CHAPITRE 4: LA FISSURE INVISIBLE
Le lycée de Suzhou, malgré son apparente normalité, bruisse d'une tension subtile, presque imperceptible. Les couloirs, remplis de voix et de mouvements constants, semblent désormais refléter plus qu’un simple lieu d’apprentissage. Ils deviennent des miroirs, où les rêves, les doutes et les espoirs des élèves se croisent et s'entrechoquent, comme des éclats de lumière sur des eaux tourmentées.
Dans cette atmosphère, des fissures invisibles commencent à apparaître, non seulement dans les murs des relations, mais aussi dans les fondations mêmes des âmes de ceux qui habitent cet espace.
Yang Li traverse le hall principal, son carnet serré contre sa poitrine comme un bouclier. Autour de lui, les discussions fusent, mais il ne les entend pas. Ses pensées sont ailleurs, tournant autour d’une question qui le hante : À quoi sert de chercher la vérité quand chaque réponse ouvre une nouvelle brèche dans le miroir ?
Il aperçoit Zhang Wei au bout du couloir, assis sur les marches, son visage marqué par une fatigue qu’aucun sommeil ne semble pouvoir apaiser. Curieux, Yang Li s’approche.
« Wei, tu as l’air ailleurs. Tout va bien ? » demande-t-il, sa voix empreinte d’une douceur sincère.
Zhang Wei hausse les épaules, esquivant le regard de son ami. « Juste fatigué, je suppose. Parfois, j’ai l’impression que ce que je fais ne sert à rien. Je construis des maquettes, je réponds aux attentes, mais... est-ce que tout ça compte vraiment ? »
Yang Li réfléchit un instant avant de répondre. « Peut-être que ce n’est pas ce qu’on fait qui compte, mais la manière dont ça façonne ce qu’on devient. Les fissures dans ce qu’on crée sont peut-être ce qui révèle qui nous sommes. »
Ces mots semblent frapper Zhang Wei, qui reste silencieux, fixant un point invisible devant lui. Yang Li, sentant qu’il a semé une graine de réflexion, s’éloigne doucement, le laissant seul avec ses pensées.
Deng Shen, de son côté, se tient près des fenêtres de la salle de classe vide, ses doigts effleurant la vitre froide. Dehors, les branches des cerisiers se balancent doucement sous la brise. Elle observe Huang Lei dans la cour, entouré d’un groupe de camarades qui éclatent de rire à l’une de ses blagues. Mais quelque chose dans son sourire semble étrange, comme une lueur vacillante derrière un masque.
Elle murmure pour elle-même : « Parfois, les masques qu’on porte pour les autres deviennent des cages qu’on ne sait plus comment enlever. »
Huang Lei, comme s’il avait senti son regard, lève les yeux vers elle, son sourire s’effaçant légèrement. Ils échangent un bref moment de reconnaissance silencieuse avant qu’il ne détourne les yeux, reprenant son rôle de bouffon de la classe.
Li Mei entre dans la salle, tenant son éternel carnet de notes. « Shen, tu es pensive aujourd’hui. Tout va bien ? »
Deng Shen lui sourit faiblement, mais ses paroles sont empreintes d’un poids qu’elle ne peut masquer. « Je pense juste... au fait que parfois, les choses qui nous définissent le plus ne sont pas celles qu’on choisit, mais celles qu’on nous impose. »
Li Mei hoche lentement la tête. « Peut-être, mais peut-être que ces choses, une fois qu’on les accepte, deviennent la base de ce qu’on choisit de construire. Tout commence par une fissure, non ? »
Ces mots résonnent profondément en Deng Shen, qui se tourne à nouveau vers la fenêtre, ses pensées s’égarant parmi les ombres des branches dansantes.
Chen Bo, quant à lui, s’entraîne seul sur le terrain de basket, son ballon rebondissant rythmiquement contre le sol. Mais ses mouvements, d’habitude précis et énergiques, semblent aujourd’hui hésitants, comme si quelque chose en lui vacillait.
Huang Lei, passant non loin, s’arrête pour l’observer. « Hé, Bo, tu t’entraînes à marcher ou quoi ? On dirait que tu danses avec des ombres. »
Chen Bo s’arrête, essuyant la sueur de son front. « Peut-être que c’est tout ce qu’on fait, Lei. Danser avec des ombres. Mais parfois, j’aimerais comprendre pourquoi elles me suivent toujours. »
Huang Lei, pris au dépourvu par cette réponse inhabituelle, reste silencieux un instant avant de répondre, son ton plus sérieux que d’habitude. « Peut-être parce que tu cours toujours vers la lumière. Et que là où il y a de la lumière, il y a des ombres. »
La journée continue, mais pour chacun d’eux, ces interactions laissent des traces. Des mots, des regards, des silences. Les fissures dans leurs réflexions, dans leurs relations, s’agrandissent doucement, révélant des vérités qu’ils n’étaient peut-être pas prêts à affronter.
La brume matinale persiste alors que les élèves se dispersent vers leurs salles respectives. Tandis que certains rient et s’échangent des anecdotes légères, d’autres avancent dans le silence, captifs de leurs propres réflexions. Les relations, les attentes et les doutes flottent comme des fils invisibles dans l’air, tissant une toile complexe que chacun porte à sa manière.
Yang Li, assis au dernier rang de la salle de littérature, feuillette distraitement son carnet. Le cours, bien qu’intéressant, semble lointain, comme si les mots du professeur se heurtaient à une barrière invisible. Devant lui, Li Mei l’observe par intermittence, ses doigts jouant avec son stylo. Finalement, elle se tourne et chuchote :
« Li, pourquoi est-ce que tu sembles toujours chercher quelque chose que personne d’autre ne voit ? »
Yang Li lève les yeux, surpris par la question. Il réfléchit un instant avant de répondre, doucement. « Peut-être que je ne cherche rien du tout, Mei. Peut-être que je me contente d’écouter ce que le silence essaie de me dire. »
Li Mei sourit à cette réponse, mais dans son regard, une curiosité persiste. « Et si ce silence était trop bruyant ? Est-ce que tu continuerais à l’écouter, ou est-ce que tu chercherais à lui échapper ? »
Cette question s’ancre dans l’esprit de Yang Li comme une ombre parmi ses pensées. Il se demande si sa quête d’introspection l’éloigne du monde ou si elle le rapproche de lui-même. À l’arrière de son carnet, il note une phrase qui résonne en lui :
« Écouter un silence trop bruyant, c’est comme chercher des étoiles dans un ciel sans nuit. »
Pendant ce temps, Deng Shen se trouve dans un laboratoire de biologie, entourée de camarades qui s’activent à préparer des échantillons. Bien qu’elle participe aux activités, ses pensées sont ailleurs, errant dans un territoire qu’elle n’a pas encore cartographié. À côté d’elle, Zhang Wei travaille en silence, concentré sur une série de diapositives.
« Shen, » murmure-t-il sans lever les yeux, « tu penses que les choses seraient plus simples si on ne se posait pas autant de questions ? »
Deng Shen s’arrête, surprise par la sincérité de sa question. Elle prend quelques secondes avant de répondre, presque en écho : « Peut-être. Mais est-ce que la simplicité vaut la peine si elle nous fait ignorer ce qui compte vraiment ? »
Zhang Wei réfléchit à ses mots, une étincelle de compréhension traversant ses yeux. Il réplique alors, avec une lenteur calculée : « Peut-être que les questions ne nous éloignent pas de la simplicité. Peut-être qu’elles nous rapprochent de la complexité qui fait de nous ce que nous sommes. »
Leur échange se termine aussi discrètement qu’il avait commencé, mais dans le cœur de Deng Shen, une autre vérité germe : Et si chercher des réponses était moins important que d’apprendre à vivre avec les questions ?
De l’autre côté de l’école, Chen Bo s’entraîne à nouveau sur le terrain de basket. Mais aujourd’hui, son énergie semble forcée, ses gestes répétitifs comme s’il cherchait à se convaincre de quelque chose. Huang Lei, passant par là, s’approche avec sa nonchalance habituelle, un sourire légèrement moqueur sur le visage.
« Toujours en train de montrer aux ombres qui est le patron, Bo ? » lance-t-il.
Chen Bo s’arrête, appuyant son ballon contre sa hanche. « Peut-être que je cours après mes ombres, Lei. Peut-être que si je vais assez vite, elles finiront par disparaître. »
Huang Lei rit doucement, mais son rire est empreint d’une mélancolie à peine voilée. « Mais qu’est-ce qui reste si elles disparaissent ? La lumière est belle, mais elle ne raconte pas d’histoires. Ce sont les ombres qui rappellent d’où on vient. »
Chen Bo fixe son ami, comprenant que derrière ses paroles légères, un poids plus lourd repose en lui. Il se demande si Huang Lei cache ses propres ombres derrière ses blagues, comme un peintre masquant une toile imparfaite sous une couche de vernis brillant.
Dans les couloirs, Li Mei marche lentement, son carnet de notes serré contre sa poitrine. Elle croise Deng Shen, qui revient du laboratoire. Li Mei lui tend une page qu’elle a arrachée de son carnet, sur laquelle est écrit un vers qu’elle vient de composer.
« Une fissure n’est pas une faille ; c’est une invitation pour la lumière. »
Deng Shen lit ces mots, ses yeux s’attardant sur chaque lettre. Elle lève les yeux vers Li Mei, un faible sourire se dessinant sur ses lèvres. « Merci, Mei. Je pense que… c’est exactement ce que j’avais besoin d’entendre. »
Les deux filles échangent un regard complice avant de se séparer, mais le vers reste gravé dans l’esprit de Deng Shen, comme une étincelle dans une obscurité qu’elle apprend lentement à apprivoiser.
La journée continue, mais pour chacun d’eux, ces moments laissent des empreintes. Les fissures dans leurs certitudes s’élargissent, non pas comme des failles, mais comme des passages vers des vérités qu’ils commencent seulement à entrevoir.
Le soleil atteint son zénith, plongeant le lycée de Suzhou dans une lumière éclatante, mais à l’intérieur des couloirs, cette clarté extérieure contraste avec les pensées opaques de certains élèves. Les mouvements, bien qu’habituellement animés, semblent ralentis, comme si le poids des réflexions invisibles appesantissait l’air.
Yang Li traverse le couloir principal, son carnet toujours à portée de main. Il s’arrête près de la salle d’arts plastiques, où Deng Shen s’est réfugiée après une matinée silencieuse. À travers la vitre de la porte, il l’aperçoit, penchée sur son carnet de croquis, ses gestes hésitants, comme si chaque ligne qu’elle traçait était un pont incertain entre ses émotions et la réalité. Finalement, il entre discrètement.
« Je ne savais pas que l’art demandait autant de réflexion, » dit-il doucement, son sourire amical éclairant son visage.
Deng Shen lève les yeux, son expression mi-surprise, mi-amusée. « L’art, ce n’est pas seulement dessiner ce qu’on voit, Li. C’est parfois essayer de capturer ce qu’on ne peut pas dire. »
Il s’assied à côté d’elle, observant son dessin. Sur la page, un arbre s’élève, ses racines profondément ancrées dans le sol, mais ses branches semblent se briser en atteignant le ciel. Yang Li fixe l’esquisse un moment avant de murmurer : « Peut-être que les racines et les branches ne s’opposent pas. Peut-être qu’elles sont comme nous, Shen. L’une tire vers le passé, l’autre vers l’avenir, et tout ce qu’on peut faire, c’est essayer de rester entier entre les deux. »
Ces mots frappent Deng Shen comme une vérité simple mais incontournable. Elle repose son crayon, ses pensées dérivant, non pas vers ce qu’elle veut accomplir, mais vers ce qu’elle veut vraiment être.
Sur le terrain de basket, Chen Bo s’entraîne de nouveau, mais cette fois, il n’est pas seul. Huang Lei l’a rejoint, bien qu’il ne joue pas vraiment. Il se contente d’observer, parfois lançant des commentaires moqueurs, mais son ton trahit une certaine sincérité.
« Bo, pourquoi tu t’acharnes autant ? T’es déjà le meilleur ici, tout le monde le sait, » dit Huang Lei, s’accroupissant près de la ligne du terrain.
Chen Bo s’arrête, tenant le ballon contre sa hanche. « Être le meilleur ici, Lei, ça ne veut rien dire. Je veux prouver que je peux être le meilleur tout court, même là où personne ne croit que je pourrais y arriver. »
Huang Lei lève les yeux, intrigué. « Prouver à qui ? Aux autres, ou à toi-même ? »
Chen Bo reste silencieux, cette question le prenant au dépourvu. Il reprend son entraînement, mais les mots de Huang Lei résonnent en lui, ébranlant une certitude qu’il pensait inébranlable. Pendant ce temps, Huang Lei, le visage toujours souriant, fixe le ballon rebondissant.
« Peut-être que courir après les victoires, c’est une autre façon de fuir les défaites qu’on n’a jamais acceptées, »pense-t-il pour lui-même, sans oser le dire à voix haute.
Dans la bibliothèque, Li Mei lit en silence, son carnet de notes ouvert devant elle. Mais son attention est distraite, attirée par Zhang Wei, qui s’est assis à une table voisine. Il feuillette un manuel scientifique avec une intensité caractéristique, mais son visage porte les traces d’une lutte intérieure.
« Wei, tu te surmènes encore, » remarque Li Mei d’un ton gentil mais direct.
Zhang Wei relève la tête, un léger sourire au coin des lèvres. « Parfois, je me dis que si je m’arrête, tout ce que j’ai construit s’écroulera. »
Li Mei hoche la tête, comprenant ce sentiment plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Elle note quelque chose sur une feuille de son carnet et la glisse vers lui. Dessus, il lit ces mots :
« Une pierre qui roule ne construit peut-être pas un mur, mais elle ne s’effondre jamais non plus. »
Zhang Wei fixe ces mots, surpris par la simplicité et la profondeur qu’ils contiennent. « Tu crois qu’on peut avancer sans savoir exactement ce qu’on construit ? » demande-t-il.
Li Mei sourit. « Je pense que c’est la seule façon d’avancer, Wei. »
Alors que l’après-midi touche à sa fin, le soleil commence à décliner, et une douceur mélancolique envahit les lieux. Chaque personnage, dans son univers, continue à marcher sur le fil fragile de ses doutes et de ses aspirations. Mais, pour chacun d’eux, ces interactions, bien que furtives, plantent des graines qui pourraient un jour devenir des réponses — ou de nouvelles questions.
Le soleil décline lentement, projetant sur les murs du lycée des ombres qui s’étirent comme pour contenir des secrets. La lumière tamisée donne au lieu une ambiance presque irréelle, où tout semble figé dans un entre-deux. Les élèves, dispersés dans leurs activités de fin de journée, évoluent dans cet espace suspendu, porteurs d’histoires invisibles, comme des pages ouvertes dont l’encre hésite à sécher.
Yang Li s’assoit seul sur un banc à l’arrière du campus, son carnet posé sur ses genoux. Devant lui, la pelouse s’étend, parsemée de pétales égarés d’un cerisier voisin. Il écrit sans cesse, mais les mots s’arrêtent toujours trop tôt, comme s’ils refusaient de se terminer. Il lève les yeux vers le ciel, et une pensée lui traverse l’esprit, fugace mais puissante : « Peut-être que le ciel est infini pour nous rappeler que nos réponses ne le seront jamais. »
Huang Lei passe non loin et, le remarquant, s’approche avec son sourire habituel, bien qu’un soupçon de fatigue perce dans ses traits.
« Hé, Poète ! Encore en train de chercher un sens aux nuages ? » plaisante-t-il, mais sa voix trahit une certaine sincérité.
Yang Li esquisse un sourire. « Peut-être. Ou peut-être que je me contente de leur demander pourquoi ils dérivent sans jamais s’attacher. »
Huang Lei s’assoit à côté de lui, reprenant son souffle. « Tu sais, parfois, dériver, c’est tout ce qu’on peut faire. Tout le monde veut une destination, mais moi, je dis : pourquoi ne pas se laisser porter par le vent pour une fois ? »
Yang Li réfléchit à ces paroles, sa plume suspendue au-dessus de la page. Il note finalement : « Ce n’est pas le vent qui décide où nous allons ; c’est la manière dont on choisit de lui résister ou de le suivre. »
Huang Lei, voyant cette phrase écrite, rit doucement. « Tu devrais écrire mes pensées, Li. T’es bien meilleur que moi pour leur donner du sens. »
Non loin de là, sur le terrain de basket, Chen Bo continue de s’entraîner. Ses dribbles sont réguliers, mais son esprit est agité. Chaque rebond du ballon semble résonner dans ses pensées, comme un écho de toutes les voix qui l’ont poussé à exceller. Cette cadence est brusquement interrompue lorsque Deng Shen, qui traversait le campus, s’arrête pour l’observer.
« Tu ne t’arrêtes jamais, hein ? » dit-elle calmement.
Chen Bo hausse les épaules, essuyant son front. « Les rêves ne se réalisent pas tout seuls. Tu devrais le savoir. »
Deng Shen sourit légèrement, mais ses paroles sont teintées d’une nuance qu’il ne saisit pas immédiatement. « Oui, mais parfois, on oublie que courir après un rêve peut nous faire passer à côté de ce qui compte vraiment. »
Chen Bo s’arrête, tenant son ballon immobile. Il la regarde un instant, ses sourcils légèrement froncés. « Et toi, Shen ? Tu cours après quoi ? »
Elle reste silencieuse, prise au dépourvu par la question. Une pensée surgit en elle, mais elle choisit de ne pas la partager, pas cette fois. « Peut-être que je cours pour fuir les ombres que je ne peux pas affronter, » pense-t-elle, mais elle n’a pas encore les mots pour le dire à voix haute.
Dans un coin plus isolé, Li Mei et Zhang Wei discutent sous un arbre. Leurs échanges sont rythmés par les pages qu’ils tournent dans leurs livres, mais cette fois, c’est Li Mei qui brise leur routine silencieuse.
« Wei, tu sais ce qui m’effraie parfois ? » demande-t-elle, le regard perdu dans les branches au-dessus d’eux.
Zhang Wei relève la tête, curieux. « Quoi donc ? »
Elle inspire profondément avant de répondre. « Que toutes les choses qu’on fait, toutes ces tentatives pour trouver un sens… qu’elles finissent par disparaître comme si elles n’avaient jamais existé. »
Zhang Wei réfléchit, puis pose une main légère sur le livre posé devant lui. « Peut-être que l’importance des choses ne vient pas de leur durée, Mei. Peut-être qu’elle vient de l’impact qu’elles ont, même si c’est juste pour un instant. Comme un rayon de lumière qui traverse une fissure — il disparaît, mais il change tout sur son passage. »
Ces mots touchent Li Mei, qui sourit doucement. Elle note dans son carnet : « Même une lumière passagère peut illuminer des mondes que personne ne voit. »Elle se demande si, finalement, ce sont les éclairs fugaces qui donnent le plus de sens à la vie.
Alors que le crépuscule s’installe, chacun retourne doucement vers ses routines. Mais ces conversations, ces moments partagés, laissent des traces indélébiles. Les fissures, bien qu’invisibles, continuent de s’élargir, révélant des vérités enfouies et des émotions longtemps cachées. Dans ce microcosme qu’est le lycée, chaque personnage avance, porté par ses propres ombres et lumières, tissant un récit qui, bien que fragmenté, reste profondément humain.
Le crépuscule s’installe comme un voile sur la ville de Suzhou, et le lycée s’immerge peu à peu dans un calme presque solennel. Mais, au milieu de ce silence progressif, chaque personnage continue à porter ses réflexions, ses rêves et ses doutes. Les fissures invisibles, présentes en eux depuis toujours, deviennent de plus en plus perceptibles. C'est ici que nous faisons un retour dans le passé, vers une lumière oubliée qui éclaire les ombres de Chen Bo, le basketteur ambitieux.
Retour en arrière : l'origine d'une passion
Chen Bo avait neuf ans lorsqu’il a tenu pour la première fois un ballon de basket. C’était un jour d’été, sous un ciel couvert de nuages turbulents. Il se souvenait encore du son distinct que le ballon faisait en frappant le sol poussiéreux du terrain local. À l’époque, ce n’était qu’un jeu. Une activité parmi d’autres pour échapper aux murs étroits de sa maison, où le poids des attentes familiales étouffait son souffle. Son père, un homme strict et exigeant, avait toujours rêvé d’un fils prodige, mais dans d’autres domaines : les mathématiques, la science, l’avenir assuré.
C’était un voisin, un vieil homme aux yeux pétillants, qui avait glissé entre ses mains ce premier ballon dégonflé. « Essaie de dribbler, gamin, » avait-il dit. Et Chen Bo, curieux, avait essayé. Le ballon avait roulé maladroitement, mais quelque chose dans ce mouvement, dans ce son rythmique, avait trouvé un écho en lui. À ce moment précis, il n’avait pas seulement découvert un sport, mais un moyen de fuir, de créer une cadence où son esprit pouvait enfin respirer.
Il se souvenait des premières nuits où il sortait discrètement, jouant seul sous une lumière vacillante de lampadaire, chaque rebond du ballon résonnant comme une promesse. Dans ces instants, Chen Bo n’avait pas besoin de prouver sa valeur à son père, ni de répondre aux attentes d’un monde qu’il ne comprenait pas encore. « Le ballon était mon évasion, ma chanson, ma révolte silencieuse, » pensait-il.
La passion forgée dans les flammes
Mais le basket n’était pas qu’une échappatoire. Au fil des années, il était devenu une discipline, un art, une quête. Chen Bo avait compris que le sport n’était pas simplement une question de force ou de technique, mais une danse entre contrôle et liberté, entre précision et instinct. Sur le terrain, il n’était pas seulement un garçon cherchant un sens, il devenait un battant, un créateur, un maître de son propre mouvement.
Cependant, cette passion s’était aussi forgée dans la douleur. Il se souvenait des premiers matches qu’il avait joués, souvent seul contre des garçons plus grands, plus forts. Chaque chute, chaque échec, chaque moquerie avait été une leçon. Il s’était relevé à chaque fois, avec plus de détermination dans ses muscles et dans son cœur. « La douleur d’aujourd’hui est la force de demain, » lui avait dit le vieil homme qui l’avait initié au sport. Et Chen Bo avait retenu ces mots comme un mantra.
Pourtant, cette passion avait aussi creusé une fissure en lui. Car chaque victoire sur le terrain, chaque applaudissement de la foule, semblait l’éloigner un peu plus de la validation qu’il cherchait le plus : celle de son père. « On m’applaudit pour mes paniers, mais à la maison, je suis toujours un fils qui n’a pas choisi le bon rêve, »
pensait-il souvent, les soirs où la lumière du terrain disparaissait, remplacée par l’obscurité d’une maison silencieuse.
Retour au présent : Chen Bo et le poids des ombres
Sur le terrain de basket, à la fin de cet après-midi, Chen Bo s’entraîne encore. Mais les rebonds du ballon, bien qu’intenses, semblent moins précis, comme si quelque chose en lui vacillait. Ces souvenirs du passé, cette tension entre ce qu’il aime et ce qu’il pense devoir prouver, pèsent sur ses épaules comme un poids qu’il n’a jamais appris à déposer.
Huang Lei, qui l’observe depuis la ligne de touche, sent cette lutte. Lui-même n’est pas étranger au sentiment de porter un masque pour cacher ses propres fissures. Il s’approche lentement, brisant le silence.
« Tu sais, Bo, » commence Huang Lei, son ton inhabituellement sérieux, « j’ai l’impression que pour toi, le basket, ce n’est pas juste un jeu. C’est une bataille. Mais… pourquoi est-ce que tu te bats, exactement ? »
Chen Bo s’arrête, le ballon immobile sous sa main. Il fixe le sol, ses pensées se bousculant. « Peut-être que… c’est une bataille contre moi-même, Lei. Contre la partie de moi qui veut abandonner quand ça devient trop dur. »
Huang Lei réfléchit, puis lâche doucement : « Peut-être que ce n’est pas toi que tu combats, Bo. Peut-être que ce sont les ombres que les autres ont projetées sur toi. Mais tu sais quoi ? Tu n’as pas besoin de battre leurs ombres. Tu as juste besoin d’apprendre à danser avec elles. »
Ces mots frappent Chen Bo comme un éclair, une vérité qu’il ne savait pas qu’il cherchait. Il hoche lentement la tête, son regard se perdant dans l’horizon. Pour la première fois depuis longtemps, il sent que la pression en lui s’allège, ne serait-ce qu’un peu.
Chen Bo : une fissure qui éclaire
Alors que le jour cède à la nuit, Chen Bo reste sur le terrain, mais cette fois, ses mouvements sont différents. Moins durs, moins pressés. Chaque rebond du ballon semble rythmé par une nouvelle cadence, non plus dictée par la peur ou la pression, mais par l’amour qu’il avait ressenti la première fois qu’il avait dribblé sur ce vieux terrain poussiéreux.
Il murmure pour lui-même, presque inaudible : « Le basket n’est pas une bataille. C’est ma lumière. »
Dans cette conclusion de la cinquième partie, le récit nous montre que les passions, bien que forgées dans la lutte, deviennent des refuges lorsqu’elles sont vues pour ce qu’elles sont vraiment : non pas des réponses aux attentes extérieures, mais des reflets des vérités intérieures. Chen Bo, comme les autres personnages, continue de marcher sur une route où les fissures invisibles ne sont pas des failles, mais des chemins vers la lumière.
Quand les silences deviennent plus lourds que les mots, comment pouvons-nous encore entendre les vérités que notre cœur murmure ?
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