CHAPITRE 15 : QUAND l’ARBRE REFLEURIT
Le vent soufflait doucement à travers les branches du vieux cerisier, celles-là mêmes qui avaient jadis abrité les confidences et les rires de Deng Shen et Yang Li. Le parc semblait figé dans une lumière d’aube paisible, comme si la nature elle-même décidait de leur offrir un nouveau départ. Deng Shen était debout devant l’arbre, ses yeux rivés sur l’écorce rugueuse. Elle y voyait à la fois la solidité du passé et la fragilité des souvenirs qu’elle s’efforçait de préserver.
Elle serrait dans sa main une enveloppe qu’elle avait longuement hésité à écrire, contenant des mots qu’elle n’aurait jamais pu prononcer de vive voix. « Les mots écrits sont des fragments d’âme, » pensa-t-elle, « des morceaux de nous que nous offrons sans garantie d’être compris. » Pourtant, elle sentait que cette lettre était une étape nécessaire, un pas vers la réconciliation qu’elle n’avait jamais cessé d’espérer.
Yang Li arriva peu après, les mains dans les poches, l’expression indéchiffrable. Il s’arrêta à quelques mètres de Deng Shen, son regard oscillant entre elle et le cerisier. Cet endroit, chargé d’histoire, portait en lui une puissance que ni l’un ni l’autre ne pouvait nier. « Chaque lieu a une mémoire, » pensa Yang Li, « et parfois, ces souvenirs sont plus lourds que tout ce que nous portons en nous. »
Deng Shen se tourna lentement vers lui, son cœur battant à un rythme qu’elle peinait à maîtriser. Elle tendit l’enveloppe avec des doigts tremblants, son regard cherchant le sien. « Je ne savais pas comment te dire tout ce que je ressens, » dit-elle, sa voix à la fois fragile et déterminée. « Alors j’ai écrit. C’est tout ce que j’avais. »
Yang Li prit l’enveloppe sans un mot, ses doigts frôlant brièvement ceux de Deng Shen. Ce contact fugace envoya une onde inattendue à travers leurs corps, un rappel silencieux de ce qui avait été et de ce qui pourrait encore être. Il ouvrit lentement la lettre, ses yeux parcourant les lignes écrites d’une main parfois maladroite, mais sincère.
Les mots de Deng Shen étaient simples, mais portaient une profondeur qui ne pouvait être ignorée :
« Yang Li,
Je ne sais pas si cette lettre peut atteindre ton cœur, ni même si elle a le droit de le faire. Mais je veux essayer.
J’ai laissé mes erreurs et mes failles détruire quelque chose de précieux, quelque chose que je n’ai compris que trop tard. Et pour cela, je suis désolée. Pas seulement pour toi, mais aussi pour moi, pour la personne que j’étais et que je veux dépasser.
Je ne te demande pas de me pardonner, ni d’oublier. Je te demande juste de savoir que tout ce que je fais à partir de maintenant, je le fais dans l’espoir de mériter à nouveau une place, quelle qu’elle soit, dans ta vie.
Les cicatrices sont des leçons, Yang Li. Et toi, tu es la plus grande leçon que je n’aurai jamais apprise.
Deng Shen »
Alors que Yang Li lisait, Deng Shen observait chaque nuance de son expression, cherchant un signe, un indice. Mais son visage restait neutre, opaque, jusqu’à ce qu’il replie la lettre et la range doucement dans sa poche. Il releva les yeux vers elle, un mélange d’émotions croisées brillant dans son regard.
« Shen, » dit-il enfin, d’une voix posée mais grave. « Les mots que tu as écrits… ils comptent. Ils comptent parce qu’ils sont vrais. Mais ça ne veut pas dire que ça efface tout. »
Deng Shen hocha la tête, les larmes montant à ses yeux. « Je ne veux pas que ça efface quoi que ce soit, » répondit-elle doucement. « Je veux juste que ça plante une graine. Une petite graine qui pourrait, peut-être, un jour, devenir quelque chose de nouveau. »
Yang Li hésita un instant, puis avança de quelques pas, jusqu’à se tenir face à elle. « Alors plantons-la, » murmura-t-il, son regard s’adoucissant légèrement. « Mais sache que les fleurs ne poussent pas du jour au lendemain. »
Deng Shen sourit, un sourire discret mais sincère, comme un rayon de soleil perçant à travers les nuages après une longue tempête. Ensemble, sous les branches du cerisier, ils se tenaient dans une fragile trêve, un instant suspendu entre le poids du passé et la promesse incertaine d’un avenir.
Les mots de Yang Li résonnèrent dans l’air, comme une promesse à moitié murmurée mais infiniment précieuse. Deng Shen sentit son cœur se gonfler d’une émotion qu’elle n’avait pas ressentie depuis ce qui lui semblait une éternité. Un mélange d’espoir, de soulagement, et d’un amour qu’elle n’avait jamais osé avouer. Ses jambes bougèrent presque d’elles-mêmes, franchissant la distance qui les séparait encore.
Elle se jeta dans ses bras, ses larmes coulant librement, mais cette fois, elles portaient un poids différent. Ce n’était plus des larmes de regret, mais de libération, une sorte de rédemption qu’elle n’espérait plus. Yang Li, d’abord surpris, resta immobile un instant, mais ses bras se refermèrent finalement autour d’elle. Il sentit les secousses de ses sanglots contre son torse, et bien qu’une part de lui ressentît encore une douleur sourde, il sut qu’il ne pouvait plus nier l’importance de ce lien.
« Je suis désolée, Yang Li, » murmura-t-elle à travers ses pleurs. « Je suis tellement désolée… et merci. Merci de ne pas m’avoir laissée sombrer. »
Yang Li posa une main douce sur le haut de sa tête, le regard perdu dans les branches du cerisier. « On n’efface rien, Shen, » répondit-il avec une sérénité qu’il ne savait pas encore posséder. « Mais on peut construire autre chose, si on le veut vraiment. »
Ils restèrent ainsi, immobiles sous l’arbre, leurs âmes marquées mais prêtes à avancer ensemble. Ce moment, aussi fragile qu’il fût, était le point de départ d’une reconstruction, une renaissance dont ils ignoraient encore les contours, mais dont ils ressentaient la promesse.
Deux mois plus tard:
La chaleur de l’été avait cédé sa place à la douceur de l’automne, et avec elle, les jours s’étaient emplis de nouveaux souvenirs. Pendant ces deux mois, Deng Shen et Yang Li avaient lentement mais sûrement reconstruit leur lien. Le pardon, bien que jamais formulé clairement, s’était tissé à travers les gestes et les moments partagés : des conversations sous les étoiles, des rires retrouvés, et même des silences qui, désormais, n’étaient plus pesants mais apaisants.
Ils avaient retrouvé leur cerisier, non pas comme un lieu d’évitement, mais comme un témoin de ce qu’ils étaient devenus. Les feuilles, dorées et rouges, tombaient doucement autour d’eux, comme une métaphore de tout ce qu’ils avaient laissé derrière pour avancer. Li Mei, fidèle à son rôle de pont, les avait accompagnés dans cette transition, sans jamais forcer, mais toujours présente quand le moment l’exigeait.
Cependant, malgré ces instants précieux, une ombre grandissait doucement, invisible mais indéniable. La santé de Yang Li, bien qu’il n’en parlât que rarement, montrait des signes inquiétants. Deng Shen l’avait remarqué pour la première fois un soir, lorsqu’il avait eu du mal à finir une simple course avec Chen Bo et Huang Lei. Essoufflé, il avait écarté ses inquiétudes d’un geste de la main, prétextant la fatigue. Mais depuis, ces moments s’étaient multipliés.
Un autre jour, alors qu’ils travaillaient sur un projet scolaire dans la bibliothèque, Deng Shen l’avait surpris en train de masser son bras, une expression de douleur passant brièvement sur son visage avant qu’il ne tente de la masquer avec un sourire. « Tout va bien, » avait-il dit lorsqu’elle avait insisté. Mais dans ses yeux, elle avait vu autre chose : une inquiétude qu’il ne voulait pas partager.
Li Mei, elle aussi, avait remarqué les changements. Yang Li, autrefois si énergique, semblait désormais fatigué plus souvent, et parfois même distant, comme s’il portait un fardeau qu’il refusait de nommer. Elle en avait parlé à Deng Shen une nuit, inquiète de ce qu’elle percevait. « Je ne sais pas ce qui se passe, Shen, mais je pense qu’il cache quelque chose. » Ces mots étaient restés en suspens, pesant sur l’esprit de Deng Shen comme une vérité qu’elle redoutait de confronter.
Malgré tout, ces deux mois avaient été remplis de moments d’une intensité rare, des souvenirs qu’ils chérissaient déjà comme des trésors. Mais une part d’eux savait que l’équilibre qu’ils avaient retrouvé était fragile, que quelque chose, quelque part, menaçait de le rompre. Et alors que l’automne avançait, l’incertitude de ce que l’avenir leur réservait pesait sur leurs cœurs, bien qu’ils ne puissent encore se résoudre à l’affronter pleinement.
Le vent, plus frais maintenant, soufflait à travers les branches du cerisier, emportant avec lui les feuilles tombées, comme une métaphore des saisons qui passent et des épreuves qui restent. Et au loin, sous le ciel gris, une nouvelle tempête semblait se préparer, prête à mettre à l’épreuve tout ce qu’ils avaient reconstruit.
Les souvenirs des deux derniers mois flottaient dans l’esprit de Deng Shen, comme des éclats lumineux dans un ciel qui devenait de plus en plus ombragé. Ce furent des semaines étranges et belles, pleines de moments où le poids du passé semblait s’alléger, où elle et Yang Li redécouvraient la complicité qu’ils avaient perdue. Ces instants étaient devenus des refuges, des preuves tangibles qu’ils pouvaient, malgré tout, avancer ensemble.
Elle se souvenait de cette première sortie qu’ils avaient faite après des semaines de silence. C’était un dimanche ensoleillé, et Li Mei avait insisté pour qu’ils la rejoignent tous au café du quartier, un lieu qu’ils fréquentaient souvent autrefois. Au départ, l’ambiance était un peu tendue, mais après quelques blagues maladroites de Chen Bo et une réplique sarcastique de Huang Lei, ils avaient fini par rire ensemble. La barrière du silence s’était fissurée, et, avant même qu’ils ne s’en rendent compte, ils discutaient à nouveau comme avant. Yang Li avait même taquiné Deng Shen sur son éternel penchant pour commander un chocolat chaud, même en plein été. « Certaines choses ne changent jamais, » avait-il dit avec un sourire en coin, et pour la première fois depuis longtemps, son sourire n’avait pas semblé forcé.
Une autre fois, ils étaient allés dans un parc d’attractions, une sortie qui avait été suggérée par Li Mei pour raviver des souvenirs joyeux. Deng Shen se souvenait encore de la sensation des manèges, du vent fouettant son visage et des éclats de rire de Yang Li lorsque Chen Bo s’était agrippé à son siège avec une peur manifeste lors des montagnes russes. Elle avait ri aussi, et, dans ce moment, elle avait senti que tout était possible. Plus tard, ils avaient partagé une glace, se chamaillant pour savoir qui prendrait la dernière cuillère. « Si tu veux vraiment ça, bats-moi au jeu de basket, » avait plaisanté Yang Li en désignant une machine d’arcade. Deng Shen avait accepté, même si elle savait d’avance qu’elle n’avait aucune chance. Mais ce n’était pas la victoire qui comptait ce jour-là. C’était l’éclat dans les yeux de Yang Li, cet éclat qu’elle n’avait pas vu depuis si longtemps.
Les repas partagés étaient également devenus une sorte de rituel. Tous les vendredis soirs, ils se retrouvaient dans le petit restaurant local où ils avaient l’habitude d’aller avant que les choses ne changent. Les discussions, toujours animées, mélangeaient des sujets légers et des confidences plus profondes. Deng Shen se souvenait d’une soirée en particulier où Yang Li avait parlé de ses projets pour l’avenir, de ses rêves de voyage qu’il n’avait jamais vraiment partagés auparavant. « Tu sais, » avait-il dit en fixant son verre, « je pense que j’aimerais voir les aurores boréales un jour. Ça doit être comme regarder le ciel danser. » Deng Shen avait souri, notant silencieusement ce désir dans son carnet, déterminée à faire en sorte qu’il devienne une réalité.
Les après-midi au cerisier restaient parmi les souvenirs les plus marquants. Ils y passaient des heures, souvent juste assis en silence, lisant ou écrivant dans leurs carnets respectifs. Parfois, Yang Li partageait un poème ou une réflexion qu’il venait de griffonner, et Deng Shen faisait de même, même si elle était toujours un peu nerveuse à l’idée de dévoiler ses pensées. Ces moments, bien que simples, portaient une profondeur que les mots ne pouvaient pas toujours capturer. C’était comme si, sous cet arbre, ils retrouvaient une part de ce qu’ils avaient perdu.
Mais ces souvenirs, aussi précieux soient-ils, étaient teintés d’une ombre qu’elle ne pouvait ignorer. Chaque fois que Yang Li riait un peu trop fort, elle remarquait comment il posait discrètement une main sur sa poitrine, comme s’il cherchait à calmer un souffle difficile. Chaque fois qu’il s’éloignait pour répondre à un appel ou qu’il manquait un rendez-vous, une inquiétude sourde s’installait en elle. Pourtant, elle n’osait pas poser de questions. Pas encore.
Ces deux mois avaient été remplis de moments d’une rare intensité, des souvenirs qu’elle chérirait toujours. Mais quelque chose, en arrière-plan, restait suspendu, une vérité qu’ils n’avaient pas encore affrontée. Et alors qu’elle repensait à tout cela, Deng Shen ne pouvait s’empêcher de se demander si ces instants, aussi beaux soient-ils, étaient des fragments d’un bonheur fragile, sur le point d’être brisé par une réalité qu’ils ne pouvaient pas fuir.
Le présent se dressait devant Deng Shen comme un miroir, reflétant à la fois les souvenirs lumineux qu’elle chérissait et l’ombre inquiétante qui grandissait autour de Yang Li. Assise sous le cerisier, elle jouait distraitement avec une feuille tombée, les pensées s’entremêlant dans un flot ininterrompu. Chaque éclat de rire des deux derniers mois, chaque mot échangé, revenait dans son esprit avec une douceur qui lui réchauffait le cœur, mais qui laissait aussi une pointe d’angoisse. « La joie, » pensa-t-elle, « est parfois la plus cruelle des illusions, car elle peut masquer ce que l’on refuse de voir. »
Yang Li n’était pas loin, adossé contre le tronc du cerisier, les yeux levés vers le ciel gris qui semblait chargé de promesses et de menaces à la fois. Son visage portait des traces de fatigue, mais il s’efforçait de rester présent, de ne pas laisser les inquiétudes transparaître. Il savait que Deng Shen l’observait, même si elle ne disait rien. Ses pensées s’élevaient comme des fragments de réflexions non exprimées. « Les liens les plus forts sont parfois ceux qui résistent au silence, » se dit-il. « Mais à quel point un silence peut-il être chargé avant qu’il ne se brise sous son propre poids ? »
Le vent souffla doucement, emportant quelques feuilles dorées avec lui. Deng Shen leva les yeux vers Yang Li, cherchant à capter dans son regard une vérité qu’il semblait déterminé à cacher. Mais elle hésitait encore, paralysée par la crainte de ce qu’elle pourrait découvrir. « L’amour, » pensa-t-elle, « n’est pas seulement une question de partage des joies. Il s’agit aussi de porter les poids invisibles de l’autre, même quand ils refusent de les nommer. »
Yang Li, sentant son regard, baissa les yeux vers elle, un sourire discret mais un peu forcé apparaissant sur ses lèvres. « Tu réfléchis trop encore, n’est-ce pas ? » demanda-t-il, sa voix empreinte d’une tendresse subtile. Deng Shen haussa les épaules, répondant avec un sourire qui masquait son inquiétude. « Et toi, tu n’en fais pas assez, » répliqua-t-elle doucement, essayant de retrouver leur légèreté habituelle. Mais ses mots portaient une vérité qu’elle n’avait pas prévue : elle savait qu’il fuyait quelque chose, et cette pensée pesait sur son cœur comme une ombre invisible.
Leurs regards se croisèrent, et pour un instant, le silence entre eux sembla presque brisé, comme si une vérité pouvait enfin émerger. Mais Yang Li détourna les yeux, fixant à nouveau le ciel. Deng Shen sentit un pincement dans sa poitrine. Elle comprit que le moment n’était pas encore venu, que certaines vérités, aussi nécessaires soient-elles, ont besoin de mûrir avant de pouvoir être exprimées. « Les secrets, » pensa-t-elle, « sont comme des graines : ils peuvent rester enfouis, mais leur ombre finit toujours par grandir. »
Elle se rapprocha de lui, s’asseyant à ses côtés sans un mot. Parfois, se dit-elle, ce n’est pas le moment pour des questions ou des confrontations. Parfois, il suffit d’être là, de rester auprès de l’autre, même dans l’incertitude. Le cerisier au-dessus d’eux, témoin silencieux de leurs espoirs et de leurs peurs, laissa tomber une feuille qui atterrit doucement entre eux. Deng Shen la ramassa, observant sa fragilité, et murmura presque pour elle-même : « Même une feuille tombée peut nourrir la terre. Rien ne se perd vraiment, pas même nos faiblesses. »
Yang Li tourna la tête vers elle à ces mots, et, bien que son sourire fût bref et discret, il portait une chaleur qui apaisait un peu les doutes de Deng Shen. « Peut-être, » dit-il, son ton pensif. « Peut-être que ce qui se brise n’a pas besoin d’être réparé tout de suite. Peut-être que le temps, lui aussi, a son rôle. »
Et tandis que le vent continuait de souffler autour d’eux, emportant feuilles et pensées indistinctes, Deng Shen sentit qu’elle devait être patiente. Le présent, bien que teinté de peur, portait encore en lui une beauté qu’elle refusait de laisser partir. Parce que parfois, même dans l’attente, il y a des racines qui poussent en silence.
Le crépuscule s’étendait doucement sur le parc, enveloppant le cerisier d’une lumière dorée qui semblait presque irréelle. Deng Shen et Yang Li étaient assis côte à côte sous l’arbre, leurs regards perdus dans l’horizon. Le silence entre eux n’était pas pesant, mais il portait une gravité qu’ils n’avaient pas encore osé nommer. Deng Shen, le carnet posé sur ses genoux, traçait distraitement des lignes sans but précis, tandis que Yang Li observait les feuilles qui tombaient lentement autour d’eux.
Il inspira profondément, brisant enfin le silence. « Shen, » dit-il doucement, sa voix teintée d’une sérénité étrange. Elle releva les yeux vers lui, surprise par le ton de ses mots. « Il y a quelque chose que je dois te dire. »
Son regard croisa le sien, et elle sentit immédiatement que ce qu’il s’apprêtait à dire portait un poids qu’elle n’était pas certaine de pouvoir supporter. « Qu’est-ce qu’il y a, Yang Li ? » murmura-t-elle, sa voix tremblante d’une inquiétude qu’elle ne pouvait plus contenir.
Il détourna les yeux, fixant le sol comme s’il cherchait les mots dans la terre elle-même. « Ces derniers mois ont été… incroyables, » commença-t-il, un sourire triste effleurant ses lèvres. « Retrouver tout ça avec toi, avec Li Mei, avec tout le monde… ça m’a donné une force que je pensais avoir perdue. »
Deng Shen fronça légèrement les sourcils, sentant une ombre dans ses paroles. « Pourquoi tu dis ça comme si… » Elle s’interrompit, incapable de terminer sa phrase.
Yang Li releva enfin les yeux vers elle, et dans son regard, elle vit une vérité qu’il ne pouvait plus cacher. « Parce que je le sens, Shen, » dit-il doucement. « Je sens que mon corps me lâche. Je ne sais pas combien de temps il me reste, mais je sais que ce n’est pas beaucoup. »
Ces mots tombèrent comme une pierre dans un lac calme, créant des vagues qui se propagèrent dans l’âme de Deng Shen. Elle sentit son souffle se couper, son cœur s’accélérer, et ses mains trembler. « Non, » murmura-t-elle, secouant la tête comme pour chasser cette réalité. « Non, tu ne peux pas dire ça. Tu ne peux pas… »
Yang Li posa une main sur la sienne, son geste à la fois apaisant et déchirant. « Shen, écoute-moi, » dit-il, sa voix ferme mais empreinte de douceur. « Ce n’est pas une question de vouloir ou non. C’est une vérité que je ressens, au plus profond de moi. Et je ne te dis pas ça pour te faire du mal. Je te le dis parce que je veux que tu sois prête. »
Les larmes commencèrent à couler sur les joues de Deng Shen, silencieuses mais intenses. « Comment pourrais-je être prête à te perdre ? » demanda-t-elle, sa voix brisée par l’émotion. « Comment pourrais-je accepter ça, après tout ce qu’on a traversé ? »
Yang Li serra doucement sa main, son regard rempli d’une tendresse infinie. « Tu n’as pas à l’accepter, » répondit-il. « Mais tu dois savoir que, quoi qu’il arrive, ces moments qu’on a partagés… ils resteront avec toi. Et avec moi. Rien ne pourra les effacer. »
Deng Shen éclata en sanglots, se jetant dans ses bras comme elle l’avait fait deux mois plus tôt, mais cette fois, ses larmes portaient un désespoir qu’elle ne pouvait contenir. Yang Li la serra contre lui, ses propres yeux brillants d’une émotion qu’il ne laissait pas couler. « Je suis désolé, Shen, » murmura-t-il. « Mais je veux que tu continues à vivre, même après. Je veux que tu trouves la force de sourire, de rêver, de créer. Parce que c’est ce que tu fais de mieux. »
Ils restèrent ainsi, enlacés sous le cerisier, tandis que la nuit tombait doucement autour d’eux. Les étoiles commençaient à apparaître dans le ciel, comme des témoins silencieux de cet instant déchirant mais profondément humain. Et bien que les mots de Yang Li aient brisé quelque chose en Deng Shen, ils portaient aussi une vérité qu’elle savait devoir affronter, un jour, à sa manière.
Le vent souffla à travers les branches, emportant avec lui les murmures de leurs âmes, comme une promesse que, même dans la douleur, il y aurait toujours une lumière quelque part, prête à guider ceux qui choisissent de la chercher.
Sous le clair de lune qui inondait le parc d’une lumière argentée, Yang Li se redressa doucement, son regard posé sur Deng Shen, dont les yeux, encore rougis de larmes, reflétaient une infinie tendresse mêlée de tristesse. Il inspira profondément, laissant le vent nocturne emplir ses poumons, et un sourire discret mais empreint de mélancolie effleura ses lèvres.
« Shen, » murmura-t-il, sa voix basse et douce, comme un secret partagé avec la nuit. « J’ai une dernière chose que je veux te donner… une chose que les mots simples ne peuvent pas toujours exprimer. »
Deng Shen leva les yeux vers lui, une lueur de curiosité mêlée de douleur dans son regard. Alors que le vent caressait les branches du cerisier au-dessus d’eux, Yang Li commença à chanter, d’une voix à la fois fragile et pleine d’émotion. Chaque mot semblait naître d’un endroit profond, comme s’il venait d’un lieu où la douleur et la sagesse cohabitaient.
Dans ses paroles :
"Les étoiles dans le ciel, elles brillent malgré tout,
Elles ne fuient pas l’obscurité, mais la transforment en bijou.
Chaque douleur, chaque cicatrice sur nos cœurs,
N’est qu’un chapitre, Shen, écrit par nos erreurs.
Si mes pas doivent cesser avant l’aurore,
Promets-moi de marcher, de rêver encore.
Les rivières ne s’arrêtent pas pour pleurer la mer,
Elles continuent, Shen, même sous l’éclat amer.
Parce que la vie, c’est une danse entre lumière et ombre,
Une étoffe tissée de moments doux et sombres.
Et si je pars avant que l’histoire ne se termine,
Souviens-toi, Shen, que nos souvenirs sont divins."
Deng Shen sentit son cœur se serrer à chaque mot, mais aussi une étrange chaleur, comme si la voix de Yang Li portait une force qui transcendait la douleur. Il continua, ses paroles se teintant d’une sagesse qu’elle n’avait jamais entendue auparavant.
"Nous ne choisissons pas le temps que nous avons,
Mais ce que nous en faisons, voilà ce qui est grand.
Si mes jours s’éteignent comme une flamme fragile,
N’oublie pas, Shen, que chaque flamme laisse un fil.
Ce fil, tissé entre toi et moi,
Il ne cassera pas, même sous le poids de l’émoi.
Alors danse, aime, ris et pleure,
Vis pour deux, Shen, dans chaque heure."
Lorsque sa voix s’éteignit, le silence qui suivit était lourd de sens. Deng Shen, les larmes roulant doucement sur ses joues, sentit que chaque mot, chaque note, s’était gravé en elle. Yang Li la regarda, son visage calme malgré les émotions qui brûlaient en lui.
« Tu vois, Shen, » dit-il enfin, sa voix redevenue un murmure. « Même si je dois partir, ce que nous avons partagé continuera de vivre. Pas seulement dans les souvenirs, mais dans tout ce que tu choisiras de faire à partir de là. »
Deng Shen ne put que hocher la tête, incapable de trouver les mots pour exprimer ce qu’elle ressentait. Mais dans son regard, Yang Li trouva tout ce qu’il avait besoin de savoir : elle avait compris. Et dans cette compréhension, il y avait une paix qu’il avait cherchée, sans même le savoir, depuis si longtemps.
Le vent emporta doucement les dernières notes de sa chanson, comme si la nature elle-même s’en faisait le messager. Sous le cerisier, deux âmes blessées mais unies trouvèrent un moment d’éternité, un instant suspendu qui transcenda la peur et le chagrin. Et bien que l’avenir restât incertain, cet instant était à eux, pour toujours.
Lorsque la vérité est enfin révélée, et que chaque mot, chaque larme semble sceller un nouveau chapitre, peut-on vraiment se préparer à ce que la vie choisit d’emporter avec elle, ou devons-nous simplement apprendre à embrasser ce qu’elle nous laisse ?
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