Un visage d'obsidienne
Les pansements, les baumes, les heures de soins, les drogues, les souffrances. Tout cela avait finalement été vain. Les brûlures d'Etsu ne semblaient pas vouloir guérir. Les plaies de son visage suintaient le pus et dégageaient une odeur très désagréable que le parfum des plantes médicinales peinait à couvrir.
- J’ai bien peur que cela ne reste comme cela indéfiniment, lança le kenku à Etsu sur un ton assez fataliste. Votre œil ne semble pas à avoir été abîmé par contre, malgré l’importance de la blessure. Vous parvenez à voir avec ?
- Parfaitement. Répondit Etsu
Elle aurait sans doute préféré perdre son œil afin de s’éviter davantage de ce spectacle. Bien plus que la douleur que les drogues avaient fini par faire taire, la vue de son visage déformé lui était insupportable. Les autres ne l’aidaient pas beaucoup, la plupart affichaient un air peiné, comme si elle était une petite chose fragile que l’on venait de cassé.
- Si j’avais été un homme, tout le monde louangerait ma blessure et ma bravoure face au danger et à la douleur ! pensait-elle.
Certains membres du clan de la grue peinaient à cacher un profond dégoût, bien que ce ne fût pas volontaire. Quelques-uns d’entre eux s’éloignaient même d’elle durant les repas car l’odeur les empêchait de manger. Ces samouraïs de cours n’avaient probablement jamais vu de vraie blessure. Espérons qu’ils seront moins dégoutés une fois arrivée dans l’outremonde, car là-bas il n’y a que çà, de la chair putréfiée.
Et puis, il y avait Kana … Elle qui venait tous les jours aider pour les pansements, elle qui venait lui porter son repas et manger avec elle et avec son nezumi, clairement plus indisposé que les autres par l’odeur. Quelle personne si admirable ! Ou peut être se sent elle seulement coupable que Ryutaro ait préféré la sauver elle plutôt qu’Etsu. Cette dernière s’en voulait tout de même, elle s’était engagée dans cette aventure avec l’idée de prendre la place de sa cousine dans son mariage. Voir toute la compassion dont celle-ci était capable envers elle malgré cela lui donnait envie de se trancher la gorge pour laver sa honte.
- Tu es une bien meilleure personne que je ne le serai jamais. Lança-t-elle il y a quelques jours à Kana. C’est peut-être pour ça que le destin a voulu que je sois défigurée : afin de montrer l’écart de moral qui s’exerce entre nous deux.
- Village en vue ! Cria Ryutaro à l’intention de sa troupe
- Nous allons faire une pause de 2 jours ici le temps de faire des provisions pour le voyage ! lança Hayaku , vous avez quartier libre, mais ne vous éloignez pas du village, vous savez ce qui vous guette dehors !
Etsu, sortie sa torpeur semi-contemplative, semi-médicamenteuse pour aller faire le tour du village afin de trouver quelque chose de bien précis.
- Nous sommes encore sur les terres du clan de la grue, peut-être qu’il y ‘en aura un ici.
Elle finit par trouver ce qu’elle cherchait dans une demeure de la noblesse locale. Un artisan kakita qui était en train de sculpté un magnifique vase en porcelaine. Elle s’inclina le plus respectueusement possible devant l’artiste, presque à genou et la larme à l’œil.
- Sire, je vous en supplie aidez-moi ! Mon visage n’est plus qu’une chose immonde que plus personne ne daigne regarder de peur d’être pris de vomissements. Il n’y a que vous qui puissiez arranger cela.
Le potier s’interrompit dans son art pour plonger son regard sur la femme au visage arraché. Cela faisait des jours que personne ne l’avait regardé dans les yeux. Après quelques instants, il hurla.
- Serviteur ! Allez me chercher mes outils, nous allons confectionner le plus beau masque de porcelaine que je ferais jamais afin de rendre sa beauté à cette femme.
Et pendant deux jours, sans relâche. L’artisan mit tout son cœur. Il prit le matériau le plus noble possible pour sa tâche : l’obsidienne. Il sculpta la matière jusqu’à lui donner un visage, le visage qui était autrefois celui d’Etsu. Il y mit tout son âme, si bien qu'une fois que son ouvrage fût terminé il le tendit fébrilement à la femme défiguré et dit.
- Ceci est mon chef d’œuvre, rien de ce que j’ai fait avant et rien de ce que je ne ferai après ne sera jamais aussi parfait que ce masque. Ma vie d’artiste est terminée.
L’artiste ne fit plus jamais montre de son art, plus jamais il ne modela de la terre entre ses mains. Il mourut de désespoir quelques mois plus tard, car sa vie n’avait plus aucun sens.
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