que le prince tournait les pages trop vite pour être réellement impacté par sa lecture. Même lui ne lisait pas aussi vite.
Mal à l’aise, le rouquin fronça le nez et leva son recueil jusqu’à ne plus voir la sangsue royale.
Avec cette barrière, Lueur comprendra qu’il m’ennui, pensa-t-il naïvement.
De nouveau entrainé dans sa lecture, Savoir baissa son ouvrage et retrouva une position moins inconfortable. Il s’avachit à nouveau sur la table, complétement happé par cette histoire de paysanne qui le soir venu se changeait en pétunia. Chaque soir la femme cherchait un emplacement sombre et prenait racine, suppliant le matin de venir plutôt et que surtout on ne la cueillît pas. Hélas un soir, son époux rentra d’une besogne de trois jours et pour ce faire pardonner de tout ce temps resté loin d’elle, fouilla la végétation et cueillit le pétunia, sa femme. La tige coupée, la femme reprit forme, mais ne réouvris jamais les yeux.
Cette nouvelle terminée, Savoir se demanda pourquoi la femme n’avait rien dit à son époux, peut-être l’aurait-il protégée. Puis pourquoi ne pas avoir installé un pot à sa fenêtre. Personne ne l’aurait cueilli. Est-ce que le jeune nouvelliste avait pensé à cela ? Pourquoi cette fin dramatique ?
Savoir haussa un sourcil. Certaines histoires manquaient d’objectif ?
Les yeux rivés sur la page suivante et sur un nouveau titre, l’adolescent glissa dans un décor différent quand la voix de Lueur s’éleva et le sortit de sa lecture.
Savoir ancra ses prunelles dans celles de Lueur, un poil agacé. Il avait une sainte horreur qu’on l’interrompe dans sa lecture. Ce fichu prince avait tout intérêt à avoir une raison valable. Ça commençait à bien faire !
— Je n’ai pas compris un passage. Est-ce que tu peux m’expliquer, Savoir ?
Lueur fit glisser le petit livre sur la table. La couverture frotta sur la table en bois. Savoir soupira, mais accepta, à la fois curieux de cette lecture, et pour se débarrasser de la tête couronnée. Le fait qu’il lisait en diagonal pourrait expliquer son incompréhension. Quel boulet !
Le brun souligna la phrase. Savoir la lu à haute voix : « L’éclipse apparu et tout s’envola. ».
— Qu’est-ce que tu ne comprends pas là-dedans ? s’étonna le rouquin.
— Qu’est-ce qui s’envole ? C’est quoi ce « tout » ?
Les sourcils haussés, Savoir lu le titre. Il ne se souvenait pas l’avoir déjà lu.
Sans manière, il prit le bouquin et fit défiler les pages. Il finit par lire les phrases précédentes et les suivantes pour se mettre dans le contexte.
— Tous les problèmes de ce Willdam ont disparu des lors où sa sœur lui a enfoncé la dague dans la poitrine. Sa possession, son amour à sens unique et sa vie misérable. L’éclipse fait le lien avec la mort ainsi tout ce qui était, n’est plus. Tu comprends.
Savoir planta ses yeux dans ceux du prince avec dans l’idée que ce dernier jouait les idiots volontairement, mais dans quel but ?
— Alors j’avais compris. Je te remercie.
Les yeux de Lueur brillèrent de malice. Il profita de l’air serein de son camarade pour poser une main sur la sienne et récupérer le roman. Un feu invisible jaillit sous leur épiderme à tous les deux, les laissant un peu bête.
— Je t’en prie.
Savoir rabattit sa main. Son cœur battait d’une façon étrange, comme si une armada de cheveux courrait sur de la terre battue et levaient une poussière aveuglante.
— Tu es impressionnant. Sans même le lire, tu as compris.
— J’en ai déduit… rectifia-t-il sur un ton dur et méfiant.
Savoir se détourna de Lueur et retrouva son activité. Il lui faisait comprendre que maintenant il voulait du calme et si possible plus d’espace, mais Lueur resta en face de lui, jusqu’à ce que la cloche retentisse.
Le tintinnabulement avait décrispé le rouquin sur le champ et il avait presque bondit de sa chaise, comme délivrait d’un regard tétanisant.
Redressés, ils se déplacèrent d’un même pas pour le plus grand déplaisir de Savoir dont la mâchoire se crispa. Irrité par le prince, mais sans oser le lui dire, il prit sur lui sentant l’étrange aura de celui-ci le couvert avec possessivité.
Ils rejoignirent le cours de musique. L’un, plongé dans l’inconfort et l’autre bien heureux de se trouver si proche du garçon qu’il convoitait.
Dans la classe, les élèves formaient un arrondit autour des instruments disséminés un peu partout dans la pièce. Savoir était assied à côté de sa sœur et regardait le plafond, tandis que Cécilia chuchotait avec une camarade.
— Madame Broudine doit nous prendre pour de grands enfants. Nous faire assoir à même le sol et nous faire chanter des comptines, fit remarquer l’amie de Cécilia. Je suis la fille d’un duché tout de même.
— Je ne suis pas bien sûr qu’elle ait conscience de tout ça. Va savoir, elle est peut-être en manque d’enfants.
— En manque d’enfants ? Tu plaisantes. Elle en a eu treize.
— Sont peut-être vieux ! Regarde là, elle ressemble à de la cendre. Sinon, elle est juste zinzin …
— Complétement ravagée, oui. Ma sœur m’a raconté qu’elle les faisait chanter à cloche pied et parfois la tête en bas.
— Ça promet une belle année, s’amusa discrètement Cécilia,alors que son amie désespérait.
Savoir compatie. Qu’elle était cette manie de les faire assoir à même le sol et de leur faire hocher des timbales ?
Madame Broudine exerça de grands gestes, les invitant à se lever et à placer leur main sur leur abdomen. Chacun s’exécuta sans faire de vague. Et commença des exercices vocaux. Dans la cohue, Cécilia donna un coup de coude à son frère et lui fit remarquer :
— Il te regarde encore. Je crois bien que tu lui as tapé dans l’œil.
Un sourire s’étira sur ses lèvres, tandis qu’elle reprenait sa position, droite.
Savoir laissa couler la remarque et lança une œillade peu sympathique à Lueur qui s’en amusa.
Lui aussi avait un sacré problème ? Est-ce qu’il aimait les personnes qui le fuyait ? Un type à qui on ne refusait rien ? Refuser ? Fallait-il encore qu’il demande quelque chose…
***
Alors qu’il s’usait les méninges pour pondre une préface qui ne dise pas « je sur un jeune homme inexpérimenté, soyez indulgeant », Savoir martela le plancher en mille allez retour. Il avait la première phrase, le plan, malheureusement, plus il fouillait son esprit, plus il se déconcentrait. La faute à Lueur et ses regards incessants tout au long de la journée.
Une heure passa sans que Savoir ne s’enlève ce fichu prince de la tête. Ça le dérangeait vraiment d’être constamment regardé.
À bout d’idée, il se laissa glisser sur l’un des coffres à tissus dans l’atelier de couture de Confidence. Il caressa un tissu en velours, enroulé sur lui-même, et s’enlisa dans la réflexion à telle point qu’il ne vit pas son grand-père entrer dans l’atelier avec une boîte d’aiguilles.
— Je vais finir par croire que vous aimez bien ce coin de la maison, toi, ta mère et ta sœur. Qu’est-ce qui te tracasse mon petit bouchon ?
— Rien en particulier.
— Pas à moi, mon garçon. S’il n’y avait rien, tu serais dans ta chambre à nous confectionner des univers et des personnages comme seul toi sait les faire. Allez dis-moi tout, je t’écoute. Profite-en avant que je devienne tout à fait sourd.
Confidence s’installa sur la chaise qu’il tourna de moitié vers Savoir.
L’adolescent chavira la tête en arrière, sur le socle du coffre et soupira.
— La préface de ton oncle te pose problème ?
— Oui et non, commença Savoir d’une voix éteinte. C’est la faute d’un garçon.
— Un garçon ! Oh, dis m’en plus. Il est mignon ?
Confidence appuya la tête sur son poignet. Le sourire lui monta jusqu’aux oreilles. Savoir parlait si peu de ses choses-là. On avait cru qu’il était trop occupé avec ses récits, voir réfractaire à l’amour. L’entendre se confier à ce sujet ravit Confidence qui s’approcha un peu, d’un air conquis.
— Ce n’est pas ce que tu penses ? assura Savoir. Loin de là.
— Ah, j’ai cru un instant que le printemps s’annonçait dans ta vie.
Le vieillard gloussa. Ses joues rebondies remontèrent et ses pommettes s’arrondirent, laissant ses petits yeux devenir deux arcs de cercle. Savoir roula les siens au plafond. L’amour ? Ce n’était pas dans ses priorités. Absolument pas.
— Eh bien, que te veux ce garçon ? Il t’ennuie ?
— On peut dire cela. Je ne le cerne pas. Il attente une chose de moi et je sais que je ne veux pas lui donner. Tout le monde désir s’en faire son ami, pourtant il me poursuit moi, le seul qui l’ignore. Pourquoi ?
— Peut-être qu’il se sent proche de toi, plus que les autres. Pourquoi tu ne veux pas être son ami ?
— Cela ne m’intéresse pas. Je suis bien pelotonné dans ma solitude, se défendit-il lascivement.
Savoir n’avait jamais cherché la distraction d’autres enfants que sa sœur. Cela avait était source d’angoisse pour Raison. Personne n’avait compris ce besoin d’être spectateur de la vie.
Confidence fronça les sourcils. Un voile d’inquiétude se posa sur son visage peint de rides. La nervosité que lui affligeait le comportement de Savoir laissa ses mains trembler légèrement et son regard se teinter d’une ombre. Qu’est-ce qui rendait son petit-fils ainsi ? Toujours en retrait sur le monde.
— S’il te gêne tant, pourquoi ne pas lui expliquer ?
— C’est que… Comment dire ? Je… Je n’y arrive pas. J’ai beaucoup de mal à lui parler. C’est bizarre, mais quand je croise son regard, je me sens dépossédé de tout et un grand malaise noie mon estomac de vide.
— Et pourquoi tu te sens comme ça ?
— Si je le savais, je ne serais pas en train de ruminer. J’aimerais croire que c’est parce qu’il est prince, mais je n’en suis pas si sûr. Son aura. Elle me perturbe.
— Le prince de Porcelaine. Alors c’est lui… Dis-lui simplement que tu ne veux pas être son ami. Que ce n’est pas contre lui.
Ma foi, confidence aurait préféré lui dire de se forcer, qu’un ami c’était toujours ça de prit et que ça permettait à l’esprit de se reposer, d’éveiller de nouvelles passions. Il trifouilla sa boîte d’aiguilles et songea au mannequin qu’il piquait à chaque commande. L’usure était présente sur chaque fibre du tissu épais. La vie savait faire mal et parfois la force qu’elle mettait à nous piquer pouvait se constater bien plus tard, quand notre corps usé n’était plus capable de retenir les larmes.
— Je n’y arrive pas, s’entêta Savoir en tirant sur une mèche de ses cheveux. Aujourd’hui, j’ai pu lui parler mais simplement parce qu’il m’a demandé de lui expliquer un passage dans un livre.
— Dans ce cas, demande à Cécilia, elle saura quoi dire.
— Elle ne voudra pas. Je lui ai promis d’être moins casanier cette année.
— Tu te complique la vie. J’espère seulement qu’un jour tu comprendras l’importance d’avoir un ami sur qui on peut compter.
— Je n’en ressens pas le besoin ou même l’utilité.
Savoir se redressa, sans rien dire de plus. Il frôla le lustre de son front et embrassa Confidence avant de monter et de s’enfermer dans sa chambre.
Devant sa fenêtre, prêt à fermer les rideaux, il examina le ciel. À quoi pouvait bien servir un ami, quand la vie offrait de si beau spectacle au solitaire qu’il était. Partager un souvenir ?
Il lui suffisait de le retranscrire sur les pages et de le diffuser, ainsi chaque lecteur devenait le réceptacle de ce qu’il observait, et libre à eux de lui envoyer un courrier pour en discuter.
Une correspondance était-elle synonyme d’amitié ?
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